Les marathoniens de l’espace
Sports divers dimanche, 6 mars 2016. 11:18 jeudi, 12 déc. 2024. 07:26L’astronaute américain Scott Kelly est revenu sur Terre le 2 mars dernier après un long séjour de 340 jours dans la station spatiale internationale. Lorsque le vaisseau Soyouz s’est posé dans les steppes glacées du Kazakhstan, nous avons vu un homme heureux d’être de retour mais légèrement éprouvé par la gravité de notre planète, une réalité à laquelle il avait échappé dans le vacuum de l’espace.
Kelly fait partie d’une expérience unique puisque son frère jumeau identique, Mark, est également un astronaute. Mais ce dernier est demeuré sur Terre. Les scientifiques de la NASA entendent comparer les modifications physiologiques et psychologiques de ces deux personnes partageant le même bagage génétique. Les données obtenues permettront de mieux préparer de futures missions martiennes. Déjà, les scientifiques ont constaté que Kelly avait grandi de deux pouces dans l’espace en raison de l’élongation de sa colonne vertébrale. Un phénomène connu qui se résorbera au cours des prochaines semaines. L’apesanteur entraîne de lourdes conséquences sur la masse musculaire et la structure osseuse.
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Pour compenser au maximum les effets négatifs de la vie en microgravité, la NASA soumet obligatoirement ses astronautes à un programme de conditionnement physique intense sur Terre et dans l’espace. En s’entraînant dans la station spatiale internationale, à 370 kilomètres au-dessus de la Terre, il devient plus facile pour les astronautes de se réacclimater à la gravité terrestre lors de leur retour.
Au cours des derniers jours, la NASA nous a bombardés, telle une pluie de météore, de données et statistiques de toutes sortes sur l’année dans l’espace de Scott Kelly. Par exemple, il a eu la chance d’assister à 10 944 levers du soleil, il a bu 730 litres d’urine et de sueur recyclées, il a conduit 383 expériences diverses et a fait pousser les premières feuilles de laitue de l’espace. Mais surtout, il s’est entraîné plus de 700 heures pour conserver sa musculature et couru 1042 kilomètres pour se garder en forme!
Courir dans l’espace? Voilà qui est intéressant. Comment cela est-il possible?
Il faut d’abord savoir qu’il y a deux tapis roulant dans la station spatiale internationale. Lorsqu’on sait que le moindre kilogramme de marchandise coûte une fortune à apporter là-haut, on comprend à quel point la NASA attache une importance primordiale à l’entraînement.
Un des tapis, le TVIS, est situé dans le module russe et l’autre, le COLBERT, se retrouve du côté américain. Dans les deux cas, ils sont isolés des autres modules de la station en raison des petites perturbations et vibrations qu’ils pourraient causer aux expériences en cours. Des systèmes de ressorts et des gyroscopes sont d’ailleurs fixés aux tapis pour éviter la transmission de ces vibrations lors de chacun des pas des joggeurs de l’espace.
Courir dans l’espace est tout sauf une opération simple et naturelle. Tous les astronautes vous le diront, c’est compliqué et cela nécessite une longue période d’adaptation. Le tapis COLBERT fut installé dans la station spatiale par l’astronaute canadien Robert Thirsk en 2009. Lors de son séjour de six mois, il a eu l’occasion de s’en servir une quarantaine de minutes quotidiennement. Il expliquait alors qu’en absence de gravité, tout flotte, y compris le tapis! Le coureur doit donc s’attacher au tapis à l’aide d’un harnais aux épaules et à la taille. Il suffit ensuite d’ajuster la pression du harnais selon le poids de l’astronaute lorsqu’il est sur Terre.
Mais les sangles des harnais créent, à la longue, de l’inconfort et de l’irritation. C’est un peu comme porter un lourd sac à dos en randonnée. Ajoutez à cela le flottement du tapis dans le module et vous comprendrez pourquoi les astronautes décrivent cette expérience comme « une pénible course sur une guimauve géante »!
