L'heure des comptes a sonné pour Lamine Diack et son fils
Athlétisme samedi, 6 juin 2020. 08:14 jeudi, 12 déc. 2024. 15:56Cinq ans après un retentissant scandale de corruption sur fond de dopage en Russie, l'heure des comptes a sonné pour l'ancien patron déchu de l'athlétisme mondial, Lamine Diack, attendu lundi matin au tribunal de Paris pour être jugé avec son fils et quatre autres protagonistes.
L'affaire, qui avait éclaté en novembre 2015 avec l'arrestation du Sénégalais en région parisienne, a généré d'autres dossiers sulfureux qui ont terni l'image du sport : depuis 2016, la Russie a été sanctionnée pour dopage institutionnel à grande échelle et la justice française est désormais aussi saisie de soupçons de corruption dans l'attribution des JO de Rio-2016 et Tokyo-2020.
Interdit de quitter la France, l'ancien patron de la Fédération internationale d'athlétisme (IAAF, 1999-2015), que le parquet national financier accuse d'avoir mis en place « une véritable organisation criminelle », risque jusqu'à dix ans de prison pour corruption active et passive, abus de confiance et blanchiment en bande organisée.
L'un de ses anciens conseillers français, l'avocat Habib Cissé, et l'ancien responsable du service antidopage de l'IAAF, Gabriel Dollé, comparaissent pour corruption passive.
Acteur clé de l'affaire, Papa Massata Diack, le fils de Lamine et ancien puissant conseiller marketing de l'IAAF, qui a toujours échappé à la justice française, sera probablement absent. Son avocat à Paris, Me Antoine Beauquier, demande le renvoi du procès car ses deux autres avocats sont bloqués à Dakar par la fermeture des frontières. Une demande examinée lundi matin, au premier des six jours d'audience, alors que les débats avaient déjà été renvoyés en janvier en raison de problèmes de procédure.
passeport biologique
Devant la 32e chambre correctionnelle, l'ancien président de la Fédération russe d'athlétisme, Valentin Balakhnitchev, et l'ancien entraîneur national des courses de fond, Alexeï Melnikov, soupçonnés d'avoir soutiré des fonds à des athlètes dopés en échange de leur protection contre des sanctions, pour un total évalué à 3,45 millions d'euros, devraient aussi manquer à l'appel.
Ingérences politique, dopage et sommes colossales déversées par les sponsors et les droits télé, l'affaire concentre beaucoup de dérives du sport. Elle démarre au début des années 2010, avec l'arrivée dans l'arsenal antidopage du passeport biologique, qui permet de déceler des variations sanguines suspectes. L'étau se resserre alors sur la Russie et en novembre 2011, une liste de 23 athlètes suspects est établie.
Au même moment, Lamine Diack, son fils et Habib Cissé multiplient les voyages à Moscou. Les dossiers disciplinaires, eux, traînent en longueur, permettant à plusieurs athlètes de participer aux JO de Londres-2012. Certains y seront même sacrés (Kirdyapkin 50 km marche, Zaripova 3.000 m steeple), avant d'être déchus.
de Moscou à Dakar
Lamine Diack, 87 ans dimanche, a reconnu que les sanctions ont été échelonnées pour éviter de plomber l'image de la Russie et favoriser les négociations sur les droits télé et les sponsors en vue des Mondiaux-2013 à Moscou. "Il fallait différer la suspension des athlètes russes pour obtenir le contrat VTB", une banque d'Etat russe, a-t-il avoué durant l'enquête. Il a aussi concédé qu'il avait obtenu 1,5 million d'euros de la Russie pour faire campagne contre le sortant Abdoulaye Wade à la présidentielle sénégalaise de 2012.
Mais pour ses avocats, les athlètes russes ont finalement été sanctionnés (la plupart en 2014) et Lamine Diack voulait sauver l'IAAF de la banqueroute. Ils réfutent tout lien entre le jeu diplomatique de Moscou en Afrique et les dossiers sportifs.
L'affaire n'aurait peut-être jamais vu le jour si la marathonienne Liliya Shobukhova, finalement suspendue en 2014, n'avait pas demandé un remboursement à ses maîtres chanteurs. Un virement de 300.000 euros à son profit, provenant d'un compte à Singapour, a permis de remonter à Papa Massata Diack. Les noms de plusieurs autres athlètes et des sommes apparaissent sur des notes saisies chez Habib Cissé, mais la trace de l'argent n'a pas été retrouvée.
