Blogue : une peine immense
Amateurs vendredi, 12 févr. 2010. 21:40 mercredi, 11 déc. 2024. 07:43Je ne couvre pas la luge. Je n'y connais pas grand-chose. J'ai toujours pensé qu'il fallait être fait d'une matière un peu spéciale pour s'élancer dans un couloir de glace, les pieds devant, et a
Je ne couvre pas la luge. Je n'y connais pas grand-chose. J'ai toujours pensé qu'il fallait être fait d'une matière un peu spéciale pour s'élancer dans un couloir de glace, les pieds devant, et atteindre des vitesses qui défient l'imagination.
J'étais dans le centre de presse du ski alpin quand le titre sur un écran de télé a attiré mon attention : « Terrible accident à la luge » pouvait-on lire en anglais. Les images défilaient ensuite, montrant crûment le jeune athlète géorgien de 21 ans, Nodar Kumaritashvili, percuter violemment une poutre métallique après avoir été éjecté de sa luge au sortir d'un virage. Il n'y avait presque personne dans la salle, les entraînements de ski alpin ayant été de nouveau annulés, mais ceux qui étaient là ont retenu leur souffle et écarquillé les yeux. Nous ne connaissions pas encore les conséquences dramatiques de l'accident, mais nous savions intuitivement qu'il ne pouvait en être autrement.
Cet athlète savait qu'il pratiquait un sport à haut risque, mais il devait penser, comme tous ceux qui se lancent dans des sports où la vitesse est un élément clé, que ce risque était calculé. Qu'il pouvait se blesser certes, sérieusement même, mais probablement pas au point d'y laisser sa vie. Les questions sont nombreuses aujourd'hui. La première qui m'est venue à l'esprit, et à celui de beaucoup de gens, c'est « pourquoi des poutres d'acier en bordure d'une piste, à la sortie d'un virage et qui plus est, à l'un des endroits les plus techniquement difficiles de la descente? »
Je l'ai posée à Jean-Paul Baert notre spécialiste en luge, bobsleigh et squeleton, et il n'a pu me répondre. Il se pose lui aussi la question. À Turin, on estimait que la piste était trop rapide et dangereuse. À Whisthler, pour les Jeux de Vancouver, on a augmenté la vitesse de 15%. Jusqu'où poussera-t-on la recherche du « toujours plus haut, toujours plus loin... », jusqu'où ira-t-on pour inscrire des records? Quelqu'un a sanctionné cette piste, quelqu'un en a approuvé les plans et la réalisation. Avait-on un doute à ce moment sur la dangerosité de la piste? J'espère que celui qui a signé les plans n'en avait pas. Pas même l'ombre d'un seul, parce que si le doute existait, c'était criminel de laisser aller. Erreur de conception? Erreur de réalisation? Erreur de pilotage?
J'ai le cÅur chaviré aujourd'hui, une peine immense. Rien, absolument rien, ne justifie la mort d'un jeune athlète de 21 ans. Il est arrivé ici le cÅur gonflé de fierté à l'idée de représenter son pays, plein d'espoirs et d'attentes, certainement déterminé à faire de son mieux dans un sport qu'il aimait. Cela lui aura coûté la vie.
La disparition de ce jeune Géorgien va jeter un voile sur la cérémonie d'ouverture des Jeux. Elle va certainement toucher aussi les 5,500 athlètes qui participent à ces Jeux. Il sera disparu avant que les Jeux commencent, mais son nom restera gravé à jamais. Non pas sur une médaille comme il l'aurait souhaité, mais dans le cÅur de tous les athlètes et de tous ceux qui regarderont ces Jeux d'hiver 2010. À commencer par le mien. Nodar Kumaritashvili