Quel exploit! Mission accomplie pour la Québécoise Mylène Paquette qui est devenue la première nord-américaine à traverser en solitaire l’océan Atlantique à la rame. Partie d’Halifax le 6 juillet 2013, elle est parvenue à conclure son périple en franchissant la longitude de l’Ile d’Ouessant et en arrivant sur les côtes françaises, à Lorient, 129 Jours plus tard, le 12 novembre. Je sais que j’ai l’habitude d’écrire sur la course à pied, mais pas cette fois. L’exploit est trop énorme pour passer à côté.



Tout au long de sa traversée, j’ai suivi Mylène sur son site internet ou sur sa page Twitter en temps réel. J’étais fasciné. Je n’arrivais pas à concevoir comment une personne seule pouvait se lancer dans une pareille aventure.



Son voyage fut loin d’être facile. Mylène a vécu toute la gamme des émotions. En solitaire sur son embarcation, l’Hermel, elle s’est laissée approcher par des baleines, des tortues, des dauphins, des oiseaux et une myriade de poissons. Elle a vu d’incroyables couchers de soleil et des arcs-en-ciel énormes. Le bateau de croisière Queen Mary II a même dévié sa trajectoire pour venir ravitailler Mylène alors qu’elle avait perdu des vivres et du matériel lors d’un chavirage pendant la tempête tropicale Humberto du 25 septembre.

Elle a également vécu le pire. De véritables cauchemars en mer. Des vagues énormes poussées par des vents violents ont fait chavirer son bateau à plusieurs reprises et brisé son éolienne lors de la dernière ligne droite de son éprouvant voyage.



En compagnie de mon collègue, Yanick Bouchard, j‘ai eu la grande chance de parler à Mylène à chaque semaine lors de ses interventions au 5 à 7 au cours du dernier mois de son périple. Des moments précieux qui me permettaient de mieux comprendre le caractère incroyable de cette femme.

Avec beaucoup de candeur et de générosité elle a expliqué pourquoi elle avait décidé d’entreprendre ce voyage en solitaire. Voici quelques extraits de nos discussions.

Comment se sont passées les dernières heures de ta traversée?

« Les conditions étaient belles et je ramais sur de belles vagues rondes. J’ai donc bien avancé jusqu’à la ligne officielle d’arrivée. Je me demandais d’ailleurs quelle était la largeur de cette ligne! Le bateau ravitailleur m‘a ensuite tiré sur quelques miles jusqu‘au port de Lorient. Il m’a lâché pour que je puisse reprendre les rames et parcourir les derniers mètres jusqu’au quai. Il y avait beaucoup de monde et de nombreux journalistes. Je me sentais comme une vedette rock en descendant du bateau. J’essayais de mettre un pied devant l’autre mais ce n’était pas facile de marcher. Ca devrait revenir au cours des prochains jours. J’ai beaucoup mal aux jambes car je ne me suis pas tenue debout en 129 jours. Je me sens très fatiguée et je devrai me trouver une routine de récupération et de repos. »



Pourquoi avoir entrepris ce voyage?

« J’ai découvert la rame océanique il y a environ 8 ans. J’étais revenue d’une fin de semaine de navigation au Lac Champlain avec la ferme intention de devenir navigatrice. C’est en faisant des recherches sur internet que j’ai découvert que c’était possible de traverser un océan à la rame. À la seconde où j’ai vu une photo de l’embarcation je me suis dit que c’est ce que je voulais faire. Je voulais dire aux gens qu’on devait protéger l’océan et ses ressources. Et puis j’avais besoin de me lancer un défi pour mieux me connaitre et voir ce dont j’étais capable. Et c’est certain qu’après une aussi longue traversée j’ai appris des choses sur moi! »



As-tu souffert du mal de mer lors de ton voyage?

« Oui, au départ. J’ai eu besoin de trois jours avant de ne plus avoir mal au cœur. Lorsqu’un long voyage comme le mien se termine c’est le mal de terre qui nous guette. En fait, beaucoup de navigateurs solitaires ont eu affaire à ce malaise. C’est un peu comme se retrouver dans une grande salle après avoir été confiné à son petit bateau pendant si longtemps. Ca peut-être effrayant! »

En quoi consistait une journée sur ton bateau, seule au milieu de l’océan?

