La nouvelle est un peu passée inaperçue ici, mais pas en Grande-Bretagne, où les amateurs d’athlétisme célèbrent le retour de l’enfant prodigue. Mo Farah, coureur auréolé de dix titres mondiaux et olympiques, a annoncé qu’il quittait son entraîneur Alberto Salazar pour retourner chez lui, à Londres. Après plus de six années passées à s’entraîner en Oregon sous la férule du controversé coach d’athlétisme, Farah a expliqué que c’était pour des raisons uniquement familiales qu’il avait choisi de retourner dans son pays.
 
Plusieurs ont accueilli cette nouvelle avec beaucoup de cynisme. En fait, Farah n’avait-il d’autres choix que de larguer Salazar, sur qui pèsent de très sérieuses allégations d’utilisation de produits dopants pour améliorer les performances de ses athlètes? Le Somalien de naissance naturalisé britannique a bien senti l’urgence de protéger son prestigieux palmarès en piste obtenu au cours des dernières années.
 

En effet, Farah est déjà un coureur de légende. Quadruple champion olympique aux 5000 mètres et 10 000 mètres, il a annoncé après les Mondiaux de Londres de l’été dernier qu’il abandonnait la piste pour se concentrer sur la course sur route (demi-marathon et marathon). Il fera d’ailleurs des débuts très attendus sur 42,2 kilomètres lors du Marathon de Londres au printemps 2018.  
 
En quittant Salazar et sa clinique de course Nike à Portland, il espère certainement prouver à tous qu’il est un coureur propre. Mais cela risque d’être plus compliqué. S’il est adulé auprès des Britanniques qui l’idolâtrent comme un dieu de la piste, il est plutôt suspecté par une grande partie de l’inteligencia mondiale de l’athlétisme de ne pas être totalement propre.
 
Rappelons que dans les semaines précédant les Jeux olympiques de Londres en 2012, il avait raté, volontairement ou pas, deux tests antidopage. Il n’aurait jamais entendu les inspecteurs de l’Agence antidopage britannique qui cognaient et sonnaient à sa porte. Puis, fin novembre 2015, des pirates informatiques russes surnommés Fancy Bears avançaient que le nom de Farah apparaissait clairement sur une liste de dopés probables établie par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF). Cette liste portait également une mention de passeport biologique suspect. Étrangement, les échantillons d’urine et de sang du coureur de 34 ans allaient finalement être déclarés conformes et normaux peu de temps après la publication de cette liste. Farah a également  travaillé sous la gouverne de l’entraîneur Jama Aden, un homme arrêté en 2016 lors d’une enquête sur le dopage.
 
Alberto SalazarIl est impossible de prouver que Farah s’est dopé ou qu’il se dope toujours. Il est également impossible de savoir si Salazar a boosté les performances de son athlète à son insu.
 
Ce qui est certain cependant, c’est qu’on est ici aux prises avec un entraîneur d’athlétisme qui a pris sous sa gouverne un bon coureur en 2011 pour le transformer en immense champion. Alors que Farah se prépare à courir ses premiers marathons, pourquoi se séparer de celui avec qui il a connu autant de succès?
 
Sans doute en raison du travail de Salazar, dont les méthodes avec le projet Nike Oregon ont été fortement critiquées dans un rapport de l’Agence américaine antidopage. Et que dire de toutes ces langues d’anciens disciples de Salazar qui se sont déliées en 2015 dans un documentaire de la BBC, sinon que c’est troublant. On parle ici d’un entraîneur qui se serait vanté auprès du cycliste déchu Lance Armstrong d’utiliser un produit formidable auprès de ses athlètes!
 
Farah a beau prétendre qu’il ne quitte pas son coach en raison des suspicions de dopage, mais plutôt parce que ses enfants seront beaucoup mieux au Royaume-Uni, il est pénible d’acheter cela!
 
Une chose est certaine, si le but inavoué de son déménagement est de s’éloigner d’un entraîneur louche, il aurait pu mieux choisir son nouveau mentor. Gary Louch, le mari de la marathonienne britannique retraitée Paula Radcliffe, dirigera maintenant Farah. Une décision cautionnée et saluée par Salazar. Louch a fait un travail formidable avec son épouse, la propulsant même au sommet des meilleures marathoniennes de l’histoire. Son record mondial de 2 heures 15 minutes et 25 secondes, établi à Londres en 2003, semble intouchable. À une époque où les records au marathon masculin tombent pratiquement chaque année, le chrono de Radcliffe inspire une certaine méfiance.
 
Mais soyons bons joueurs. Farah reproche aux journalistes de vouloir détruire son héritage. Il est vrai qu’il n’a officiellement jamais échoué à un contrôle sanguin. Il a également toujours dit que s’il avait le moindre doute envers Alberto Salazar, il l’aurait flanqué à la porte.
 
C’est peut-être ce doute qui lui fait traverser l’Atlantique pour le mieux-être de sa famille. Une fuite vers une critique sociale plus conciliante. Mais cette séparation survient-elle trop tard pour effacer les doutes qui pèsent sur les performances de Farah? Sans doute.