C’était une soirée très particulière samedi soir au Centre Bell. Pas parce que le Canadien a humilié les Rangers 6–0. D’ailleurs, je dois vous avouer que j’ai passé la totalité de la deuxième période à suivre le déroulement du match du coin de l’œil, assis dans la salle de presse. Je ne pense pas avoir fais ça auparavant depuis le début de ma carrière. Si je suis resté là, c’était car j’avais la réelle impression de vivre un moment privilégié. Pourquoi? Parce que j’ai passé presque une heure à jaser avec celui qui était mon modèle quand j’ai décidé de devenir journaliste sportif…et le 23 janvier, mon modèle couvrait le Canadien pour la dernière fois.

Sans tambours ni trompettes, Bertrand Raymond a tiré un trait sur une illustre carrière de 41 ans au Journal de Montréal. Pour l’ami Bert, il s’agissait d’une toute dernière journée de travail. Depuis minuit, il est officiellement devenu un retraité. La date de son départ était planifiée puisque Québécor a déclenché son lock-out il y a un an, jour pour jour. C’est terminé, on ne lira plus les articles bien ficelés de Bert. Pas plus sur RueFrontenac.com.

Quand j’étais ti-cul à St-Boniface et que j’étais au secondaire, je savais déjà que je voulais devenir journaliste sportif et c’était lui que j’avais comme modèle. J’admirais sa façon de travailler et son approche humaine de livrer la nouvelle. J’aimais bien Réjean Tremblay, Jacques Moreau et Richard Garneau pour des raisons différentes mais celui à qui je rêvais de ressembler c’était Bertrand Raymond. Puis le destin m’a permis de le côtoyer en arrivant à RDS, à l’automne de 1989.

Je me souviens de mes premières visites au Forum, le petit jeunot que j’étais s’assoyais près du groupe de vétérans et je les écoutais raconter leurs histories en me rapprochant de quelques bancs à chaque jour! Après tout, on n’entre pas dans un cercle fermé comme ça, du jour au lendemain. Mais je me trompais royalement sur Bert et les autres. Une fois que la grande gueule à Michel Villeneuve t’avait testé tu étais accepté dans le groupe…ou presque. Fallait compter une semaine maximum pour arriver à cette étape cruciale! Ceux que je considérais comme des monuments étaient en fait des journalistes passionnés, ouverts d’esprits, boute-en-train et pas prétentieux une seule seconde. À part Michel, mais en apparence seulement! Je me souviens même que Réjean avait bien essayé de me consoler de ma première peine d’amour au Forum.

De voir Bert accrocher sa plume m’a donc ramené à mes débuts d’un coup sec. Et samedi soir, pendant la deuxième période, on fait le tour de sa carrière ensemble. Et quelle carrière!

Une fin plutôt triste

Celui que je lisais religieusement en buvant mon café se retire par dépit. On le sait tous, les journalistes du Journal de Montréal sont en lock-out depuis un an. Bertrand n’a jamais accepté la façon dont lui et ses collègues ont été traité. La cicatrice est trop profonde et ça ne lui donnerait plus rien d’attendre le dénouement du conflit. À 65 ans, ce n’est pas l’âge qui lui dicte d’arrêter. Il aime encore son métier mais il ne remettra plus jamais les pieds chez son ancien employeur. « Si on n’était pas en lock-out, c’est clair que j’aurais continué à être columnist. Ça fait 28 ans que je fais ça et je suis loin d’être blasé.»

Entre deux buts du Canadien, Bert m’avouait que ce qui lui fait le plus mal c’est de voir tout le monde se préparer à partir pour les Jeux olympiques de Vancouver. « J’ai couvert sept fois les olympiades mais ça me fâche de ne pas être là cette année. Partir pour la retraite, ça a l’air le fun mais ce n’est pas mon cas en raison de la manière que ça fini. J’aurais continué encore plusieurs années mais après 40 ans de loyaux services, ils n’ont pas été en mesure de me donner le choix », raconte celui qui a été le plus jeune journaliste à être admis au Temple de la renommée du hockey en 1990 à l’âge de seulement 45 ans.

Samedi soir, Bert affichait une mine plutôt nostalgique. Après tout, on ne peut mettre derrière soi quatre décennies comme si rien ne c’était passé. Heureusement, on le côtoiera encore à l’occasion puisqu’il va continuer de participer régulièrement à l’Antichambre et à la Ligue en question. « Je n’aurais rien fais d’autre dans la vie et mon travail c’était aussi mon hobby tellement j’aimais ça. Je pars un mois en vacances avec Louise et au retour, je vais collaborer avec RDS. Je trouverais ça beaucoup trop long de tomber à zéro tout d’un coup. Je vais pouvoir continuer de voir la gang et c’est tellement agréable avec l’esprit d’équipe qu’on a », de conclure Bert.

Sois pas triste Bert! Profite de la vie avec ta belle Louise…nous par contre, on sera privé de tes textes, et ça, c’est la fin d’une époque.