Mort à 14 ans en vélo
$content.firstChildCategorie mercredi, 9 juil. 2014. 21:30 lundi, 12 mai 2014. 02:22Tristan Boucher n’avait que 14 ans lorsqu’il est mort, frappé par un autobus de ville, à La Prairie en Montérégie, en juillet 2012. Le jeune homme, cycliste prudent, portait son casque et revenait à la maison après avoir officié comme arbitre à un match de soccer. Une tragédie innommable et qui m’avait frappé droit au cœur puisque je le connaissais et que c’était survenu à moins d’un kilomètre de chez moi à un endroit où mes enfants circulaient régulièrement.
Je passe devant la petite croix blanche installée sur le lieu de la tragédie, à l’intersection du chemin de Saint-Jean et de la rue des Conseillers, presque quotidiennement. Et à chaque fois, je suis bouleversé. Ça aurait pu être mon fils. Je ne suis certainement pas le seul parent à penser de la sorte.
J’ai connu Tristan et son père, Michel, lors des cours de natation de mon fils. Nous discutions alors que le jeune frère de Tristan, Justin, et mon fils s’ébattaient dans l’eau de la piscine. Des discussions à bâtons rompus sur divers sujets, mais surtout sur les voyages. Michel a une passion des voyages et il n’hésitait pas à faire rater une pleine semaine d’école à ses deux gars pour leur permettre de voir le monde. États-Unis, Mexique, Panama, Salvador, Guatemala, Maroc, Tunisie, Angleterre, Espagne, France, Italie figurent sur la liste des pays visités par la famille. Michel me racontait tous ces merveilleux pays du monde que ses deux fils avaient visités. La découverte du monde était le cadeau que lui et son épouse, Manon, souhaitaient offrir à leurs enfants. Un programme académique rare!
Lorsque j’ai appris la nouvelle du décès de Tristan, j’ai eu beaucoup de peine à retenir mes larmes. Je m’imaginais dans la peau de Michel et Manon. Comment fait-on pour survivre au décès de son fils bien-aimé? Comment ne pas sombrer dans un abîme insondable de tristesse.
Michel se souvient très bien de cette journée fatidique au cours de laquelle son grand garçon a perdu la vie. « Après avoir terminé d’arbitrer son match, il s’était dirigé vers Justin pour l’agacer un peu avant d’enfourcher son vélo pour revenir à la maison. Pour ma part, je suis retourné en voiture jusqu’à mon domicile. Après un certain temps, j’ai réalisé que Tristan était en retard. Je ne me suis pas inquiété sur le coup en pensant simplement qu’il s’était arrêté pour déguster une crème glacée ou s’acheter des bonbons », raconte-t-il.
Puis, soudain, le bruit de sirènes se fait entendre. Ce sont des véhicules d’urgences. « Un ami est venu chez moi pour me dire que sa fille avait reconnu les chaussures de Tristan sur les lieux d’un accident qui venait de survenir. J’ai prévenu mon épouse que j’allais voir ce qui se passait », se remémore Michel.
« Au départ, j’ai simplement cru qu’il s’agissait d’une blessure. Une jambe cassée par exemple. Mais lorsque je suis arrivé sur les lieux de l’accident, j’ai tout de suite compris que c’était très grave. Les ambulanciers n’ont pas voulu que je m’approche du corps de mon fils et m’ont conseillé de me rendre directement à l’hôpital. Lorsque j’ai rencontré le médecin, je lui ai simplement demandé si on avait eu le temps de prélever les organes de Tristan pour en faire un don. Il m’a répondu que ça avait été impossible. C’est de cette façon que j’ai su que mon fils était mort. »
Les journées suivantes furent difficiles. Mais Michel et Manon ont su traverser cette terrible épreuve en respectant la peine de chacun et la vitesse avec laquelle se vit le deuil. « Au-delà de cette question de respect, le corps réagit à sa façon en sécrétant des endorphines. Un médecin m’a expliqué que cela te calme émotionnellement pendant 8 à 12 mois. Tu fonctionnes comme un robot et tu fuis dans l’action. Puis, le corps diminue lentement la fabrication de ces endorphines lorsqu’il semble juger que tu es prêt. C’est à ce moment, environ un an après la tragédie, que ça te rentre solidement dedans! Le rationnel doit alors s’imposer sur les émotions. Il nous restait Justin, un petit bijou, et nous ne devions pas l’oublier. Il avait déjà perdu son grand-frère, son idole, il ne devait surtout pas perdre ses parents », explique calmement Michel.
