Marathon féminin : l'injustice iranienne
Course à pied dimanche, 17 janv. 2016. 10:50 jeudi, 12 déc. 2024. 12:46Il y a près de 3 000 ans (776 av. J.-C.), les premiers Jeux olympiques antiques étaient organisés en Grèce. À tous les quatre ans, ils furent tenus au même endroit, à Olympie, devant des foules considérables. Parmi les sports à l’horaire, on retrouvait la boxe, la lutte, des concours hippiques, des lancers, des sauts et, bien sûr, des compétitions de course à pied.
Il fallait absolument être un homme d’origine grecque pour avoir le droit de participer aux Jeux olympiques de l’Antiquité. Les femmes en étaient totalement exclues. Non seulement il n’y avait aucune compétitions pour elles, mais elles n’avaient même pas le droit d’y assister! C’était une affaire d’hommes.
En 393 après J.-C., l’empereur romain Théodose 1er décida d’abolir les Jeux olympiques. Le site d’Olympie sombra doucement dans l’oubli. Pendant les 1 169 années que durèrent les Jeux antiques, aucune femme ne put participer à une seule épreuve.
Une lente évolution
On serait porté à croire que les choses ont changé depuis. Que les femmes occupent maintenant leur juste place aux côtés des hommes dans le sport. Pourtant, si des progrès sont bien réels, il y a encore beaucoup de chemin à faire.
Lorsque les Jeux olympiques revinrent à la fin du XIXe siècle (1896), le baron Pierre de Coubertin ne jugea pas bon de faire une grande place aux femmes. À nouveau, elles furent interdites de compétitions. Certaines décidèrent de se battre. Une dénommée Stamata Revithi réussira à courir illégalement la presque totalité du marathon, mais les organisateurs lui interdirent l’accès au stade d’arrivée.
De nos jours, rien ne nous paraît plus normal que de voir une femme courir. Il est fascinant d’observer les plus rapides d’entre-elles compléter des épreuves de course à pied comme le marathon. Toutefois, cette opportunité de franchir le fil d’arrivée est la résultante d’une longue et courageuse bataille qui n’est pas encore terminée.
La participation des femmes au marathon est relativement récente puisqu’on a longtemps cru qu’elles étaient physiquement incapables de courir une telle distance (42,2 km). En 1966, Roberta « Bobbi » Gibb fut la première femme à terminer le célèbre marathon de Boston. Elle le fit toutefois de manière totalement illégale en s’inscrivant sous un nom d’emprunt masculin. À cette époque, la course la plus longue à être sanctionnée par l’Union athlétique amateur était de seulement un mile et demi (2,4 km).
Un an plus tard, en 1967, Kathrine Switzer devint la première à terminer le marathon de Boston comme participante enregistrée. C’était cinq ans avant que les femmes ne soient officiellement autorisées à concourir à cet endroit. Elle s’inscrivit sous l’identifiant « K.V. Switzer », qui ne révélait pas son genre. La participation de Switzer à l’édition de 1967 est passée à l’histoire grâce à une photo célèbre où on voit un des officiels de la course, Jock Semple, tenter de la sortir du parcours par la force. Heureusement, un autre coureur parvint à pousser ce responsable sur le côté pour permettre à Switzer de poursuivre sa route.
En ce qui a trait aux Jeux olympiques, il fallut attendre l’édition de 1984 à Los Angeles pour finalement voir les membres du Comité international olympique placer un marathon féminin à l’horaire. La victoire ira à l’Américaine Joan Benoit. Il aura donc fallu attendre 2760 ans avant de voir une première femme être couronnée championne olympique au marathon. C’était il y a 32 ans à peine.
Le marathon iranien
Si on a longtemps refusé aux femmes le droit de participer à des marathons en raison de la crainte totalement fausse qu’elles en seraient physiquement incapables, c’est maintenant pour des motifs religieux que certains pays les bannissent.
Il y a quelques jours, l’Iran a annoncé la tenue de son premier marathon international, le 9 avril 2016. L’organisateur de la course est Sebastian Straten, un Hollandais tombé amoureux de ce pays d’Asie de l’Ouest lors d’une longue randonnée pédestre en 2005. Il affirme que l’objectif de ce premier marathon international iranien est d’améliorer l’image du pays en Occident et de créer une route vers la paix et l’amitié pour unir l’humanité.
Voilà de nobles objectifs qui pourraient être salués si ce n’était d’un détail important. Les femmes ne seront pas autorisées à courir lors de cette première édition. Les autorités religieuses, qui jugent que ce serait un acte immoral, leur accorderont toutefois le droit d’assister à la course en tant que spectatrices et de participer à son organisation à titre de bénévoles! Une mince consolation qui n’apaise en rien la frustration ressentie et exprimée par des milliers de coureuses de la planète sur les médias sociaux à l’annonce de cette nouvelle. La grande majorité d’entre-elles appellent d’ailleurs à un boycott.
Straten s’est dit désolé de cette interdiction, mais encourage tout de même les participants étrangers à venir en grand nombre à son marathon. Il explique que les coutumes et traditions locales laissent peu de place à l’idée de voir une femme courir en public. Il espère que les autorités iraniennes changeront d’idée après avoir vu à quel point le sport est un vecteur d’unification. Mais pour le moment, les décideurs iraniens sont totalement réfractaires à la logique de mixité et d’échange entre les sexes. La République Islamique, tout comme plusieurs autres pays arabes, continue d’imposer le port du voile aux femmes lors de compétitions sportives où les hommes sont présents. Elles doivent également porter des vêtements amples couvrant les hanches et s’asseoir séparément des hommes dans les transports publics, les restaurants, les cafés et, bien sûr, les exhibitions sportives.
À lire également
Au moment d’écrire ces lignes, plus de 200 coureurs d’une quarantaine de pays se sont déjà inscrits au marathon iranien. De ce nombre, on dénombre des Américains, des Britanniques, des Français et des Canadiens. Tous veulent faire partie de l’histoire et fouler un parcours qui débutera à la porte de la ville de Shiraz et se terminera à la Porte de Persépolis, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Soulignons enfin que les organisateurs du marathon, Sebastian Straten en tête, se sont engagés à verser une portion des frais d’inscriptions dans un fond pour le sauvetage du guépard asiatique en voie de disparition. Bravo! Mais n’aurait-il pas été préférable que cet argent serve à changer les mentalités? D’encourager les organisations qui travaillent à faire de l’éducation populaire en matière d’égalité hommes-femmes?
Lorsque les participants de ce premier marathon international iranien regarderont leurs médailles, ils devront se souvenir qu’ils ont découvert les beautés d’une civilisation millénaire qui continuent malheureusement de brimer la liberté d’une moitié de sa population.