MONTRÉAL – S’entraîner virtuellement face à son prochain adversaire à la boxe, attribuer une note à chaque action sur une patinoire pour améliorer la prise de décisions, répertorier les tendances des opposants au soccer via des coordonnées GPS recueillies 25 fois par seconde. L’intelligence artificielle devrait fournir toutes ces possibilités, et bien plus, au monde sportif sous peu.  

Le milieu florissant de l’intelligence artificielle (IA) fait toutefois face à quelques défis. Un raffinement de l’immense collecte de données s’impose pour s’assurer de la précision, la plupart des organisations sportives conservent secrètement leurs démarches ce qui retarde l’évolution, les recherches exigent des moyens financiers considérables au détriment des clubs moins nantis et l’IA ne doit pas tenter de remplacer l’expertise des entraîneurs et des recruteurs. 

Tandis que la majorité des travaux s’effectuent avec l’apprentissage automatique - la forme la plus connue d’IA qui permet à un système d’apprendre à partir de données – l’intrigant projet de casque virtuel visant à reproduire les coups d’un boxeur, avec une précision extrême, se développe avec la vision numérique. 

Ces travaux ne progressent pas dans les bureaux d’une entreprise de la Silicon Valley en Californie, mais bien à Montréal, à l’Institut national du sport du Québec (INS Québec). 

Imaginez un instant que David Lemieux ait pu enfiler un casque virtuel reproduisant les mouvements et les coups de Gennady Golovkin en vitesse réelle lors de séances de sparring. Sa préparation serait passée à un autre niveau et il aurait disposé d’une autre avenue pour tenter de trouver à une solution face à ce redoutable boxeur.   

« C’est une technique qui serait sécuritaire, ça éviterait qu’ils encaissent certains coups. On ne sera pas dans un jeu vidéo, on sera vraiment dans un simulateur d’entraînement », a expliqué Thomas Romeas, Chef Recherche et Innovation à l’INS Québec. 

Au passage, cette technologie capterait le nombre des différents coups lancés, l’emplacement précis de ceux-ci ainsi que les déplacements des athlètes dans le ring. 

Cristina Rizzuto, étudiante au HEC

La grande expertise de Montréal en intelligence artificielle découle donc aussi sur le sport. 

Alors qu'elle était étudiante à HEC Montréal, Cristina Rizzuto, s’est démarquée avec son projet de maîtrise dans l’analytique du sport. Elle a été contactée par certaines équipes sportives professionnelles nord-américaines pour en apprendre davantage sur sa recherche et discuter de potentielles collaborations. 

Elle s’est penchée sur les désormais fameuses statistiques Expected Goals (buts attendus), Expected Assists (aides attendues) et Expected Saves (arrêts attendus) afin de les optimiser via des données GPS recueillies 25 à 50 fois par seconde !  

Projet d'intelligence artificielle de Cristina Rizzuto« Ça permet vraiment d’avoir le positionnement de tout le monde sur le terrain en même temps et j’ai réussi à obtenir une meilleure performance que le standard dans l’industrie », a résumé Rizzuto qui est désormais chargée de cours à HEC et consultante en science des données.  

Du même coup, ces informations synthétisées par des spécialistes deviennent précieuses pour les entraîneurs. Elles peuvent être autant utilisées pour peaufiner le déploiement sur le terrain que préparer la stratégie pour contrer celui de l’opposant. 

« C’est vraiment intéressant parce que dans plusieurs cas, les données appartiennent à la Ligue. Chaque équipe a ainsi accès aux données de ses adversaires. Bref, les organisations qui ont un plus grand département d’analytique du sport peuvent se différencier et obtenir un avantage compétitif », a précisé Rizzuto qui a consacré plus d’un an à ses travaux. 

Comme le précisait son professeur, Jean-François Plante, elle avait tenté, au départ, d’obtenir des données de ce style dans la MLS via le CF Montréal, mais sans succès. Elle a fini par dénicher des données publiques et sa méthode a prouvé son efficacité. 

« Le joueur qui était le mieux classé avait justement été reconnu comme un joueur étoile dans le tournoi et, parmi les plus bas, c’était un défenseur qui n’avait pas très bien fait de manière plutôt unanime », a indiqué Plante qui est professeur agrégé au département des sciences de la décision à HEC Montréal et directeur associé au Pôle sports HEC Montréal.

Petite parenthèse ici à propos de Sportlogiq, une référence dans le domaine. Puisque les données GPS ne sont pas accessibles dans un stade intérieur tel un aréna, cette firme utilise une technologie différente : celle du repérage optique via les images des caméras pour sa statistique de buts attendus. Cette méthode permet de repérer et d’inclure dans leur calcul chaque partie du corps et l’emplacement des autres joueurs. 

