MONTRÉAL – Dès que la connexion Zoom s’établit, le grand sourire de Junior Luke frappe. On ne s’attendait pas à retrouver un athlète aussi serein alors que la saison de la Ligue canadienne de football a écopé en raison de la pandémie. Mais qu’est-ce qui a piqué ce jeune homme autrefois reconnu pour son côté taciturne et impulsif ?

Né dans le quartier St-Michel, Luke a réussi à éviter les ennuis la plupart du temps. 

« Oui, je traînais avec plusieurs types de personnes, des gens dans une gang de rue, d’autres qui fumaient ou qui consommaient beaucoup de drogue. Moi, je ne juge personne. Mais, ma mère m’a toujours dit de ne pas trop m’éloigner de la maison. Je n’étais pas tant terrible honnêtement », a tracé Luke comme portrait. 

« Mais, à l’école, c’était vraiment plus difficile surtout en français et en mathématiques, j’avais de la misère. J’ai dû refaire mon secondaire I », a-t-il précisé. 

« Il y a des moments que j’ai pleuré. C’était un combat entre moi et ces cours. Je ne me voyais pas avec un avenir plus loin qu’un travail dans un entrepôt à cause de l’école », a enchaîné Luke. 

En ce qui concerne le football, ça n’a pas été une révélation immédiate. Sa passion s’est plutôt développée graduellement. D’abord affecté sur la ligne offensive, il a traversé la tranchée en 2007. 

« Les entraîneurs m’avaient placé sur la ligne offensive avant parce qu’ils voyaient que j’étais silencieux, que je ne parlais pas tant et que j’étais dans mes affaires. Ils se disaient Ok, ce n’est pas un gars agressif. Mais je voulais être l’agresseur, celui qui plaque, parce que j’avais quand même de la misère avec mes émotions, je pouvais être impulsif et me fâcher très vite », a expliqué l’athlète de 28 ans au RDS.ca. 

Son rendement en 2008 et 2009 a fait saliver les entraîneurs collégiaux, mais le football n’était encore, à ses yeux, qu’un jeu avec ses amis. Junior Luke

« Je suis pas mal certain que les entraîneurs ont de la misère avec moi parce qu’une journée je pouvais être tranquille et, le lendemain, je ne les écoutais pas. Ils essayaient de me coacher et je ne suivais pas leurs conseils, je me fâchais. J’étais vraiment ‘tête dure’ », a-t-il avoué. 

Luke a opté pour Vanier afin d’étudier dans un CÉGEP anglophone. La langue de son père était plus facile à maîtriser pour lui, même si sa relation était nettement plus saine avec sa mère. Ça s’est tellement bien passé pour lui à Vanier que des programmes américains de la NCAA, Connecticut et Buffalo, ont voulu le recruter. 

« J’ai dit non après réflexion. Beaucoup de joueurs, quand ils ont cette opportunité d’aller jouer NCAA, ils vont la prendre tout de suite. Moi, je n’étais pas prêt. Je ne voulais pas impressionner les autres avec ça. Quand tu vas NCAA, c’est vraiment sérieux, c’est comme du professionnel. C’est littéralement Football first, School second », rappelle-t-il. 

Luke a frappé un mur à l’université 

Calme de nature, il a failli opter pour s’éloigner à Sherbrooke avec le Vert & Or. Il est finalement devenu un membre des Carabins de l’Université de Montréal, mais ça ne voulait pas dire que le saut serait facile pour autant. 

« À l’université, c’est là que j’ai foncé dans un mur », admet Luke d’emblée. 

« Je me suis demandé si je voulais vraiment faire ça quand on a commencé les entraînements par la course l’hiver, les jeudis vomis (c’est ainsi que les joueurs surnomment ces séances). Je suis arrivé sans être vraiment en shape. Je tenais un peu pour acquis le talent que j’avais, je ne voulais pas me forcer à m’entraîner, je trouvais ça trop lourd »,  s’est rappelé Luke. 

Junior Luke« Danny (Maciocia) était là, Ronald Hilaire aussi. Ce fut difficile pour eux. Ils voyaient que je me forçais une journée et que j’étais lazy après. Ils essayaient de comprendre comment je pensais. Est-ce que j’étais là parce que j’aimais ça ? Parce que je ne disais pas grand-chose. Par moments, je n’avais plus envie de jouer, c’était trop tough. Mais je ne pouvais pas abandonner, ç’aurait été la pire décision de ma vie. Moi, c’est vraiment étape par étape. Si tu me laisses prendre mon temps, comprendre ce que je dois faire, je vais me rendre », a-t-il ajouté. 

