Le 15 février dernier, la Kényane Hyvon Ngetich se dirige vers une éblouissante victoire au marathon d’Austin, au Texas. Elle est épuisée mais tient bon, d’autant plus que son avance en tête est considérable. Puis, devant des centaines de spectateurs massés près du fil d’arrivée de l’épreuve, elle commence à tituber. À une cinquantaine de mètres de l’arrivée, Ngetich s’effondre. Elle entreprend alors un véritable chemin de croix. Des images qui feront le tour du monde et qui marqueront à jamais le monde de l’athlétisme.

Son visage affiche une souffrance extrême. Des secouristes s’approchent d’elle avec un fauteuil roulant. Elle refuse leur aide et toute assistance médicale. Péniblement, elle franchit la dizaine de derniers mètres à quatre pattes non sans se faire dépasser par deux autres coureuses. La Kényane de 29 ans termine troisième (3h04:02), ce qui fait dire au directeur du marathon, John Conley, qu’il vient d’assister à la course la plus courageuse qu’il n’ait jamais vue en 43 ans. Il est tellement impressionné qu’il décide d’offrir à Ngetich la même bourse (2 000$) qu’à celle qui a terminé deuxième, trois petites secondes devant elle.

Dans la tente médicale, on s’aperçoit que le taux de glucide dans le sang de Ngetich est dangereusement bas. Elle est confuse et déclare qu’elle n’a aucun souvenir de la fin de la course. Heureusement, elle se remet rapidement et quittera d’elle-même quelques heures plus tard non sans avoir remercié chaleureusement tous ceux qui l’ont aidé.

Les réactions furent nombreuses à la suite de cette fin de course. D’abord, celles des médecins qui ont tous rappelé l’importance d’arrêter de courir et de demander de l’aide dès qu’on se sent mal. Mais surtout, celles de nombreux observateurs qui se sont demandés pourquoi personne ne lui était venue en aide alors que, à l'évidence, elle n’avait plus toute sa tête.

La réponse est bien simple. Si on l’avait aidée, elle aurait été automatiquement disqualifiée. En effet, les règles sont ainsi faites qu’un coureur doit compléter seul une épreuve sans aucune aide extérieure. Si un secouriste lui avait touché pour l’aider à se relever, ses adversaires auraient avancé qu’elle avait bénéficié d’un avantage indu. Un médecin a néanmoins le pouvoir d’arrêter la course d’un marathonien s’il juge que c’est dangereux pour lui, mais il est compréhensible qu’il hésite à intervenir lorsqu’il s’agit du leader de l’épreuve et qu’une importante somme d’argent est rattachée au classement.

Dorando PietriLe cas de Hyvon Ngetich, bien que spectaculaire, n’est pas le premier à survenir. De nombreux exemples de coureurs totalement épuisés et hagards peinant à terminer le marathon existent. Le premier est l’Italien Dorando Pietri.

Le 24 juillet 1908, il participe au marathon des Jeux olympiques de Londres. Lorsqu’il se présente dans le stade pour effectuer un dernier tour de piste, il est complètement déshydraté et désorienté. Seul en tête, il court dans la mauvaise direction à plusieurs reprises malgré les cris de la foule qui tente de l’encourager. Il s’effondre à cinq reprises. Des officiels de piste viennent le relever et l’aident à franchir le fil d’arrivée.

Quelques instants plus tard, l’Américain John Hayes termine à son tour la course disputée sous une forte chaleur. Les représentants de sa délégation posent une réclamation et les responsables des Jeux accèdent à la demande de justice en disqualifiant Pietri en raison de l’aide qui lui a été apportée. Hayes est déclaré grand vainqueur. Heureusement pour le coureur italien, la reine Alexandra, qui a assisté au dénouement de la course, exige la présence de Petri à la cérémonie protocolaire. Elle lui remet une coupe d’argent en guise de consolation et accorde le droit à Pietri d’effectuer un tour d’honneur. Il sera également célébré à son retour en Italie.

Depuis la mésaventure de Pietri, les officiels de course se sont toujours montrés très prudents dans leurs interventions. L’histoire de Gabriela Andersen-Schiess en est fort probablement l’exemple le plus spectaculaire. Aux Jeux olympiques de Los Angeles, en 1984, la Suissesse participe à la première édition du marathon féminin des Jeux. Malheureusement, son arrivée fit une mauvaise publicité pour l’uniformisation des programmes entre les hommes et les femmes. De mauvaises langues affirmèrent que le corps frêle des femmes était incapable d’un aussi grand effort.

Gabriela Andersen-SchiessPercluse de crampes, épuisée par la chaleur, elle aura besoin de six minutes pour boucler le dernier tour du stade (400 mètres) devant des dizaines de milliers de spectateurs dans le stade et des millions suivant la télédiffusion de la course. Elle ressemble à un pantin désarticulé. Son corps refuse de lui obéir. Pourtant, elle refuse d’abandonner. Des spectateurs hurlent aux officiels de lui venir en aide, mais ils ne bronchent pas. Des médecins s’approchent et l’accompagnent, mais ne lui touchent pas. Ils constatent qu’elle transpire et donc que sa vie n’est pas en danger.

Gabriela Andersen-Schiess sait que si elle tombe, elle sera incapable de se relever. Elle se force à marcher le long de la longue ligne blanche d’un couloir jusqu’à l’arrivée puis s’effondre. Elle termine 37e et entre, à son grand désespoir, dans la postérité. Personnellement, les images de son interminable dernier tour de piste à Los Angeles en 1984 sont beaucoup plus pénibles à regarder que les derniers mètres de Hyvon Ngetich.
Il est important de préciser que les trois athlètes dont je viens de parler étaient des coureurs élites. Je le répète, les officiels exercent alors une plus grande patience et se montrent très prudents avant d’intervenir. La situation doit cependant être différente pour tous les coureurs participant à un marathon. Chaque année, des dizaines d’entre-eux meurent avant de voir le fil d’arrivée, s’effondrant foudroyés par un effort trop soutenu et pour lequel ils n’étaient pas prêts.

Les règles devraient être clairement comprises par tous les participants s'inscrivant à une épreuve. On pourra vous arrêter si on juge que vous êtes mal en point. Pas facile à accepter sur le coup, surtout après le long entraînement auquel vous vous êtes soumis, mais tellement plus sage.