MONTRÉAL – Avant une partie importante, sur les ondes du réseau FOX, François Lavoie est présenté en complet veston-cravate, sa boule appuyée sur son épaule. Les commentateurs le décrivent comme un quilleur suave et distingué, un féroce compétiteur caché derrière un accent exotique.

Mais lorsqu’il s’installe devant son ordinateur en ce mercredi matin d’avril, Lavoie est comme le commun des mortels devant une énième conférence vidéo : habillé en mou devant un vulgaire mur blanc.

« Avec tout le voyagement qu’on fait, j’essaie de relaxer un peu quand j’ai le temps », dit-il au milieu des présentations.

Lavoie, un quilleur professionnel qui évolue sur le circuit de la Professional Bowlers Association (PBA) depuis 2016, profite d’un bref moment de répit entre les deux dernières étapes de la meilleure saison de sa carrière. La semaine dernière, il a remporté le Guaranteed Rate PBA Super Slam, un tournoi réunissant les gagnants des cinq tournois majeurs de l’année. Dimanche prochain, il tentera d’aligner les abats dans les séries éliminatoires de fin de saison, compétition dont il sera la quatrième tête de série.

À 28 ans, le Québécois est au sommet de son art. Ses succès en 2021 – il a aussi signé sa troisième victoire en tournoi majeur en février – lui ont valu des bourses d’une valeur excédant 200 000$. C’est peu si on compare aux sports professionnels majeurs aux États-Unis. C’est toutefois considérable quand on sait que ses gains totaux des cinq saisons précédentes s’élevaient à environ 400 000$.

« Cette année, techniquement, je me sens super bien. Ma technique est très bonne. Je suis capable de répéter les lancers, capable de leur donner toutes sortes de différentes trajectoires. Je peux aller plus direct, je peux courber la balle dépendamment des patrons d’huile sur lesquels on joue. Je m’adapte bien et mes stratégies sont très bonnes avant de commencer les tournois. »

« Tout ça mis ensemble, ça donne une bonne saison », résume-t-il humblement.

Lavoie s’est construit une solide feuille de route depuis son entrée chez les professionnels. En 2016, il est devenu le premier joueur à réussir une partie parfaite télévisée en finale du US Open. Cette première victoire en tournoi majeur lui a valu le titre de recrue de l’année de la PBA et a ouvert les yeux à des commanditaires qui lui ont permis de prendre son envol.

En 2018, il a été élu joueur de l’année sur un circuit régional. L’année suivante, après avoir traversé un premier creux de vague professionnel, il est devenu le premier joueur natif de l’extérieur des États-Unis à remporter deux fois le US Open. En 2020, à sa première participation en séries, il a signé sa deuxième carte de 300 à la télévision nationale américaine, un exploit qui avait été réussi par un seul autre joueur avant lui.

Aujourd’hui, il est bien installé au sein d’un groupe sélect de 30 à 40 quilleurs, selon son estimation, qui gagnent leur vie exclusivement grâce à la pratique de leur sport. Ironiquement, c’est cette précarité qui l’avait presque éloigné des allées lorsqu’il était sorti du réputé programme de l’Université Wichita State avec un diplôme en administration des affaires.

 « Après mes études, je me demandais : ‘Est-ce que je l’essaye? Est-ce que je me trouve une vraie job à quelque part? Est-ce que je retourne à la maison?’ Je me posais toutes ces questions et je me suis finalement dit que si je voulais l’essayer, c’était maintenant ou jamais. Je venais juste de finir mes études, pas marié, pas d’enfant, rien. J’ai décidé d’y aller. Je ne savais pas si je ferais ça pendant un an, deux ans, cinq ans, dix ans. Je me suis lancé et ça a bien été. »

Même s’il n’avait que 2 ans quand il a fait rouler ses premières boules sur les allées des environs de Québec, Lavoie considère s’être développé sur le tard. Celui qui a roulé sa première partie parfaite à l’âge de 12 ans n’a commencé à réaliser son réel potentiel qu’après sa médaille de bronze aux championnats mondiaux junior en Finlande en 2010. C’est à ce moment que la possibilité de rechercher une bourse d’études dans une université américaine l’a intrigué.

Ses recherches l’ont mené au Kansas, où il habite toujours. Il a contribué à la conquête d’un championnat national au terme de sa cinquième et dernière année à WSU. À la même période, il a remporté une médaille d’or en double et signé une sixième place en simple avec l’équipe canadienne aux Jeux Panaméricains de 2015 à Toronto.

Tous ces succès ne l’avaient toutefois pas convaincu que son sport pourrait un jour l’aider à payer son hypothèque, ce qui est précisément ce qu’il a fait avec la majeure partie de ses lucratives bourses des derniers mois.

« En frais de calibre, il y a vraiment une grande différence entre les quilleurs amateurs et professionnels. J’étais pas sûr à 100% si j’allais être bon. J’étais un bon joueur junior, mais pas un des meilleurs joueurs au monde. Il y avait ça aussi. Je me disais que je n’étais pas la prochaine superstar. Je me posais toutes ces questions, j’hésitais. Aujourd’hui je suis content d’avoir essayé. »