BRUXELLES (AFP) - L'insolente hégémonie du roi éthiopien Kenenisa Bekele, auteur samedi et dimanche à Bruxelles d'un troisième doublé consécutif aux Mondiaux de cross-country, a mis à nu la régression des Kényans, battus pour la première fois par équipes chez les messieurs depuis 1986.

Au parc de Laeken, les hommes au maillot rouge, qui n'avaient jamais failli à leur devoir élémentaire en 18 ans, ont non seulement été devancés par l'équipe d'Addis-Abeba, mais également par l'Erythrée, qui a complété la suprématie de l'Afrique orientale.

"Nous avons perdu quelque chose qui était très précieux dans notre héritage athlétique", a regretté depuis sa ferme de Nandi Hills (ouest) Mike Kosgei, l'homme qui avait fait naître la domination kenyane il y a près de 20 ans.

La déferlante éthiopienne a été impressionnante. Alors que les représentants de Nairobi avaient encore conquis l'an dernier à Avenches (Suisse) quatre titres par équipes sur six, ils en ont conservé un seul (juniors messieurs) à Bruxelles, laissant la part du lion (cinq) à leurs voisins.

Un chiffre est éloquent. En cross long (12 km), Bekele a infligé un abîme de 42 secondes au premier non Ethiopien, le jeune Kenyan Eliud Kipchoge (4e), champion du monde du 5000 m en 2003, devant le Marocain Hicham El Guerrouj et Bekele.

Problèmes

La débâcle a exprimé sur le terrain une situation qui s'est dégradée depuis quelques années, avec notamment des dissensions au sein de la Fédération, qui s'est endormie sur ses lauriers, et une mauvaise coordination entre la direction technique, pas assez autoritaire, et les entraîneurs et manageurs des athlètes. Ces problèmes ont contribué à fragiliser le train rouge, déjà poussif lors des Championnats du monde d'athlétisme 2003 de Paris/Saint-Denis.

Le malaise avait été révélé il y a un an avec le départ de champions de premier plan pour le Qatar, attirés par d'alléchants avantages financiers mais également lassés par le laisser-aller.

En cross-court, les nouveaux Qataris, dont le champion du monde du 3000 m steeple Saif Saaeed Shaheen (ex Stephen Cherono), ont également précédé leurs anciens compatriotes. "Le niveau de vie a augmenté. Nos athlètes ont peut-être moins faim", a remarqué un journaliste.

"Que pouvait-on faire? Bekele était vraiment le plus fort", a constaté Eliud Kibet Kirui, presque heureux d'une sixième place en cross court, qui en a fait le meilleur Kenyan de l'épreuve.

Le règne de Bekele, qui n'a pas encore 22 ans, pourrait se prolonger. "Un jour, il prendra tous ses records à Hailé Gebresselassie", annonce son manageur néerlandais Jos Hermens. Qui ne risque pas trop de se tromper.

Quand Bekele, un des six enfants d'une famille d'agriculteurs, en aura fini avec les records sur piste de son prédécesseur au pays du roi Salomon, nul doute qu'il voudra marcher sur les pas du légendaire marathonien Abebe Bikila, fondateur de la dynastie éthiopienne des grands coureurs de fond.