« Ce n’était pas possible de ramer tout le temps. Les conditions climatiques ne le permettaient pas toujours. Les vagues pouvaient être très puissantes. Sinon, je m’installais aux avirons le matin pour un bon bloc de 3 à 4 heures. Même chose l’après-midi. La noirceur tombait rapidement mais si les conditions étaient très belles, je m’offrais un quart de rame de nuit. Je vous laisse imaginer la beauté incroyable du ciel étoilé. C’est fabuleux. »

Est-ce vrai que tu as une grande peur de l’eau?

« Je n’ai pas peur d’être sur l’eau, mais j’ai peur d’être immergé dans l’eau. J’ai dû plonger dans l’eau sous le bateau au début du mois d’octobre pour nettoyer la coque de l’embarcation. C’était très épeurant. Un peu comme un chat qu’on essaie de mettre à l’eau. Mais c’était nécessaire car le bateau est allé beaucoup plus vite par la suite. »

Au milieu du mois d’octobre, ton équipe a annoncé un changement de ta ligne d’arrivée. Pourquoi?

« Le lieu d’arrivée n’a pas été changé, mais plutôt la ligne d’arrivée. C’est la ligne d’Ouessant. C’était pour assurer plus de sécurité. La météo peut réserver de très mauvaises surprises en novembre dans le golfe de Gascogne. Il peut y avoir de fortes tempêtes. Pour vous donner une idée, lorsque vous voyez à la télé ou sur des photos des images de châteaux forts français avec d’immenses vagues autour, c’est exactement l’endroit où je me dirigeais. Alors en traversant la ligne d’arrivée d’Ouessant ça m’assurait une plus grande sécurité. Nous avions décidé qu’un bateau viendrait ensuite me chercher et me remorquer jusqu’à Lorient, là où je devais accoster à l’origine. »

Mais la traversée en solitaire pourra-t-elle être homologuée tout de même?

«La traversée sera reconnue valide et homologuée. Nous nous en sommes assurés avec la Royal Oceanic Society. Puisque c’est une traversée indépendante et que je ne tentais pas de faire un record de vitesse ils ont autorisé le remorquage à l’arrivée pour assurer ma sécurité. Si on avait été en septembre, j’aurais pu ramer moi-même jusqu’à Lorient mais le golfe de Gascogne est trop dangereux à l’automne. »



Tu as publié de nombreuses photos où on voit de petits canards jaunes avec toi sur le bateau. De quoi s’agit-il?

« Avant ma traversée, bien des gens ou des amis m’avaient donné un petit objet pour que je puisse l’apporter avec moi jusqu’en France et leur remettre par la suite. Mais c’était trop compliqué. Je me suis donc dit que j’allais plutôt apporter de petits canards jaunes en plastique et qu’il serait même possible de m’encourager en achetant des canards. J’ai quitté Halifax avec 150 canards dans l’embarcation mais nous en avons vendu beaucoup par la suite. Occasionnellement, je diffusais une photo du canard en plus d’appeler la personne à la maison pour la remercier. »

La première chose que tu veux faire de l’autre côté de l’océan après avoir terminé ta traversée?

« Dans les premiers moments où je serai seule sur la terre ferme, j’ai hâte de lire les actualités. J’ai hâte de lire les journaux et de regarder les nouvelles. Je m’ennuie de tout cela. Ça fait 4 mois que je n’ai pas vu mon compte Twitter ou Facebook. J’ai un peu peur de me rendre compte de ce que ma traversée a créé comme engouement. Même si j’étais isolée, je parlais aux journalistes, à mon équipe au sol et à ma famille et on me disait que beaucoup de monde me suivait. Ce sera un très gros changement d’être seule pendant 4 mois et soudainement de se retrouver avec pleins de personnes. Cela m’angoisse un peu! »



Tu as vécu plusieurs chavirages. Comment vis-tu cela? C’est effrayant?