La transpiration est l’autre gros désagrément. Un coureur qui sue dans l’espace ne peut pas compter sur une petite brise fraîche pour faire évaporer le tout. Une mince pellicule d’eau colle constamment à sa peau. Des bulles de sueur se forment près des yeux et sous le nez et peuvent aveugler l’astronaute ou l’étouffer. Il doit donc régulièrement s’essuyer avec des serviettes. Et oubliez l’idée d’une bonne douche chaude, cela est carrément impossible. Les lingettes nettoyantes demeurent la seule option. D’ailleurs, à son retour sur Terre, un des premiers commentaires de Scott Kelly fut de dire qu’il rêvait à une douche et à un saut dans la piscine de sa résidence au Texas.
Si Robert Thirsk fut le premier homme à courir sur le tapis COLBERT, soulignons toutefois la performance historique de l’astronaute américaine Sunita Lyn Williams. Le 16 avril 2007, elle était devenue la première marathonienne à courir dans un environnement dépourvu de pesanteur en s’élançant sur le tapis au moment où le départ de la course de 42,195 kilomètres était donné au marathon de Boston. Dans ces conditions très particulières, sur un tapis programmé pour reproduire les principales difficultés du parcours, elle avait réalisé un temps de 4 heures et 24 minutes.
L’astronaute britannique Tim Peake, qui séjourne actuellement dans la station spatiale, a repris l’idée de Williams et poussera le concept encore plus loin. Il a déjà annoncé qu’il participerait au prochain marathon de Londres, le 24 avril. Il sera également harnaché au tapis roulant mais, surtout, virtuellement immergé au milieu des 37 000 participants du marathon grâce à un grand écran installé devant lui. En effet, l’entreprise Runsocial a conçu une application destinée aux personnes qui courent sur des tapis. Les utilisateurs, Peak sera l’un deux, verront défiler sur l’écran les paysages déjà numérisés du trajet. Si le coureur ralenti, la vidéo virtuelle fera de même et vice-versa.
Peake est un excellent coureur. En 1999, il avait terminé ce même marathon en 3 heures, 18 minutes et 50 secondes. Cette fois il est conscient qu’il sera beaucoup plus lent, mais il vise tout de même un chrono final compris entre 3 h 30 et 4 heures. Ce qui rend l’expérience intéressante, c’est qu’il sera possible aux terriens utilisant la même application de s’inscrire virtuellement pour une fraction du prix à l’épreuve londonienne et de courir avec Peake. Runsocial a même créé un avatar en réalité augmentée à l’image de l’astronaute britannique où il portera sa combinaison de vol de l’Agence spatiale européenne.
Au tout début de la conquête spatiale, avant qu’on ne réalise l’importance de l’exercice physique dans l’espace, les astronautes avaient besoin de beaucoup de temps, parfois des semaines, pour se remettre complètement des malheureuses répercussions infligées par l’apesanteur à leur retour sur Terre. Certains étaient incapables de marcher normalement ou de simplement se tenir debout pendant plusieurs jours.
Cela a bien changé et les effets des 700 heures d’entraînement de Scott Kelly et de son millier de kilomètres de course ont été évidents. À peine quelques heures après son retour, il pouvait marcher, et moins de deux jours plus tard, il publiait sur les médias sociaux une vidéo où on l’aperçoit se laisser tomber joyeusement dans sa piscine!
La NASA souhaite voir un de ses astronautes poser le pied sur la planète mars dans les années 2030. Il s’agira d’une mission de trois ans et deux de ces années se dérouleront dans l’espace à l’aller et au retour. Attendez-vous à voir la course à pied et l’exercice physique plus présents que jamais dans les futurs engins spatiaux.
Scott Kelly peut maintenant se vanter d’être l’homme qui a couru le plus grand nombre de kilomètres dans l’espace. Heureusement que les futurs engins spatiaux seront plus rapides que lui car à la vitesse où il courait, il aurait eu besoin de 216 000 années pour franchir en joggant la distance séparant notre planète de mars.
L’être humain a tout de même ses limites!