SAN FRANCISCO - La fête est gâchée : la 34e Coupe de l'America, plus vieux trophée sportif au monde, a mal démarré avec le « ruddergate », litige réglementaire à l'origine du boycottage de la première régate de la compétition par Luna Rossa, dimanche à San Francisco.

Mécontent d'une mesure concernant les plans porteurs (« rudder elevators » en anglais), le défi italien a mis sa menace à exécution et décidé de ne pas participer à la course inaugurale de la Coupe Louis-Vuitton (éliminatoires des challengers) contre les Néo-Zélandais d'Emirates Team New Zealand (ETNZ).

Les Italiens voulaient qu'un jury se prononce avant leur duel avec les Kiwis sur un point de règlement. Inflexibles à cette demande, les cinq jurés de la Fédération internationale de voile (ISAF) ne se réuniront que lundi.

Le litige porte sur des appendices fixés sur les safrans en T majuscule inversé des AC72, les fameux plans porteurs.

« Voler »

Ce dispositif permet aux AC72, des catamarans hyper puissants de 22 m de long menés par des équipages de 11 personnes, de déjauger à partir d'une certaine vitesse et de « voler » au-dessus des vagues.

Grâce à ces plans porteurs, ces araignées d'eau capables de marcher à plus de 40 noeuds (75 km/heure) ne touchent plus l'eau qu'en trois points - les deux safrans et l'un des foils (dérives courbes) -, la traînée hydrodynamique étant alors réduite à sa plus simple expression.

Dans la foulée du chavirage le 9 mai du catamaran suédois Artemis, le troisième challenger, et de la mort d'un de ses équipiers - le Britannique Andrew Simpson -, le directeur des courses Iain Murray avait proposé un ensemble de 37 mesures destinées à améliorer la sécurité.

L'une d'entre elles concerne ces plans porteurs. Murray veut en augmenter la taille et la surface pour, dit-il, stabiliser les AC72 lorsqu'ils sont « en vol » et les empêcher de « cabaner », de chavirer par l'avant.

Les Italiens et les Néo-Zélandais refusent, estimant que leurs appendices sont conformes à la jauge initiale et sûrs. Demander de modifier des bateaux aussi complexes à quelques jours des régates est « injuste » et ne peut que profiter au détenteur américain de la Coupe, Oracle Team USA, qui ne courra que dans deux mois (7-21 septembre), après les éliminatoires des challengers.

Vraie-fausse régate

À la différence des Italiens, les Kiwis n'avaient pas menacé de boycotter la course de dimanche et ont, sans combattre, remporté cette vraie-fausse régate, engrangeant du même coup le point de la victoire.

Atteignant une vitesse maxi de 42,8 noeuds, ETNZ a bouclé les 16 milles du parcours en 46 minutes et 27 secondes.

Les Italiens sont restés à terre. Leur deuxième duel est fixé au 11 juillet. Tout porte à croire que ce sera à nouveau une non-régate puisqu'ils doivent affronter Artemis... dont le 2e bateau ne sera pas mis à l'eau avant au mieux une quinzaine de jours!

Face à ce qui est désormais qualifié de « ruddergate », la presse locale n'est pas tendre.

Cette journée inaugurale, écrivait ainsi dimanche un éditorialiste du San Francisco Chronicle, « est peut-être le pire lancement d'un événement nautique depuis le Titanic ». « La Coupe de l'America nous avait promis un glorieux été de la voile. Au lieu de ça, nous avons le chaos ».

Certains vieux routiers de la Cup, comme l'Australien John Bertrand, sont plus philosophes et rappellent que la plus prestigieuse compétition de voile au monde, née en 1851, a toujours connu ce genre de controverses.

« En 1983, nous avions le 'keelgate' », a-t-il expliqué, en référence à la quille à ailettes de son 12M JI Australia II, qui lui avait permis de mettre fin à 132 ans de domination américaine sur la Cup. « Aujourd'hui, nous avons le 'ruddergate'... Rien n'a changé ».