ORISTANO - Elisabetta Sechi, 28 ans, arbore un sourire triomphant: elle est la deuxième femme de l'histoire à régner sur la Sartiglia, une joute équestre qui depuis des siècles envahit à l'époque du carnaval les ruelles d'Oristano, dans le sud-ouest de la Sardaigne.

"Je suis tendue mais heureuse", confie cette brune élancée à l'AFP alors que commence pour elle en ce Mardi Gras, "le jour le plus long": de l'aube jusqu'à la tombée de la nuit, la "chef de course" va suivre un itinéraire immuable rythmé par une série de rites ancestraux.

A commencer par la cérémonie de l'"habillement", qui dure pas moins d'une heure!

Sous les hourras du public et dans un concert de tambours et trompettes, Elisabetta endosse son uniforme: chemise blanche, gilet de cuir, et pour finir un étrange masque en bois blanc aux traits androgynes, surmonté d'un voile de dentelle blanche et d'un haut-de-forme noir. Un véritable couronnement.

Cette jeune apprentie-vétérinaire a été désignée "capo corsa" (chef de course) par le président de la confrérie des menuisiers, organisateur du tournoi, "une décision qui doit beaucoup à l'influence de la femme du président", ironise un expert de la Sartiglia sous couvert de l'anonymat.

Elisabetta reconnaît elle-même que "le milieu des chevaux, et en particulier celui de la Sartiglia, est assez machiste", mais assure qu'"une femme peut réussir à faire son chemin avec un peu de personnalité et de capacités", même si "c'est une chose un peu exceptionnelle".

L'Histoire est là pour en témoigner: c'est au retour des Croisades que la coutume des joutes à cheval, empruntée aux Sarrasins, a été introduite en Europe, et en particulier en Sardaigne au XIIIe siècle.

Depuis cette date, seule une autre femme a eu l'honneur, il y a 37 ans, de diriger la joute, au cours de laquelle chaque cavalier, revêtu d'un costume chamarré aux couleurs flamboyantes, doit lancer son cheval au galop et tenter d'enfiler son épée dans une étoile d'argent suspendue à un fil.

Le choix d'une femme pour diriger la Sartiglia représente "une conquête", confirme Noemi Porta, une spectatrice assidue de 28 ans. "J'espère que cela va devenir une chose normale et non l'exception", affirme-t-elle, tout en soulignant qu'il s'agit d'un "environnement avant tout masculin".

Elle rappelle aussi qu'autrefois "les femmes sardes avaient un rôle prédominant: elles s'occupaient des enfants et géraient le patrimoine pendant que leurs hommes, des bergers pour la plupart, partaient avec leur troupeau pendant des mois".

Un avis partagé par Rita Faedda, une cinquantenaire dynamique qui jongle avec son appareil-photo et son caméscope pour ne pas perdre une miette du spectacle: "Les femmes sardes sont plus fortes que les hommes, alors à l'occasion des fêtes ils essayent de les mettre de côté", plaisante-t-elle.

"Sans elles il n'y aurait pas de Sartiglia: ce sont les femmes qui assurent toute la préparation, cousent les vêtements... Elles méritent vraiment la parité", conclut-elle.

Un voeu en bonne voie d'être exaucé au vu du nombre de fillettes qui ont pris part la veille à la Sartiglietta, "la petite Sartiglia", réservée aux enfants.

Autre présage favorable: dès sa première tentative, Elisabetta a réussi à enfiler l'étoile d'argent au bout de son épée. Ovationnée par un public en délire, elle a conforté dans son choix le président des menuisiers, qui n'a pas pu retenir quelques larmes d'émotion.