Véritable petite bombe dans le monde de la course à pied. Une petite bombe qui risque de causer des dommages collatéraux chez les fabricants de chaussures de course.

On en parle sur toutes les tribunes. Personnellement, j’en ai pris connaissance en écoutant le magazine scientifique Les années lumières à la première chaîne de Radio-Canada. La nouvelle émane d’une étude de l’Université de Virginie publiée récemment dans la revue “Nature”. En résumé, courir pieds nus serait beaucoup plus naturel que de courir avec des chaussures de course.

L’étude nous apprend que les chaussures protègent bien le pied, mais elles augmenteraient beaucoup les torsions indésirables des articulations et les risques de blessures et d’arthrose. Les sportifs qui courent pieds nus ou avec des semelles très fines poseraient généralement leur pied sur le sol de manière beaucoup plus progressive que les coureurs chaussés. Ils déposent d’abord l’avant du pied au sol.

De leur côté, les joggeurs à chaussures attaquent le sol du talon. Ils encaisseraient ainsi deux à trois fois leur poids lorsque le talon entre en contact avec le sol. Faites un calcul rapide. Un coureur fait en moyenne 600 pas par kilomètre. Cette répétition provoquerait des lésions chez 30% à 75% d’entre ceux qui pratiquent ce sport régulièrement. On va même jusqu’à dire que courir avec des souliers crée davantage de problèmes que de marcher avec des talons haut! Oh là là.

Tout cela va tellement à l’encontre de ce que j’ai toujours cru. Est-ce que le grand marathonien éthiopien, Abebe Bikila (médaille d’or aux Jeux Olympiques de Rome en 1960) ou la Sud-africaine Zola Bud (record du monde au 5000 mètres en 1985) avaient raison de courir pieds nus?

Je devais vérifier. J’ai donc essayé de courir pieds nus sur une piste d’athlétisme intérieure. Instinctivement, je posais d’abord le devant de mes pieds tout en faisant de petites foulées. Mais après seulement quelques minutes de ces petits pas rapides de ballerines, j’ai ressenti une vive douleur à l’arrière des mollets et sur le devant des orteils. Je me découvrais de nouveaux muscles. L’étude parlait effectivement de cette douloureuse adaptation nécessaire.

J’ai ensuite répété l’expérience sur le sol d’un gymnase puis sur un tapis roulant. Dans les deux cas, j’ai dû m’arrêter après quelques centaines de mètres. La plante de mes pieds était sensible et j’avais l’impression de courir sur du papier sablé. Le talon du pied droit saignait légèrement. Les adeptes de badminton avec qui je partageais le gymnase me regardaient d’un drôle d’air. « Tout va bien! », leur ai-je dit d’une voix qui me semblait rassurante.

Restait l’essai extérieur. Je sais, nous sommes en février. Mais je ne voulais rien négliger. Les cobayes de l’étude avaient certainement couru dehors. Je suis donc allé faire quelques foulées dans la neige froide et grise de ma rue par une glaciale matinée de février (voyez la photo). Je ressemblais à un batteur à œufs tellement mes jambes bougeaient vite! Après une trentaine de pas, je n’avais plus froid aux pieds. En fait, je ne les sentais plus du tout!

Voici les conclusions de mes expérimentations sommaires. Premier constat : pas facile de courir pieds nus au Québec avec notre hiver! Les chercheurs de cette étude ont beau affirmer que le genre humain pratique la course de fond pieds nus depuis des centaines de milliers d’années, il n’en demeure pas moins que si on lui en avait donné la chance, l’homme de Neandertal aurait apprécié porter nos chaussures de course modernes par temps frais. Et je ne vous parle même pas de l’ère glaciaire!

Deuxième constat : il ne doit pas être facile de trouver, même en été, une chaussée exempte de petits cailloux. Je ne suis pas un africain des hauts plateaux avec de la corne aussi épaisse qu’une veste de cuir sous les pieds. Les tapis roulant? Pas pour moi. Je cours pour me mettre en forme, mais également pour prendre l’air et voir du pays. Le sol des gymnases est trop dur et la surface du tapis roulant trop abrasive.

Je pourrais bien sûr courir pieds nus dans l’herbe, mais je me vois mal réussir à faire mon 10 kilomètres quotidiens dans mon quartier en ne courant que sur de belles pelouses. Et je ne vous raconte pas sur quoi je risquerais de poser le pied avec tous ces chiens dans le voisinage.

J’ai ensuite voulu savoir ce qu’en pensaient les experts.

Le docteur Simon Bartold est un des grands spécialistes mondiaux en podologie sportive. Il est diplômé de l’Université Adelaïde où il a acquis un baccalauréat en sciences avec une majeure en physiologie. Sa qualification supplémentaire en podologie a été acquise à l’Université de South Australia où il y a reçu la mention émérite du programme. Il travaille étroitement avec ASICS pour le développement des chaussures de courses à pied. Il a plusieurs publications à son actif. Soulignons seulement ce livre référence qu’il a publié en 2002, A Numerical Foot Model to Predict Sole Stability Parameters in Athletic Footwear

Lors d’une conférence donnée l’été dernier à Montréal, un invité lui avait justement demandé si nous ne devrions pas courir pieds nus afin de suivre le mouvement naturel du pied. Le Dr Bartold lui a répondu que courir sans chaussure était « idéal » pour suivre le mouvement naturel du pied. Cependant, c‘est loin d’être « l’idéal » pour le corps humain. Il ajouta qu’il existe plusieurs types de course à pied, que ce soit sur route, en sentier ou sur piste, et qu’il existe également plusieurs types d’épreuves allant du 1km à l’Ultra-Marathon. Selon le Dr Bartold, lorsque nous courons pieds nus, nous n’avons aucune protection contre les divers éléments. Courir 1km sans chaussure est une chose, mais courir un Marathon ou faire une course en sentier sans chaussure en est une autre. Il termine en disant qu’il n’y penserait même pas! Voilà qui rejoint ma pensée.

En conclusion, il serait inimaginable, malgré tout mon bon vouloir, de penser pouvoir pratiquer mon sport préféré, pieds nus, au Québec. Notre climat, nos routes et la douce plante de nos pieds ne nous le permettent pas ! La chaussure de course moderne est offerte dans une variété de modèles. Il n’en existe pas d’universelle. Il est donc fortement conseillé de prendre le temps de bien la choisir. La règle est simple à suivre.

Si une personne est petite et qu’elle à un poids, par exemple, de 50 kilos, il est plus naturel pour cette personne de courir avec une chaussure plus légère (puisque cette personne est légère, elle a moins besoin d’absorption). Cependant, si une personne pèse 100 kilos, il faudra sans aucun doute choisir une chaussure offrant plus d’absorption (et non une chaussure racing). L’absorption d’une chaussure est essentielle lors de l’impact au sol. Si votre chaussure n’offre aucune absorption, l’impact ira directement dans vos genoux et dans vos hanches. Si vos articulations ne sont pas protégées, vous courrez le risque de vous blesser et d’hypothéquer toutes ces belles années de course à venir. Je ne vous conseillerai jamais assez de vous rendre dans une boutique spécialisée de course pour l’achat de vos chaussures.

Vous voulez courir pieds nus ? Vous aimeriez essayer ?

Un conseil. Prenez l’avion et faites-le sur une chaude et douce plage du sud.