Une autre initiative intéressante s’articule autour du patinage de vitesse courte piste. Jérémy Briand, physicien à INS Québec et champion canadien de triathlon, a été mandaté pour bâtir un modèle afin de limiter les blessures des athlètes. D’ailleurs, ce débouché de l’IA séduit le milieu sportif aux quatre coins de la planète.

L'entraîneur Sébastien Cros et Kim BoutinBriand utilise les données d’une quarantaine de paramètres pour offrir des indications aux athlètes et à leur équipe de soutien. Après une longue et inévitable période de rodage pour trouver l’algorithme adéquat, Briand s’approche de l’implantation de la méthode. 

« Mais on ne veut pas que la machine vienne remplacer le jugement critique sur le terrain de l’équipe d’intervention. Il faut vraiment voir ça comme un outil de plus. Comme les prévisions météorologiques qui nous disent qu’il y a des risques de pluie dans trois jours. Ce n’est pas certain que ça surviendra, mais on peut choisir nos activités ou sortir avec un parapluie. C’est la même chose, on veut donner une prédiction aux physiothérapeutes ou aux médecins pour qu’une intervention puisse se faire plus tôt dans le processus », a exposé Briand. 

« Il faut s’assurer que les athlètes participent de façon assidue parce que dès qu’il y a un trou dans les données, ça devient plus difficile », a-t-il également précisé. 

Tour d’horizon de quelques possibilités imminentes 

  • Difficile de prédire l’éventail des prochaines possibilités de l’intelligence artificielle. Mais d’après Cristina Rizzuto, le projet de pouvoir attribuer une note à chaque action de chaque joueur sera à la portée des équipes professionnelles. 
  • Les technologies deviennent si efficaces qu’une diffusion d’un match à RDS pourrait suffire à récolter toutes les données nécessaires. On peut donc penser que les outils de l’IA deviendraient accessibles, à peu de coûts, pour des équipes d’un calibre inférieur. Dans un chapitre bien différent, un ordinateur pourrait, éventuellement, accorder des notes objectives à des athlètes de gymnastique ou de plongeon en parvenant à décortiquer la qualité de chaque mouvement. 
  • On a également une pensée pour tous les entraîneurs et joueurs qui consacrent des heures interminables à scruter des vidéos. L’IA devrait parvenir à mieux sélectionner les séquences pertinentes à visionner. 
  • Et que dire des recruteurs. Ceux-ci n’ont pas raffolé de la période pandémique les forçant à effectuer leur travail virtuellement. Par contre, l’IA voudrait devenir un complément à leurs déplacements aux matchs pour mieux identifier le profil des athlètes qui parviennent à connaître une carrière concluante.

Ce n’est qu’un minuscule aperçu du vaste chantier des prochaines années. La grande question, avec l’IA, demeure de savoir si le milieu sportif parviendra à trouver un équilibre à son utilisation pour ne pas se dénaturer. 

« C’est une bonne question... Je pense ça va aider énormément dans plusieurs sports qui sont beaucoup plus méticuleux dans les détails comme des disciplines olympiques où 0,2 seconde constitue une grande différence. Au soccer, si j’aide un athlète à devenir à peine plus rapide, ça ne veut pas dire qu’il va aller marquer au bout de sa course. Il y a le dosage de la passe, la lecture de jeu, la prise de décision, on rentre dans des choses plus complexes », a cerné Jules Gueguen, le préparateur physique du CF Montréal qui sera au cœur du deuxième article sur le sujet.

Jérémy Briand, physicien à l’INS Québec et champion canadien de triathlon

Les experts consultés rappellent que la prudence est nécessaire. La qualité des données doit atteindre un autre niveau et elles ne pourront jamais tout révéler. 

« Il reste que ça demeure difficile d’évaluer chaque joueur. Même si j’obtiens des données 60 fois par seconde, chaque personne qui a joué un sport d’équipe sait qu’on ne réussit pas à toucher au ballon ou à la rondelle plus que cinq ou six fois dans chaque match de notre ligue de garage. Bref, au-delà des joueurs qu’on voit beaucoup, pourra-t-on vraiment évaluer adéquatement tous les joueurs? Donc, même si les données sont énormes, elles peuvent être très creuses et il y a certaines limites à ce qu’on peut faire », a reconnu Jean-François Plante. 

« Mais dans 20 ans, on aura la qualité recherchée de la donnée et je pense que ça deviendra une deuxième nature de se tourner vers l’intelligence artificielle », a conclu Briand. 

Jean-François Plante, directeur associé au Pôle sports HEC Montréal
Jules Guegen, préparateur physique du CF Montréal