Ce même mur se prolongeait dans les classes. En raison de ses ennuis académiques, il a perdu sa bourse lors de sa deuxième année. Trop orgueilleux pour demander de l’aide sous forme de tutorat au départ, il devait corriger le tir. 

Le coup de pouce essentiel est venu de Jean-Pierre Chancy et Virginie Allard-Caméus. Ils ont trouvé l’option idéale pour Luke, celle de compléter un baccalauréat en cumulant trois certificats reliés à l’intervention auprès des jeunes. 

« Ah Junior, c’est l’exemple parfait de la persévérance ! Il avait certains défis au niveau académique, ce n’est pas nécessairement inné pour lui. Mais c’est quelqu’un qui veut beaucoup. On a opté pour un plan avec des cours qui sont plus concrets, moins dans les nuages ou théoriques », a commenté Allard-Caméus avec une admiration évidente. 

Ce qui épate le plus la conseillère académique, c’est que Luke a choisi de poursuivre ses cours durant l’hiver même après avoir entamé sa carrière dans la LCF avec les Lions de la Colombie-Britannique avec un salaire intéressant en tant que choix de première ronde.  

« C’est sûr que certains ne reviennent pas. Mais Junior, tout de suite à la fin de la saison, il m’a écrit pour me dire qu’il voulait vraiment continuer ses études. Pour vrai, c’est exceptionnel. On les décèle  rapidement ces athlètes, ceux qui sont prêts à bûcher ou ceux pour lesquels l’université est un passage sportif si on peut le dire ainsi. Pour lui, l’équilibre est important, il a compris qu’avec un papier, la conclusion de sa carrière de joueur, ce n’est pas la fin, mais le début d’une autre aventure », a cerné Allard-Caméus en vantant son authenticité. 

Un diplôme plus gratifiant qu’une carrière au football

Son visage laisse voir un peu de gêne quand on évoque cette persévérance académique. 

« Ouais, beaucoup de joueurs auraient décidé, tu sais quoi, après la saison je vais juste m’entraîner et prendre le chômage. Moi, je voulais vraiment le finir. Si ce n’avait pas été de Virginie et Jean-Pierre Chancy, je serais encore étudiant libre et que j’aurais peut-être été expulsé de l’école parce que je n’avais pas de bonnes notes », a-t-il remercié. 

Oui, le football l’a fait grandir à propos du respect et l’importance d’écouter les autres. Ça l’a motivé à poursuivre ses études et il y a également découvert des « figures paternelles » comme Paul-Eddy St-Vilien. Mais en l’écoutant se confier sur son parcours, on ressent le sentiment que ce diplôme éventuel (il doit compléter six cours) sera un plus grand accomplissement que sa carrière professionnelle au football. 

« C’est ça, exactement. Pour moi, les habiletés physiques et la compréhension du football, c’était facile. Mais d’où je suis parti à l’école comparativement où je vais finir, c’est le plus gros accomplissement que je peux avoir dans ma vie », a convenu Luke qui parvient à ses buts une étape à la fois. 

« Je ne suis vraiment pas la même personne par rapport à mon arrivée à l’université. Pas du tout! Parler de mon parcours comme ça, je ne l’aurais jamais fait. Je n’aurais pas été assez confiant. Même Danny n’en revenait pas de me voir parler autant à ma quatrième année. ‘Voyons, ce n’est pas Junior’ », a rigolé Luke qui habite avec sa mère dans une propriété qu’il a acheté avec ses économies. 

« Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il a eu une révélation, mais il a compris le potentiel qu’il détenait s’il plongeait sa tête dans le foot et qu’il s’ouvrait aux autres. Avant, il était souvent dans sa bulle, Il n’avait pas une très grande ouverture au-delà de ses idées à lui. Il a cheminé comme personne. Junior, c’est un gars spécial à mes yeux, un jeune avec un grand cœur et parfois trop », a exposé St-Vilien que tout le monde appelle Coach Polo. 

Cette assurance, il ne l’a pas gagnée dans la guerre des tranchées où il excellait déjà. Elle vient plutôt de ses réussites scolaires. 

« Je ne peux pas arrêter. Sinon, je dirai quoi quand je serai marié et quand j’aurai des enfants. Si le talent m’a aidé au football, d’autres aspects ont été beaucoup plus difficiles pour moi et ça se passait surtout mentalement. On sait tous que quand tu n’as pas le mental, c’est trop dur d’avancer », a conclu Luke qui a fait des pas de géant et ce n’est pas pour rien qu’il est en paix présentement.