« Dans la semaine du 28 octobre, j’ai dû affronter de grosses tempêtes. J’ai dû m’attacher pendant 72 heures à mon lit tellement ça brassait. J’ai affronté deux grosses tempêtes dont la tempête Christian qui a frappé l’Europe. J’ai vu les plus grosses vagues (dix mètres et demi de haut) et les plus forts vents de mon voyage (55 nœuds, 120 km/h). Les plus grosses vagues que j’avais vues avant étaient de sept mètres et demi. Heureusement, je n’ai pas chaviré. Je n’ai pas fait de 360 degrés, seulement des demi-figures (rires). La seule bonne nouvelle dans tout cela c’est qu’avant la venue des tempêtes, j’avais ramé une journée complète vers le sud. En étant au bas de la dépression j’ai pu profiter du vent qui me poussait dans la bonne direction. En trois jours de tempête, j’ai gagné 80 miles nautiques. J’ai été chanceuse. »

Mais tu as rencontré une tempête encore plus redoutable vers la fin de ta traversée.

« Oui, dans la semaine du 2 au 4 novembre. Ce furent les moments les plus difficiles de la traversée avec cinq chavirages en deux jours. Ce n’était vraiment pas évident! Pendant près de six jours, je n’ai pas pu me tenir debout. J’avais hâte que les vents se calment pour pouvoir me lever. Je me sentais comme un ours en hibernation dans sa tanière! »



Les conditions étaient mauvaises à ce point?

« Terrible! J’ai fait face à de grosses vagues lors de la première fin de semaine de novembre. Je n’ai peut-être pas assez craint ce mauvais temps avant son arrivée et je n’ai pas eu le temps de préparer mon bateau. Au petit matin j’ai chaviré sans casque et sans être attaché sur ma couchette. J’ai eu un gros choc à la tête et éprouvé quelques problèmes de santé. Je me suis isolée dans ma cabine et j’ai ainsi subi une intoxication au monoxyde de carbone, ce qui est plutôt rare pour mon sport (rire). J’ai aussi subi une petite commotion cérébrale. Je n’avais pas de scan pour vérifier mais j’avais tous les symptômes.

Heureusement, je n’ai pas perdu connaissance. J’ai eu quelques ecchymoses aux bras et aux jambes. L’impact du chavirage a été très violent et traumatisant. Faut dire que je ne m’y attendais pas si bien que je me suis retrouvé en état de choc. J’étais blessé et je comprenais que je venais peut-être de tout compromettre à 200 miles nautiques seulement de mon objectif. C’est finalement mon médecin qui m’a rassuré après une trentaine de minutes au téléphone. Ces chavirages m’ont également fait perdre mon éolienne, cet important apport d’électricité pour ma traversée. J’allais dépendre de mes panneaux solaires pour le reste de ma traversée. »



Tu dis que tu as déjà été attachée 72 heures à ta couchette. Qu’est-ce qui te passait dans la tête alors?

« J’avais de la lecture, j’ai regardé des livres sur mon ordinateur portable, j’ai téléphoné à mes amis, à ma famille et à mon équipe au sol. J’écrivais beaucoup et pensais à ce que j’allais dire dans mes conférences. Ce n’était peut-être pas toujours le bon moment pour parler à mes amis ou à ma famille car lorsque je voyais les immenses vagues par la porte de mon bateau je criais et ce n’était rien pour les rassurer (rires)! »



Après avoir pris quelques jours de repos en France, Mylène reviendra au Québec le 20 novembre pour un court séjour. Au début décembre, elle retournera en France, en avion cette fois (!), pour participer au salon Nautique de Paris du 7 au 15 décembre. Elle sera finalement de retour au Québec à temps pour les fêtes pour profiter d’un véritable repos.

Bien au-delà de son exploit, première nord-américaine à traverser l’océan Atlantique en solitaire à la rame, Mylène Paquette aura réussi à lancer un incroyable message de persévérance, d’acharnement, de dépassement et de courage. 129 Jours en mer à affronter les éléments et à braver l’inconnu tout en sachant que le succès de son entreprise reposait sur la seule énergie de son corps. Mylène nous rappelle surtout qu’il y aura toujours des gens prêts à relever des défis qui semblent impossibles à imaginer.

J’ignore ce que fera Mylène du reste de sa vie. Mais il y a fort à parier qu’elle sera toujours habitée par son voyage. Lorsqu’elle fermera les yeux, elle entendra encore longtemps le bruit des rames frappant les vagues et celui du vent lui fouettant le visage. Bravo Mylène.

_Crédit photo Mylène Paquette_