Le choc est brutal. Voir violent. J’en avais entendu parler abondamment, mais ne me doutait pas que ce serait à ce point visible. Vancouver n’a rien d’une ville d’hiver. Dès ma sortie de l’aéroport, dimanche le 7 février, un mercure d’une dizaine de degrés règne sur la ville des Jeux olympiques. Un fin crachin mouille mes valises. Des nuages masquent le haut des montagnes. Partout, des pelouses vertes, des gens en vélo et des joggeurs en shorts. Les terrasses des cafés sont ouvertes juste au cas où le soleil se poindrait.

La première journée est réservée à l’installation nécessaire et aux incontournables visites. Le centre de diffusion internationale de Vancouver est absolument grandiose. Nos studios donnent directement sur la baie. Par les fenêtres, on aperçoit les montagnes de l’autre côté, plus au nord. Après avoir regardé les Saints surprendre les Colts au Super Bowl dans un restaurant de la ville, je retourne à mon hôtel, à Richmond au sud de Vancouver, pour me reposer. À 19h30, me voilà déjà couché. Ce décalage de 3 heures explique ma course vraiment matinale du lendemain matin. Le portier de l’hôtel semble surpris de me voir partir à 4h pour un 10km ! Les rues m’appartiennent et je découvre une ville pleine de quartiers résidentiels fabuleusement riches.

Ce dont j’avais le plus hâte, c’était de visiter l’anneau olympique, là où se tiendront les épreuves de patinage de vitesse longue piste. J’aurai le plaisir de décrire ces compétitions avec Gaétan Boucher, le grand champion olympique. Nous nous y rendons le lundi, 5 jours avant le début des courses. L’endroit bourdonne d’activités. On veut que tout soit parfait pour accueillir les spectateurs du monde entier. Nous sommes chanceux, des courses d’entraînement sont prévues à l’horaire. Gaétan et moi nous installons directement sur le bord de cette piste de 400 mètres pour observer tous ces patineurs qui s’étirent et se réchauffent. Ce sont les seigneurs de l’anneau !

La vitesse est la première chose que l’on remarque. Je suis dans le virage numéro un. Après une accélération foudroyante, les patineurs amorcent leur croisement de jambes pour tourner vers la gauche. Les hommes vont à 60 km/h. Impressionnant ! Puis il y a le bruit. Celui des lames qui glissent et fendent la surface glacée. Dans une économie de mouvements, ces athlètes se déplacent comme s’ils volaient sur la glace. Et parlons-en de cette glace. Elle ne ressemble en rien à ce qui se retrouve dans nos arénas de hockey. Ici, sous la supervision du « maître de la glace », Mark Messer, un bataillon de travailleurs s’échine pour que les patineurs bénéficient d’une surface rapide. Un produit, le Jet Ice, est ajouté avec une seringue à raison de 3 petits millilitres dans un gros réservoir de resurfaceuse pour obtenir une glace de meilleure densité. Plus la glace est dure, plus les lames glisseront. Un peu comme skier sur une neige damée plutôt que dans de la poudreuse.

Les patineurs et entraîneurs de l’équipe canadienne sont tous là. Clara Hugues s’approche pour saluer Gaétan. J’ai l’impression d’assister à une rencontre de géants. Clara n’a jamais caché que les performances olympiques de Gaétan étaient à l’origine de sa carrière de patineuse. Jeremy Whoterspoon, Denny Morrison, Kristina Groves et Brittany Schussler passent près de nous sur la glace. Francois Olivier Roberge nous rejoint après avoir complété un 800 mètres rapide dans le but de faire le plein d’acide lactique pour avoir les jambes prêtes pour sa course. Il reprend son souffle. Il participera au 1000 mètres le 17 février. Je lui demande comment il se sent. « Très bien. Je suis en forme. L’anneau de glace de Richmond est merveilleux. Je suis arrivé à Vancouver depuis 2 semaines et je crois pouvoir faire de belles choses. Je suis installé au village olympique et j’ai du plaisir. » Après 5 minutes de repos, il retourne patiner.

Gaétan me présente Robert Tremblay. Il est entraîneur à Québec et entraîneur sur l’équipe canadienne de longue piste. Les deux hommes ont fait de la compétition ensemble. Leur amitié est évidente. Robert passe de longues minutes à répondre patiemment à toutes mes questions et à m’expliquer les petites subtilités de son sport. Tout au long de la saison, il ne cesse de penser à de nouvelles façons de faire gagner quelques milliers de secondes à ses protégés. Il nous explique qu’il a fait installer un gigantesque câble tracté pour tirer les patineurs lors des entraînements et les lancers dans les virages à pleine vitesse. Une façon efficace de leur faire pratiquer les virages à haute vitesse tout en leur permettant d’économiser de l’énergie.

À Vancouver, les 16 patineurs et patineuses de l’équipe canadienne porteront tous une combinaison révolutionnaire développée par la compagnie japonaise Descente. Une sorte d’alliage de différents tissus mis secrètement à l’essai depuis la fin des jeux de Salt Lake City, il y a 8 ans.

Robert m’explique. « À Salt Lake, nos patineurs portaient une combinaison faite en lycra et on s’était fait battre facilement. L’affront était énorme. Tout cela à cause d’un problème technique associé à nos combinaisons. Nous avons immédiatement entrepris le développement de nouveau matériaux et tissus pour bâtir le vêtement de course parfait. Nous avons utilisé la soufflerie du Centre National de Recherche Scientifique à Ottawa qui nous a permis d’arriver à Turin avec notre fameuse combinaison laminée. C’était mieux qu’à Salt Lake, mais il y avait trop de plis et ca ne plaisait pas aux patineurs. »

La recherche et le développement s’est poursuivi pour en arriver à la combinaison de Vancouver. Un savant mélange de laminés et de tissus développés à grand frais pendant trois ans par Descente. L’interaction entre les différentes composantes offrirait une résistance à l’air de 3% inférieure à celle des combinaisons régulières. Un avantage énorme. De plus, la portion spécifiquement laminée de la combinaison procurerait, en théorie, un meilleur contrôle musculaire et une dépense moindre d’énergie.

Quelle sera la performance de l’équipe canadienne de patinage de vitesse longue piste ? Difficile à prédire. Les plus optimistes parlent d’une dizaine de médailles. À elle seule, Kristina Groves pourrait en rafler cinq ! La pression est énorme. Le budget de l’équipe de longue piste est actuellement de 3 millions et l’augmentation de son financement sera plus facile à justifier avec une bonne récolte de podium.

Une chose est certaine, tout est mis en œuvre pour que le rendez-vous olympiques soit réussi. Cette première journée passée avec ces magnifiques athlètes et leurs entraineurs m’a convaincu. Les patineurs canadiens entendent bien démontrer au reste du monde qu’à Vancouver ils seront les seigneurs de l’anneau.