L'imbattable record canadien
Course à pied dimanche, 20 déc. 2015. 10:36 samedi, 14 déc. 2024. 01:31Il y a des records sportifs qui donnent parfois l’impression qu’ils ne seront jamais battus. Les 56 matchs consécutifs avec un coup sûr de Joe DiMaggio, les 92 buts en une saison de Wayne Gretzky et les 100 points en un seul match de Wilt Chamberlain en sont de bons exemples.
Au Canada, nous avons célébré le 7 décembre dernier le 40e anniversaire du plus vieux record d’athlétisme au pays. Pourtant, seuls quelques initiés sont au courant et connaissent son détenteur, Jerome Drayton. Le 7 décembre 1975, il remporte le marathon international de Fukuoka au Japon grâce à un temps de 2 heures 10 minutes et 9 secondes. À cette époque, il s’agissait d’un des meilleurs chronos de l’histoire, mais c’était avant qu’une formidable vague de coureurs africains ne déferle sur les pistes et routes de la planète! Depuis, le record du monde a mainte fois été amélioré. Il appartient au Kenyan Dennis Kimetto depuis 2014 (2 h 02 min 57 sec). Mais aucun coureur canadien n’a réussi à battre la marque nationale de Drayton.
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Le recordman canadien fut un coureur d’exception et en avance sur son temps. Né en Allemagne à la fin de la deuxième guerre mondiale, il immigre au Canada en 1956 avec sa famille. Il est alors âgé de 11 ans. Solitaire, il se découvre très jeune une passion pour l’entraînement et la course à pied. Sa vitesse et son endurance, deux qualités essentielles chez les coureurs de fond, attirent l’attention des entraîneurs.
Il remporte à trois reprises le marathon de Fukuoka (69, 75 et 76) qui, à l’époque, était considéré comme le Championnat mondial d’athlétisme. Au début des années 70, Drayton était perçu comme le meilleur marathonien sur la planète. En 1977, il ajoute le marathon de Boston à son tableau de chasse. Sa seule déception est une sixième place aux Jeux olympiques de Montréal en 1976. Un résultat tout de même fort acceptable puisqu’il combattait un rhume.
Même s’il travaillait de 9 à 5 quotidiennement pour gagner sa vie, il trouvait le temps de courir jusqu’à 335 kilomètres par semaine en entraînement! La course à pied ne permettait pas aux athlètes élites de vivre de leurs bourses et commandites à l’époque. Les temps ont bien changé.
Il est incroyable de consater que 40 ans plus tard, le record canadien de Drayton résiste toujours. Comment cela est-il possible? Les méthodes d’entraînement, l’équipement et l’alimentation ont tellement évolué, le budget alloué aux coureurs est en hausse et l’attrait de la course à pied ne se dément pas. Lorsqu’il a gagné à Fukuoka en 1975, Drayton ne cherchait même pas à établir une nouvelle marque nationale puisqu’elle lui appartenait déjà. Il voulait simplement gagner. Tant mieux si, au passage, il améliorait son record.
Depuis, les meilleurs coureurs canadiens n’ont point eu de cesse de s’attaquer à l’Everest de l’athlétisme canadien. Mais en vain. En septembre dernier, Reid Coolsaet, un des meilleurs marathoniens au pays avec Eric Gillis et Dylan Wykes, est venu bien près de réaliser l’exploit. Au trentième kilomètre du marathon de Berlin, il avait le rythme pour établir un nouveau temps de référence. Mais une baisse d’énergie dans les derniers kilomètres le fera terminer à 19 secondes de Drayton.
Il y a quelques jours, lors du marathon de Fukuoka, Wykes, originaire de Kingston en Ontario, avait ouvertement avoué qu’il s’était déplacé au Japon pour battre le fameux record. Après un excellent départ, ses jambes ont commencé à devenir lourdes à mi-chemin et il a finalement décidé d’abandonner. Les espoirs étaient élevés à son endroit puisqu’il était le détenteur de la troisième meilleure performance canadienne de l’histoire, inscrite à Rotterdam en 2012 (2 h 10 min 47 sec). C’est tout de même à 38 secondes de Drayton. Coolsaet et Wykes détiennent donc pour le moment les deuxième et troisième meilleures performances de l’histoire canadienne.
Qu’en est-il des coureurs québécois? Y en a-t-il un qui a des chances de battre le record? Sans vouloir froisser qui que ce soit, le meilleur marathonien québécois présentement est David Le Porho. Ce double champion mondial de course en raquettes a terminé le plus récent marathon international de Sacramento (6 décembre) avec une belle neuvième position en 2 h 19 min 37 sec. Il s’agit du sixième meilleur temps québécois de l’histoire et le meilleur au cours des 15 dernières années! C’est très rapide, mais ça demeure tout de même à plus de neuf minutes de Jerome Drayton.
Le Pohro, âgé de 38 ans, voudra peut-être tenter de battre le record québécois avant de s’attaquer à celui de Drayton. Encore là, il s’agit d’une marque qui résiste à l’usure du temps puisqu’elle fut établie au marathon d’Ottawa le 13 mai 1984. Ce jour-là, Alain Bordeleau a terminé sa course en 2 h 14 min 19 sec. Trente-et-un ans plus tard, c’est toujours la référence des marathoniens québécois.
Lorsque questionné sur la difficulté de battre le record de Drayton, les marathoniens élites canadiens expliquent à l’unisson que la motivation pour courir en 2 h 10 ou 2 h 11 n’est plus la même qu’il y a 40 ans. À cette époque, on pouvait gagner un marathon important avec ce chrono alors qu’aujourd’hui ce n’est pas envisageable. Les Africains ont tellement haussé le standard que les coureurs de l’extérieur de ce continent se battent entre eux pour des marques nationales et des chronos bien précis. Rien de très glorieux, de motivant ou de payant.
Tout de même, cette vielle marque de 40 ans nous révèle bien des choses sur la santé de l’athlétisme canadien et, surtout, la discipline du marathon. Il est presque anormal qu’encore personne n’ait réussi à la battre. Imaginez, selon la Fédération intarnationale d’athlétisme, le temps record de Drayton se retrouve au 143e rang de l’histoire. C’est bien bas.
J’ai néanmoins l’impression que l’année 2016 nous permettra de sacrer un nouveau recordman canadien. D’anecdotique, le temps de Drayton est devenu une obsession pour plusieurs des meilleurs coureurs du pays. Lequel d’entre eux sera la premier à faire tomber ce mur infranchissable? Les paris sont lancés et la course est ouverte!