Malheureusement, des décès tragiques de cyclistes comme Tristan il en arrive régulièrement. Au cours des derniers jours, on a beaucoup parlé de cette dame, Mathilde Blais, happée par un poids lourd sur la rue Saint-Denis au début du mois de mai à Montréal. Pourtant, en effectuant quelques recherches sur le net on réalise que des drames cyclistes sont survenus dans un passé récent dans plusieurs villes de la province. Parmi celles-ci : Rougemont, Lachine, Sainte-Julie, Boucherville, Saint-Bruno, Sherbrooke, Granby, Sainte-Adèle, Québec, Saint-Hubert, Longueuil, Brossard, Montréal (plusieurs fois) et La Prairie.
C’est bien connu, je suis un passionné de course à pied. J’adore également faire du vélo. Mais je suis d’abord et avant tout quelqu’un qui prône le respect et le partage de la route. Les cyclistes ne devraient jamais avoir à craindre de rouler sur les routes du Québec. Il y a six millions de vélos en circulation au Québec, mais 80% des cyclistes ne roulent pas sur les routes car ils ont peur. La mort de Tristan et celle de tous les cyclistes décédés dans des accidents de la route auraient pu être évitées si une confiance existait entre les automobilistes et les cyclistes. Ce n’est pas toujours le cas. La mort en en est un triste rappel.
Lorsque Michel Boucher m’a mis en contact avec l’organisateur de la 11e édition du Tour du Silence de la Rive-Sud, Léon Thériault, pour en accepter la présidence d’honneur, j’ai immédiatement accepté. C’était bien sûr une façon de me sentir utile, mais également l’occasion de me joindre à un mouvement ayant vu le jour en 2003 aux États-Unis et qui avait beaucoup fait au cours des dernières années pour rappeler aux cyclistes et aux automobilistes l’importance d’un comportement responsable et civique sur les routes. Il existe 30 Tours du silence au Québec. Celui de la Rive-Sud est le plus ancien au pays et fut désigné comme le plus important de la planète en 2010.
Pour faire la promotion de l’événement cycliste, j’ai eu l’occasion de rencontrer, au cours des dernières semaines, plusieurs personnalités des municipalités où passera le Tour. Tous les intervenants se disaient d’accord pour un meilleur partage de la route. Cette volonté doit maintenant se traduire par des actions concrètes.
Le 21 mai, j’irai pédaler avec Michel et des milliers de cyclistes sur la Rive-Sud de Montréal en mémoire de tous ses passionnés du vélo qui ont connu des fins malheureuses. Le départ aura lieu à 18h30 à l’aréna Michel Normandin de Brossard et une halte commémorative se fera à 19h au parc Place de la famille de La Prairie pour le dévoilement d’un mémorial. Une plaque du Tour du silence portant le nom des cyclistes morts dans la région sera inaugurée. Une façon simple de dire qu’ils ne seront jamais oubliés.
La vie continue. Cet hiver, Michel et Manon iront à Budapest, Vienne, Bratislava et Prague avec Justin. Ils n’ont pas l’intention que Tristan soit oublié. Déjà, ils ont participé à la création de la bourse Tristan-Boucher qui a pour but d’encourager de jeunes arbitres de soccer de la Rive-Sud souhaitant se perfectionner. Elle fut remise pour la première fois le 17 avril dernier à une jeune fille de Boucherville.
Des travaux ont également été entrepris pour améliorer les pistes cyclables à l’endroit où l’accident de Tristan est survenu. Il sera bientôt possible de refaire le parcours du jeune homme mais de façon beaucoup plus sécuritaire. Un réconfort pour de nombreux cyclistes et parents qui, comme moi, ont vu cette merveilleuse famille de La Prairie être privée de leur grand garçon adoré.
Le 21 mai, où que vous soyez au Québec, enfourchez en silence votre vélo et ayez une pensée pour tous ceux qui n’auront plus la chance de le faire.