J'ai lu et entendu plusieurs commentaires cette semaine concernant le temps relativement modeste enregistré par le jeune Érythréen de 19 ans, Ghirmay Ghebreslassie, lors de sa récente victoire au marathon des Championnats du monde d'athlétisme, à Pékin. Permettez-moi d'abord de préciser que 2 heures 12 minutes et 27 secondes, c'est très rapide pour parcourir 42,195 kilomètres à la course! Mais permettez-moi surtout de vous rappeler qu'on ne doit jamais comparer des chronos de marathons entre eux en raison de multiples facteurs.

D'abord, tous les parcours sont uniques. Le dénivelé de celui de la capitale chinoise était beaucoup plus redoutable que ceux, par exemple, de Berlin ou Boston. Dans le cas de Berlin, là où fut établi le record actuel et officiel de la distance en 2014 (Dennis Kimetto en 2 heures, 2 minutes et 57 secondes), il a moins de 20 mètres de dénivelé et est à l'abri du vent ce qui en fait l'un des marathons les plus rapides de la planète, celui où le record du monde fut battu à sept reprises depuis 1998. C'est énorme!

Le deuxième chrono le plus rapide de l'histoire fut établi à Boston par le Kenyan Geoffray Mutai en 2011 (2 heures 3 minutes et 2 secondes) mais il n'est pas éligible au livre des records puisque le parcours de Boston est non-sanctionné comme parcours de record mondial. En gros, il descend trop et est trop en ligne droite.

Deuxièmement, la température et les conditions climatiques varient énormément d'une épreuve à l'autre et d'une année à l'autre. Tous les joggeurs savent très bien qu'il est plus facile d'abaisser son chrono par temps frais que par canicule. Avis à tous ceux qui s'entraînent présentement pour participer à leur premier marathon : Croisez-vous les doigts pour que le soleil ou l'humidité ne se pointent pas le bout du nez lors de votre épreuve!

Enfin, l'utilisation de lièvres n'est pas permise à tous les marathons. C'était le cas à Pékin. Je ne vous parle pas de ce charmant petit animal sauvage à longues oreilles de la famille des léporidés, mais plutôt des coureurs désignés pour dicter le rythme de la course et aider l'élite à enregistrer des chronos rapides.

Ces lièvres sont des coureurs chevronnés chargés de favoriser la performance d'un autre concurrent en menant une longue partie du marathon. Souvent cela peut aller jusqu'au 35e kilomètre. Ils donnent à la course une allure suffisante tout en s'assurant de respecter des temps de passage définis à l'avance pour permettre aux coureurs élites de battre des records. Ils abandonnent parfois avant la fin de l'épreuve, complètement exténués, ou après avoir considérablement ralenti. Qu'importe, ils ont fait leur boulot!

Il s'agit d'une pratique qui a vu le jour et qui est devenue très populaire au tout début des années 80. Les grands marathons ont tôt fait de le permettre pour ainsi attirer les meilleurs athlètes du moment. Il devenait plus facile pour eux d'enlever les bourses spéciales remises aux gagnants établissant de nouvelles marques mondiales. Tous les records du monde du marathon des 20 dernières années, autant masculin que féminin, furent établis par des coureurs ayant eu l'aide de lièvres.

Voilà ce qui explique le temps modeste de Gebresselasie à Pékin. Le parcours était difficile, il faisait très chaud et il n'avait pas de lièvres pour l'aider.

Une pratique à revoir

Je n'ai jamais été pour l'utilisation de ces lièvres. Selon moi, ils nuisent davantage au sport qu'ils n'y contribuent. Cette pratique devrait être carrément interdite.

Comprenez-moi bien, je ne parle pas ici des coureurs se promenant avec des oreilles de lapins, des ballons ou de longues perches lors des marathons et qui sont là pour dicter le rythme des coureurs désireux de respecter un objectif. Sont affichés sur leurs maillots ou leurs ballons des chronos de 3 h, 3 h 30, 4 h, 4 h 30, etc. Il y a un petit côté sympathique et rassurant à les voir passer avec leurs cohortes de disciples, des gens comme vous et moi qui courent pour le plaisir et qui s'entraînent du mieux qu'ils le peuvent.

Je vise plutôt les lièvres embauchés pour aider des coureurs professionnels à la recherche de victoires ou de records auxquels sont rattachés d'importantes sommes d'argent. Je crois sincèrement qu'il s'agit de tricherie et que ces lièvres constituent une aide extérieure, ce qui est absolument interdit!

Groupe de marathoniensLorsque je vois trois ou quatre Éthiopiens ou Kenyans prendre les devants au marathon de Berlin et faire un véritable mur devant celui qu'ils « tirent », je m'emporte. Aussi bien lui offrir un pare-brise pour lui couper le vent et lui permettre de se reposer au maximum avant d'attaquer les derniers kilomètres. Et que dire du fameux record du monde féminin de la Britannique Paula Radcliffe et qui tient bon depuis 2003 (2 heures 15 minutes et 25 secondes), sinon qu'il fut réalisé avec l'aide de lièvres masculins!

Lorsque je regarde un marathon aux Championnats du monde ou aux Jeux olympiques, ce n'est pas à un record du monde auquel je veux assister, mais plutôt à une course. C'est aussi simple que ça! Que les meilleurs se battent à armes égales. Ainsi, plutôt que d'assister au couronnement d'un athlète parcourant seul les derniers kilomètres à la recherche d'un record de temps après avoir été aidé pas ses lièvres, je préfère grandement le spectacle de coureurs aux coudes à coudes jusqu'à la toute fin. Ce n'est pas le chrono qui est important, mais la course. Sans lièvres, il reviendrait aux meilleurs de la planète de bâtir eux même leurs stratégies pendant l'épreuve. Le spectacle n'en serait que meilleur et le mérite au vainqueur encore plus grand.

Ne vous étonnez pas si de plus en plus de grands marathons interdisent maintenant les lièvres. Après New York et Boston, Chicago est le dernier en lice. On souhaite favoriser de plus belles stratégies et tactiques de course et ne plus voir les coureurs s'installer confortablement derrière les lièvres et suivre docilement le rythme jusqu'à l'attaque finale. Désormais, pour gagner, les meilleurs devront réfléchir et être aux aguets.

C'est exactement ce qu'a fait Ghebreslassie à Pékin. Alors, dites-moi, êtes-vous toujours déçu de son temps?