Depuis plusieurs années, joueuses et joueurs de tennis sont la cible sur les réseaux sociaux d'insultes et menaces de la part d'individus parmi lesquels des parieurs haineux, un phénomène que les instances n'endiguent pas et qui se déporte désormais dans les tribunes.

Ce mal qui gangrène de plus en plus le tennis ne se limite plus à l'anonymat des écrans. En plein match, mardi, lors de l'Open Sud de France à Montpellier, Benoit Paire a répondu à un spectateur qui l'invectivait. Le dialogue, capté par les caméras, est éloquent.

« Quoi, après le match ? Tu te prends pour qui pour me parler comme ça ? », éructe le joueur, connu pour son comportement parfois limite sur les courts, mais dont l'énervement paraît là justifié.

En conférence de presse après la rencontre, le Français a raconté que l'homme l'aurait menacé : « Il m'a dit : +Je t'attends à la fin+. Quand on me dit ça... Je voyais qu'il était en train de parier et des personnes comme ça n'ont rien à faire dans un stade. »

« C'est une plaie, a poursuivi Benoit Paire. Mais on est des joueurs professionnels et on sait que des gens parient. Quand on s'en prend à nous sur les réseaux sociaux, on essaie de faire abstraction. Mais quand c'est dans les tribunes et qu'une personne nous menace, je ne trouve pas ça terrible. »

Selon Frédéric Tuzi, directeur de production du tournoi montpelliérain, la sécurité est intervenue et a obligé les perturbateurs à quitter le court. Un incident similaire s'était produit peu auparavant lors de la défaite de Gaël Monfils face à l'Italien Flavio Cobolli, et le Français s'en était ouvert au superviseur.

« C'est assez difficile à anticiper, ce sont des spectateurs lambda. C'est un problème nouveau et auquel il va falloir réfléchir pour protéger les joueurs, a expliqué à l'AFP Frédéric Tuzi. Je pense que l'ATP va devoir prendre des mesures et réfléchir à des moyens de contrôle plus stricts », a-t-il ajouté.

« Une plaie »

Ce n'est peut-être pas la première fois qu'une menace de cette sorte est proférée par un spectateur sur un court. Mais la scène a cette fois-ci été filmée, donnant corps à cette plaie que les instances du tennis se révèlent incapables de stopper.

Cela fait une petite dizaine d'années que joueuses et joueurs dénoncent régulièrement ces messages de haine reçus sur leurs réseaux sociaux. Mais la prise de conscience semble tarder à venir.

Dès 2016, l'Afro-Américaine Madison Keys, à l'époque 9e joueuse mondiale, avait relayé sur son compte Instagram le flot d'insultes racistes qu'elle recevait. Une démarche imitée ensuite par beaucoup de joueuses et joueurs. Gaël Monfils l'a fait en 2020, partageant sur une story Instagram des messages d'insultes à son encontre, tout comme Caroline Garcia quelques jours plus tard.

« Sale p***, j'espère que ta mère t'a abandonnée quand t'es née, va mourir », pouvait-on ainsi lire sur un message reçu par la meilleure joueuse française, dévoilé dans un documentaire de la chaîne L'Equipe en juin 2022.

Deux mois plus tôt, Benoit Paire avait publié certains de ces messages haineux reçus via sur Twitter, devenu X: « S'il te plaît, meurs » ("please die"), « On va te tuer » ("te vamos a matar"), « Gros con, arrête le tennis et va faire de la danse ».

Les instances qui régissent le tennis mondial ne sont pas restées totalement inertes face à l'ampleur du phénomène. L'ATP et la WTA collaborent avec la société d'évaluation et de gestion des risques Theseus afin de permettre aux joueuses et aux joueurs de signaler leurs harceleurs, signalements qui peuvent ensuite être transférés aux autorités policières. Mais rien n'est parvenu à stopper les torrents d'insultes déversés chaque semaine.

« Dérive »

« Peu de joueurs au final font cette démarche, sans doute par lassitude. Et puis certains sont moins atteints que d'autres », a expliqué à l'AFP une source proche de la Fédération française de tennis.

En avril 2023, la FFT avait annoncé qu'elle proposerait aux joueurs et joueuses participant à Roland-Garros d'utiliser l'application +BodyGuard+, qui permet de bloquer les commentaires « désobligeants » sur leurs réseaux sociaux.

Mais la haine en ligne ne touche pas que le tennis. A six mois des JO de Paris, une étude de l'Arcom présentée le 23 janvier a révélé que la moitié des fans de sport actifs sur les réseaux sociaux a déjà ciblé un sportif avec des messages négatifs, dont des insultes.

Cette « dérive (...) pourrait anéantir des envies de faire du sport », avait réagi le président du comité d'organisation des JO de Paris (26 juillet - 11 août), Tony Estanguet.

Une autre étude, menée à l'échelle mondiale celle-ci, sous l'égide de l'ONG United against Online Abuse (UAOA, Unis contre les attaques en ligne) et publiée jeudi, a donné l'occasion, à certaines des plus grandes fédérations sportives internationales, parmi lesquelles la Fifa (foot), le CIO (olympisme) ou encore l'ITF (tennis), ayant répondu au questionnaire, de tirer la sonnette d'alarme.

« Près de 90% des répondants sont +fortement+ ou +plutôt+ d'accord avec l'idée que les agressions en ligne peuvent potentiellement amener les athlètes à abandonner leur carrière », a souligné le communiqué présentant les résultats de l'étude.