Lamine Diack sera aussi jugé pour avoir permis à son fils de s'approprier plusieurs millions d'euros dans les négociations avec les sponsors, soit en imposant ses sociétés comme intermédiaires, soit en s'attribuant des commissions "exorbitantes". L'enquête n'a pas évalué de montant, mais la fédération internationale, partie civile comme le Comité international olympique (CIO) et l'Agence mondiale antidopage (AMA), réclame 24,6 millions d'euros de dommages et intérêts aux prévenus sur ce volet, sur un préjudice total qu'elle estime à 41 M EUR.
Les poupées russes des enquêteurs
Au départ, les juges d'instruction français devaient enquêter sur un système de corruption à la fédération internationale d'athlétisme (IAAF), mais ils ont démêlé une chaîne de virements suspects qui font aussi planer des soupçons sur l'attribution des JO d'été 2016 à Rio, de Tokyo-2020 et des Mondiaux d'athlétisme au Qatar.
Point commun à tous les dossiers: Papa Massata Diack, ou "PMD", ex-puissant consultant marketing de l'IAAF, qui a toujours échappé à la justice française, malgré plusieurs mandats d'arrêt internationaux et une convocation au procès qui s'ouvre lundi à Paris pour corruption sur fond de dopage en Russie. Il est soupçonné d'avoir monnayé son influence et celle de son père, Lamine, ex-président de l'IAAF (1999-2015) et ancien membre du Comité international olympique (CIO), pour se faire remettre plus de 10 millions de dollars (9 millions d'euros) de pots-de-vin.
Lamine Diack a lui été mis en examen pour corruption dans les trois volets (Rio-2016, Doha-2019, Tokyo-2020) de ce nouveau dossier, toujours en cours. Père et fils réfutent les accusations.
Tokyo-2020
Dans leur enquête sur l'IAAF, les juges français, compétents car des fonds ont pu être blanchis en France, ont découvert deux virements, remontant aux 30 juillet et 28 octobre 2013, en provenance d'un compte japonais sous le libellé "Tokyo 2020 Olympic Games Bid". Les dates intriguent, car Tokyo a obtenu les Jeux par un vote du CIO, dont Lamine Diack était un membre influent, le 7 septembre de la même année, à Buenos Aires. Mais surtout, l'argent, 2,8 millions de dollars singapouriens (1,8 million d'euros au cours actuel) au total, a atterri sur le compte de la société Black Tidings à Singapour, une "coquille vide" liée à Papa Massata Diack.
Dans le cadre d'une nouvelle information judiciaire, les juges ont convoqué et mis en examen fin 2018 pour corruption active l'ancien patron du comité de candidature de Tokyo-2020, Tsunekazu Takeda. Devant les juges, M. Takeda s'est défaussé sur ses collaborateurs, mais il a dû se retirer de la présidence du Comité olympique japonais.
Rio-2016
Dans le viseur des justices française et brésilienne, deux virements, pour 2 millions de dollars (1,8 M EUR), qui ont atterri sur des comptes de PMD le 29 septembre 2009, soit trois jours avant le vote du CIO qui a attribué pour la première fois l'organisation des JO à une ville d'Amérique du sud. L'argent provenait de la société Matlock Capital, derrière laquelle se trouve un entrepreneur brésilien, Arthur Soares, proche de l'ancien gouverneur de Rio, Sergio Cabral, aujourd'hui en prison dans son pays pour corruption. Les enquêteurs pensent que ces virements ont été effectués à la demande du patron du comité de candidature de Rio-2016, Carlos Nuzman, qui avait été arrêté à Rio en septembre 2017 puis placé en liberté conditionnelle.
L'ancien sprinteur namibien Frankie Fredericks s'est retrouvé à son tour impliqué, pour avoir reçu le 2 octobre 2009, le jour de la victoire de la cité carioca, un virement de 299.300 dollars d'une société de Papa Massata Diack. Or, Frankie Fredericks était scrutateur du CIO. Il s'est défendu d'avoir cédé à la corruption mais il a été mis en examen à Paris pour ce motif et suspendu du CIO.
Doha
Cette fois, les soupçons portent sur des paiements pour un total de 3,5 millions de dollars (3,1 M EUR), versés en octobre et novembre 2011 par la société Oryx Qatar Sports Investment (Oryx QSI), fondée par Khalid Al-Khelaïfi, qui gère les affaires de son frère Nasser, le patron du PSG et de la chaîne beIN Sports, au profit d'une société de marketing sportif dirigée par Papa Massata Diack. Pour obtenir de l'IAAF l'organisation de Mondiaux d'athlétisme de 2017 dans ce pays à la chaleur estivale écrasante ? En 2011, c'est pourtant Londres qui a été choisie, mais Doha avait remporté le morceau trois ans plus tard.
Nasser Al-Khelaïfi a toujours assuré devant les juges français qu'il n'avait pas de pouvoir de signature chez Oryx QSI. A ce stade des investigations, il est mis en examen pour corruption depuis mai 2019.