Il aura fallu à peine trois jours au documentaire Number 12, réalisé par le journaliste d'investigation Anas Aremeyaw Anas, pour faire tomber la tête du patron du football ghanéen, et ébranler la planète du ballon rond africain.

Dans ce film, Anas tel qu'il est surnommé affectueusement dans son pays, a piégé des dizaines d'arbitres du championnat ghanéen ou des grands championnats du continent, ainsi que le président de la Fédération nationale, en leur proposant des cadeaux amicaux. Autrement dit: des liasses de billets.

Les arbitres ghanéens acceptent ainsi sans hésiter les 100 dollars (et une chèvre!) que leur proposent les faux agents du fan club des Hearts of Oak d'Accra à la veille d'un derby crucial contre le club Asante Kotoko de Kumasi, il y a un peu plus d'un an.

La rencontre se soldera par une victoire par penalty des Hearts, dans l'incompréhension générale.

L'équipe d'Anas s'attaque ensuite aux championnats d'Afrique de l'Ouest, piégeant arbitres ivoiriens, gambiens, kényans au nom de "l'amitié" entre "frères". Une amitié qui se monnaye jusqu'à 2 000 dollars.

Dans une scène ahurissante, un arbitre ivoirien affirme sans ciller qu'il favorisera le Ghana, aux dépends de l'Algérie. « Vous jouez contre qui? Des Arabes? Est-ce que je suis Arabe moi? Alors, c'est plié », lâche-t-il en acceptant les 700 dollars tendus avant le match entre les deux équipes. Le Ghana gagnera cette rencontre 1-0 sur penalty.

Honte

Plus grave encore, le président de la Fédération ghanéenne de football, Kwesi Nyantakyi, est invité dans un pays du Moyen-Orient pour négocier avec un riche investisseur qui lui propose de commanditer le football ghanéen après lui avoir offert 65 000 dollars.

Le contrat juteux s'élèvera à hauteur de 15 millions de dollars, lui promet le faux homme d'affaires, lui réservant une part personnelle de 4,5 millions de dollars.

Vendredi, Kwesi Nyantakyi a démissionné de ses fonctions. « J'ai commis une série d'erreurs (...) en ayant des discussions privées avec des escrocs qui m'ont fait croire qu'ils avaient un intérêt réel à investir dans notre pays » , a-t-il déclaré dans un communiqué.

Il s'est également excusé auprès du président ghanéen Nana Akufo-Addo, arrivé au pouvoir en 2017 sur la promesse d'éradiquer la corruption dans ce pays réputé pour être un bastion démocratique et de bonne gouvernance.

Au Ghana, le film a laissé le pays stupéfait. L'annonce de sa sortie en salles avait été faite depuis plusieurs semaines, panneaux géants dans les rues d'Accra à l'appui pour annoncer sa sortie.

Au Centre international de conférence d'Accra, en présence de nombreux diplomates et responsables politiques, les spectateurs étaient bouche bée. « C'est écoeurant et nous devrions tous en avoir honte », a commenté à l'AFP Henry Asante Twum après avoir visionné le documentaire.

 Ethique

«Cela doit être une sonnette d'alarme », a-t-il ajouté. "Le système est gangréné par la corruption ».

Anas n'en est pas à sa première affaire. En 2015, il avait utilisé les mêmes procédés pour mettre à jour la corruption généralisée dans le système judiciaire de son pays. Une vingtaine de magistrats ont depuis été limogés, dont quatre juges de la Haute Cour du Ghana.

Toujours vêtu d'un chapeau, dont le bord lui recouvre le visage de perles, "Anas" n'a jamais dévoilé sa véritable identité, et personne ne connait son véritable visage, ce qui lui permet de continuer à piéger ses interlocuteurs.

S'il est considéré au Ghana comme un super héros de la lutte contre la corruption, ses méthodes posent toutefois des questions éthiques: il ne filme pas une situation de corruption en caméra cachée, il la met en scène. Ses proies cèdent à la tentation créée par le journaliste.

Ses pratiques ont probablement influencé des décisions judiciaires, ou dans le cas de Number 12, des résultats sportifs.

« Ce n'est pas juste de proposer des sommes lucratives et ensuite, de retourner sa veste et d'accuser cette personne d'être corrompue », martèle Charles Bentum, avocat des juges mis en cause précédemment. « Au regard de la loi, celui qui tend l'argent est tout aussi condamnable que celui qui l'accepte ».

Mais Anas n'en démord pas. Le règlement de la Fifa est clair: il est absolument interdit d'accepter des cadeaux des parties impliquées dans une compétition. « Favoriser une équipe est absolument inacceptable », a-t-il déclaré dans un communiqué. « Et je ne parle même pas de tendre la main pour y recevoir de l'argent. »