PARIS - Le pavé dans la mare du Français Yannick Noah, ex-tennisman et désormais chanteur, favorable à la légalisation du dopage et à la fin de l'hypocrisie, a suscité un concert de réactions indignées et pourtant certains observateurs s'étonnent qu'on ne puisse plus remettre en cause la légitimité de la lutte antidopage.

« L'antidopage est un dogme inquiétant, qui laisse peu de place pour des débats d'éthique sérieux sur les pratiques du sport d'élite. Ceux qui émettent une opinion contraire sont pris en grippe par le milieu sportif », observe Andy Miah, professeur à la University of the West of Scotland.

Pour ce chercheur en éthique et technologie émergente, auteur du livre The Olympics, « il est temps que ce qui est dit soit entendu : la lutte antidopage est brisée ».

Pour le sociologue français du sport Christophe Brissonneau, « une chape de plomb est tombée » ces dernières années, donnant lieu, en France du moins, à une vision monolithique.

Depuis 1965 et l'affaire Anquetil et dans les années suivant l'affaire Festina de 1998, dont l'une des conséquences fut la mise en place de l'Agence mondiale antidopage (AMA), des médecins défendaient l'utilité de certains produits pour des sportifs professionnels sous suivi médical. Mais désormais « toute critique, et si ces critiques viennent d'un médecin de surcroît, fait qu'on est aussitôt accusé d'être pro-dopage », remarque-t-il.

En dix ans, qui ont permis à la lutte antidopage d'arriver à maturité, des millions de dollars ont été dépensés, une flopée d'agences et d'instances instaurées, des centaines de milliers de prises de sang et d'urine pratiquées, sans compter des intrusions dans la vie privée des sportifs de plus en plus poussées.

Or, comme l'a reconnu lui-même le directeur général de l'AMA, David Howman, à l'Unesco la semaine passée, seuls « les dopés simplets » se font désormais attraper, les « dopés sophistiqués », eux, ayant les moyens scientifiques de passer entre les mailles du filet.

Les pauvres et les riches

Au sein même du milieu sportif, certains commencent à secouer le cocotier. Le directeur du comité olympique britannique, Colin Moynihan, s'en est pris ouvertement le 15 novembre à l'AMA, « incapable de remplir ses propres objectifs bien intentionnés » selon lui.

« La politique antidopage a connu quelques résultats, qui ont contribué à éradiquer l'utilisation du dopage en milieu de tableau », observe Christophe Brisonneau, pour qui « on aurait ainsi un dopage des pauvres et un dopage des riches. »

Les deux chercheurs s'accordent pour dire que l'argument de santé publique et de protection de la santé des athlètes, souvent brandi pour justifier la prolifération des règles, ne tient pas.

Le sociologue français note que le sport se veut un monde à part dont la pureté doit être garantie pour le différencier des Jeux du cirque: « Le sport qu'on décrivait comme un sport Guiness - le livre des records - est de plus en plus un sport business, et ce sport business a tout intérêt à ce qu'il y ait une agence extérieure amenant au moins l'image d'un spectacle qui vaille le coup d'être vu ».

Andy Miah prédit que « le monde du sport va sous peu se heurter à un mur, de plein fouet, avec l'antidopage ». Au 21e siècle, où la vie est marquée par l'utilisation de technologies pour l'amélioration humaine - de l'opération de l'oeil au laser aux améliorations cognitives - « quelle valeur aura l'antidopage dans un milieu où chacun est le fruit d'une sélection génétique et est optimisé? » questionne le professeur. « Aucune! ».