MONTRÉAL - Christine Girard a réalisé son rêve, le 31 juillet dernier, quand elle est devenue la première Canadienne à accéder à un podium olympique en haltérophilie féminine. La médaillée de bronze a toutefois eu droit à un réveil brutal à son retour de Londres.

Lorsqu'elle a décidé de reprendre l'entraînement en septembre, la Québécoise de 27 ans a appris qu'elle n'était plus la bienvenue au Semi Weightlifting Club dirigé par Dieter Stamm, où elle s'entraînait depuis qu'elle s'est installée à White Rock, en Colombie-Britannique, en janvier 2010.

«(Stamm) écrit toujours au tableau le programme d'entraînement qu'il veut que les athlètes suivent, et ça n'avait jamais été un problème que je m'en tienne à mon propre plan. Mais quand je suis revenue au club après les Jeux, il avait fait savoir verbalement que toutes les personnes qui voulaient entrer dans le local devaient faire ce qui était écrit au tableau, sinon ils n'étaient pas les bienvenus», a expliqué Girard lors d'un entretien téléphonique avec La Presse Canadienne.

«Au début, (Girard) m'avait demandé si c'était correct qu'elle garde le même entraîneur qu'elle avait au Québec, a de son côté déclaré Stamm de Surrey, où loge son club installé à l'école Semiahmoo. J'ai dit évidemment que c'était correct, parce que les Jeux olympiques s'en venaient. Et tu ne changes pas le programme d'entraînement d'un athlète d'expérience dans ce contexte.

«Mais (après les Jeux) je voulais qu'elle cesse d'être à part des autres. Sa présence rendait les choses difficiles pour moi», a indiqué Stamm, en faisant allusion au fait que plusieurs athlètes du club avaient commencé à suivre davantage le conseils de Girard que les siens.

«Des gens ont commencé à me poser des questions, à vouloir m'avoir comme entraîneur», a déclaré Girard qui, dès qu'elle a pris connaissance de l'ultimatum lancé par Stamm, est allée le voir afin de lui suggérer de travailler ensemble.

Une discussion d'une dizaine de minutes a été suffisante pour constater que leurs positions étaient irréconciliables. Girard s'est dit prête à mettre de l'eau dans son vin, mais pas Stamm.

«Il n'y avait pas de juste milieu à négocier, a lancé Stamm en entrevue. Les programmes d'entraînement hybrides, comme je l'ai appris avec le temps, ne fonctionnent pas. Christine pense que si un haltérophile rate des levées, il doit redescendre à des poids moindres. Mais ce n'est pas de cette façon que fonctionne un champion.

«Christine se concentre seulement sur le transfert de poids. Mais il faut aussi tenir compte du processus mental qui t'amène à bien faire ce transfert de poids.»

Girard, elle, trouve que Stamm s'en tient à des programmes d'entraînement modelés il y a 30 ans, à une époque où le dopage était tellement courant qu'il suffisait souvent d'aller voir le médecin pour se faire prescrire une substance qui, aujourd'hui, est considérée dangereuse pour la santé.

«Il n'y avait pas de place pour un roi et une reine au club, a résumé Stamm, qui dit avoir quand même évolué au fil des ans. Alors je lui ai dit qu'il valait mieux pour elle de fonder son propre club, comme elle m'en avait déjà parlé.»

Près d'une dizaine d'athlètes ont suivi Girard, ce qui a mené à la fondation de Kilophile, club qui s'installera en janvier dans une école à Langley, près de la résidence de Girard, et en février dans les installations olympiques de l'ovale de Richmond, qui ont été bâties en vue des JO d'hiver de 2010.

L'histoire aura donc un dénouement heureux, mais Girard n'a pas apprécié de se retrouver avec un tel casse-tête — et des dépenses inattendues — alors qu'elle s'attendait à vivre une accalmie de quelques mois. Elle s'est retrouvée à devoir accueillir, cet automne, ses nouveaux élèves dans le garage de sa résidence. Ce qui était loin d'être l'idéal, même si l'endroit était déjà aménagé pour l'haltérophilie puisque Girard s'y entraînait périodiquement avant les Jeux.

«J'y ai aménagé un deuxième plateau, mais il faut quand même y aller à tour de rôle. Et les athlètes qui sont plus grands ne peuvent pas faire des levées complètes parce que le plafond n'est pas assez haut», a souligné Girard.

«Mais ça ne donne rien d'être fâchée contre (Stamm). Depuis 40 ans qu'il donne de son temps comme bénévole. Ce club est son monde, ça lui appartient. Je n'avais pas le droit (moral) de m'obstiner face à lui. Mais je suis un peu fâchée contre le système sportif», a ajouté celle qui aurait cru avoir la possibilité de simplement traverser la rue et de se joindre à un autre club existant.

Ce qui n'était pas le cas. Selon le répertoire de la fédération de la Colombie-Britannique, il n'existe qu'une vingtaine de clubs dans la province.

«Si on veut que notre pays soit fort dans plusieurs sports, il faut rendre ces sports accessibles à plus de personnes. Je veux que les choses changent, et pas juste dans mon sport», a déclaré Girard, qui se donne encore un an et demi, soit d'ici le début d'un nouveau cycle de qualification olympique, pour décider si elle poursuivra sa carrière d'athlète ou se consacrera à temps plein au coaching.

«C'est sûr et certain que je ne ferai pas quatre ans encore en m'entraînant dans mon garage. Je vais voir comment ça se déroule avec Kilophile. Si ça évolue bien et que j'ai un endroit adéquat où m'entraîner, il y a plus de chances que je continue», a-t-elle indiqué.