MONTRÉAL – Les questions sont apparues très tôt dans la carrière athlétique de Michaël Dufort.

À 18 ans, le combattant de Saint-Jean-sur-Richelieu a perdu ses deux premiers combats sur la scène locale des arts martiaux mixtes. Deux années complètes se sont ensuite écoulées avant qu’il ne remonte dans la cage et n’obtienne sa première victoire.

« Je te dirais que ça a été plus difficile de me dire que j’allais continuer là-dedans après ces deux défaites que ça l’a été dernièrement à cause de la pandémie, compare-t-il avec le recul. À l’époque, je me suis sérieusement demandé si j’étais fait pour ça. Il y en a eu, des questionnements. »

Dufort a fini par se faire un nom. Entre 2014 et 2019, il a signé sept victoires en huit combats, sa seule défaite survenant aux mains de Jesse Ronson, un Ontarien qui a goûté à l’UFC. Mais son ascension, comme celle de plusieurs de ses pairs, a frappé un mur. La fin des opérations de l’organisation montréalaise TKO l’a privé d’une précieuse plateforme, puis la crise sanitaire l’a éloigné des gymnases. Les restrictions nées de la lutte contre la COVID-19 ont forcé plusieurs athlètes à se tourner vers un plan B.

À contre-courant, Dufort a décidé de faire exactement le contraire.

« À un moment donné, il faut que tu fasses un choix. Est-ce que tu peux vraiment gagner ta vie avec ça? Moi, j’ai décidé de faire le sacrifice que oui, j’allais gagner ma vie avec ça. [La réflexion] a été plus simple qu’on pense. Je me vois là-dedans. Je me vois trop là-dedans pour douter. »

Dans quelques jours, Dufort devrait avoir une bonne indication du degré de sagesse de sa décision. Après s’être trouvé deux combats en 2021, il a été recruté par la Professional Fighters League (PFL), la même organisation pour laquelle son partenaire d’entraînement Olivier Aubin-Mercier a fait ses débuts l’an dernier. Des galas diffusés en direct sur ESPN aux États-Unis. Une bourse d’un million de dollars promise au champion de chaque division. Ces possibilités le font rêver.

« Tu reçois un appel, c’est la PFL qui veut que tu te battes pour elle, c’est une opportunité absolument incroyable. C’est énorme », conçoit le détenteur d’une fiche de 8-4 chez les professionnels.

Le 18 mars, il affrontera l’Américain Arut Pogosjan dans un nouveau concept que la PFL a intitulée « Challenger Series ». Le concept, similaire à ce qu’a instauré l’UFC avec ses Dana White’s Contender Series, met aux prises des combattants de la relève en leur faisant miroiter la possibilité de décrocher un poste permanent avec l’organisation.

Concrètement, Dufort fera partie de l’un des quatre combats à l’affiche le soir de sa compétition. La performance de chacun des gagnants sera soumise au jugement d’un panel d’experts ainsi qu’au vote populaire. Celui qui aura livré la performance jugée la plus spectaculaire se verra remettre son billet pour participer à la saison 2022.

« Ça va être une grosse tâche, mais je n’ai pas de doute que je vais être à la hauteur du test, proclame Dufort. J’ai un style vraiment flamboyant, le style parfait pour gagner ce genre de compétition. Je vais juste laisser aller mon style puis on va voir où ça va mener, mais je suis confiant. »

De l’aide de Décarie

Dufort a signé six de ses huit victoires par soumission. Son prochain adversaire n’a subi que trois défaites, mais deux d’entre elles se sont soldées par un abandon. L’histoire du combat ne s’écrira pas qu’à l’encre puisée dans ce détail, mais le Québécois y voit quand même une faille potentielle à exploiter.

« J’ai l’intention de l’amener dans mon monde. Si on peut faire une métaphore, j’ai l’intention d’être le boulet après sa jambe pour qu’il se noie. Je veux l’amener dans mon monde et je ne veux pas qu’il soit capable de sortir de là. Je vais m’assurer d’être persévérant. Il faut que je persévère dans mes tentatives d’amenées au sol, mes tentatives de soumission. Je me répète, mais j’ai confiance en mes moyens. Je vais l’amener dans mon monde et je vais faire ce que j’ai à faire. »

Dufort ne veut pas que son insistance sur ce point soit interprétée comme un aveu sur son unidimensionnalité. Déjà épaulé par ses hommes de coin Richard Ho et Nathan Roy, l’élève des gyms H2O et Tristar a pu compter sur la contribution de l’entraîneur de boxe Samuel Décarie pendant son dernier camp d’entraînement. L’idée était justement de travailler sur un aspect des MMA qui l’a moins récompensé à ce stade de sa carrière.

« Le côté toughness, je l’ai toujours eu. Je l’ai prouvé dans plusieurs de mes combats. À mon actif j’ai deux combats de championnat et ça a été deux combats de l’année. J’ai mangé des bons coups, malheureusement, mais j’ai montré que j’étais tough, capable de pousser malgré la pression. Là j’ajoute une finesse qui devrait être assez surprenante pour mon adversaire qui doit s’attendre à un tough guy, mais peut-être pas plus que ça. Il se fout le doigt dans l’œil s’il s’attend à voir le même athlète qu’il a vu sur vidéo. »

Un malaise d’un million

Si tout devait se dérouler comme il le visualise, Dufort pourrait se retrouver confronté à un certain malaise.

Aubin-Mercier et lui ont tissé des liens serrés au cours des dernières années. Le « Canadian Gangster » est devenu un partenaire d’entraînement d’une valeur inestimable pour Dufort en plus d’être un allié de taille dans l’avancement de sa carrière. En accompagnant son ami dans les événements de la PFL, Dufort est devenu un visage connu dans les coulisses de l’organisation. Il est convaincu que cette familiarité a joué en sa faveur lorsque son agent a fait les démarches pour lui trouver du boulot dans les derniers mois.

Les deux gars habitent le même quartier, fréquentent les mêmes gyms et partagent les mêmes entraîneurs. Ils combattent aussi dans la même catégorie de poids. Et donc si Dufort réussit à inscrire son nom à l’horaire de la saison 2022 de la PFL, son grand complice deviendra automatiquement un adversaire potentiel.

« Je ne me suis pas trop permis d’y penser parce qu’il y a beaucoup de travail à faire pour se rendre là, répond Dufort lorsque confronté à cette déchirante possibilité. Olivier a un peu abordé le sujet, mais moi ma mentalité, ma perception de la chose, c’est qu’un combat entre nous deux, ça n’arrivera pas durant la saison. Je pense vraiment que PFL ne fera pas ça. Donc si le combat a lieu, ça sera dans le tournoi, où il y a seulement quatre athlètes en compétition. À ce moment-là, ça voudrait dire qu’on aurait une chance sur deux d’aller chercher le million. Rendu là, je pense qu’on serait prêt. »