Lectures sportives pour quarantaine prolongée : les choix de Samuel Archibald
Sports divers dimanche, 29 mars 2020. 06:12 mercredi, 11 déc. 2024. 23:52Dimanche matin. Ou plutôt mercredi? Cette quarantaine va vous rendre fou. Observer de loin un idéal interdit. Attendre une fin qui semble à la fois si proche et si loin. C’est donc ça, vous dites-vous, être un fan des Maple Leafs.
Vous venez de vous taper une compilation des plus belles échappées de Russ Courtnall, avez développé une douleur à la poitrine à force de souffler dans votre vieille cassette de Tecmo Super Bowl et les cartes oranges de votre Quelques arpents de pièges commencent à prendre la forme d’une piste de NASCAR.
Il serait peut-être temps d’ouvrir un livre, vous ne trouvez pas?
La littérature québécoise regorge d’ouvrages qui s’approprient le sport comme toile de fond. En quête d’inspiration, nous avons contacté le romancier Samuel Archibald, un « gars de balle » assumé qui appréhende de plus en plus le prolongement d’un printemps « avec pas d’matchs ».
« Tu frappes à la bonne porte », nous a-t-il aussitôt rassurés. Après quelques jours de réflexion, il nous est revenu avec cette généreuse liste qui vous permettra d’aller ailleurs tout en respectant les consignes de sécurité.
1. Marc Robitaille, Des histoires d’hiver (1992) et Un été sans point ni coup sûr (2004)
Marc Robitaille a vraiment une touche particulière, tendre et drôle, pour décrire la relation privilégiée qui lie, au Québec, l’enfance et le sport. Dans ses deux romans consacrés au hockey et au baseball, le sport permet de montrer les changements sociaux qui affectaient le Québec dans les années 60 et de rythmer le cheminement personnel du héros Martin. Tantôt, il doit apprendre à conjuguer son amour sans borne pour Henri Richard avec son premier béguin pour une fille. Plus tard, il tente d’entretenir son rêve de jouer un jour pour les Expos de Montréal tout en voyant s’effriter le mariage de ses parents. Des histoires d’hiver et d’été hyper personnelles, mais où on peut se reconnaître tous. Les deux livres ont connu de belles adaptations au cinéma.
2. Matthieu Simard, Ça sent la coupe (2004)
Dans ce roman, Matthieu Simard se fait le fils spirituel du précédent et reprend la balle au bond afin de montrer le rôle que joue le sport dans la vie, cette fois-là, de grands enfants et « adulescents » québécois de 30 quelques années… Divisé en 93 chapitres (un pour chaque game de la saison 2003-2004), le roman raconte une année dans la vie de Max, 35 ans, un gars ordinaire et attachant qui perd sa blonde, se remet en question, essaye de regagner sa blonde, retrouve sa sœur perdue de vue depuis quelques années et vit avec ses chums au rythme des matchs du CH. Je me demande bien ce qu’il ferait en quarantaine celui-là... Sensible et touchant. Aussi adapté au cinéma avec Louis-José Houde.
3. Denis Côté, Hockeyeurs cybernétiques – L’intégrale (1983 — 2013 pour la réédition)
Cette saga dystopique visionnaire pour ados a marqué mon adolescence. Dans un futur proche, de larges pans de la population, sans emploi, sont réduits au stade d’Inactifs et ne vivent que pour regarder les matchs de hockey durant lesquels les meilleurs joueurs de la planète doivent affronter des hockeyeurs cybernétiques appelés à les remplacer tous. Michel Lenoir, l’idole de la foule, deviendra peu à peu le leader des Inactifs dans leur soulèvement contre le pouvoir de l’Élite. C’est Hunger Games (30 ans plus tôt) qui rencontre La soirée du hockey et ça n’a pas pris une ride. Un classique absolu de la littérature jeunesse québécoise, qui pourrait en ce moment faire le bonheur des 9 à 99 ans!
4. Patrick Roy, L’homme qui a vu l’ours (2015)
Non, l’ancien numéro 33 n’écrit pas des romans dans ses temps libres, mais il a un homonyme qui est l’un des romanciers les plus intéressants de sa génération et qui a consacré de belles pages à notre sport national dans son premier roman La ballade de Nicolas Jones (2013). Dans son deuxième roman, il parle d’une discipline sportive qui était pratiquement notre troisième sport national du temps de ma jeunesse, et qui est toujours ultra populaire aujourd’hui : LA LUTTE!!! Dans ce roman qui, comme le dit bien sa quatrième de couverture, navigue « entre l'univers des frères Rougeau et celui des frères Coen », deux journalistes québécois partis en Nouvelle-Angleterre sur la piste du champion de lutte déchu Tommy Madsen finiront par mettre au jour des secrets dont plusieurs auraient préféré qu’ils demeurent cachés et devront en payer le prix. Un grand roman qui tient à la fois du thriller, de l’enquête sociale et de la déclaration d’amour aux héros, souvent tragiques, du ring…
5. William S. Messier, Le basketball et ses fondamentaux (2017)
Comme de plus en plus de fans des Raptors, c’est le basketball qui faisait tripper William S. Messier quand il était jeune. De cet amour d’adolescence, il a tiré ce recueil d’histoires où la passion du basket apparaît tantôt en pleine lumière, tantôt en toile de fond, sur un mode parfois autobiographique, parfois complètement délirant. « La défaite de Big Dawg », où un power forward talentueux mais pas fin fin se laisse un peu trop prendre au jeu en remplaçant pour un soir un joueur des Washingtons Generals (l’équipe qui sert de faire-valoir aux Harlem Globetrotters), et « Wu-Tang », où un coach de basket au secondaire doit faire face au quotidien à une infestation d’abeilles africaines tueuses dans les environs de Granby, sont de vrais morceaux de bravoure.
Et pour apprendre et réfléchir : l’un des plus fascinants essais que j’ai jamais lus sur le sport a été publié ici, au Québec. Il s’agit de l’ouvrage Les Yeux de Maurice Richard, une histoire culturelle (2013) de Benoît Melançon. Attention, ceci n’est pas une histoire de la vie du grand numéro 9, mais une analyse hyper fine de sa légende. Comment Maurice Richard est-il devenu un personnage de film, de théâtre et de roman, comment a-t-il fait l’objet de publicités et de chansons, comment a-t-il donné son nom à des lieux publics et fini par représenter tout un pan de nos histoires personnelles et collectives? C’est ce que Benoît Melançon étudie ici, avec intelligence et érudition, mais aussi avec humour et un regard humain rarement vus dans des analyses universitaires. Essentiel et fascinant.
Auteur et scénariste, Samuel Archibald est entré dans le paysage littéraire québécois en 2012 avec Arvida, qui lui a valu le Prix des libraires du Québec. Il a depuis écrit pour le théâtre (Saint-André-de-l’Épouvante) et le web (TERREUR 404), a touché à l’essai (Le Sel de la terre) et à la littérature jeunesse (Tommy l’enfant-loup) en plus de collaborer à divers magazines.