MOSCOU - Les Jeux olympiques les plus chers de l'histoire organisés en février 2014 par la Russie apparaissent déjà comme un gouffre financier pour nombre d'investisseurs et risquent d'alourdir l'addition déjà élevée pour l'État, estiment des experts.

Depuis l'attribution des Jeux en 2007 à la Russie, une opération de prestige national élevée au rang de priorité par le président Vladimir Poutine, les dépenses pour les installations sportives et infrastructures en cours d'aménagement à Sotchi (sud) ont été multipliées par cinq pour atteindre 36 milliards d'euros, du jamais vu pour des JO.

Dans un rapport présenté la semaine dernière à la chambre basse du Parlement russe (Douma), la Cour des comptes a accusé la société publique russe Olimpstroï, chargée des travaux sur les sites olympiques entre la mer Noire et les montagnes du Caucase, d'avoir « pris des décisions qui ont entraîné une augmentation du coût de certains sites olympiques sans apporter d'explications [...] entraînant pour les installations sportives des surcoûts inutiles » de 15,5 milliards de roubles (388 millions d'euros).

Le montant total de la facture, qui risque encore d'augmenter, est dû avant tout à la corruption - mal qui gangrène le pays - représentant selon diverses estimations de 20 % à 50 % des dépenses, a déclaré à l'AFP l'analyste indépendant Anvar Amirov.

Responsable limogé

De plus, des entreprises ont fait leurs calculs à la va-vite sans tenir compte des difficultés (relief, spécificité du terrain) et voient leurs dépenses exploser, relevait récemment le quotidien russe des affaires Vedomosti.

C'est le cas par exemple de l'entrepreneur Akhmed Bilalov, chargé de la construction d'un complexe de saut à ski dans les montagnes de Krasnaïa Poliana, qui accuse un retard de deux ans et dont le coût est passé de 1,2 milliard de roubles (30 millions CAD) à 8 milliards (270 millions CAD).

« Il ne s'attendait pas à trouver un terrain aussi difficile pour la construction, pourtant je lui avais dit que les études avaient été mal faites », a déclaré récemment le vice-premier ministre russe Dmitri Kozak, chargé des JO.

M. Bilalov, qui était aussi vice-président du comité olympique russe, a été limogé en février par Vladimir Poutine, irrité par le retard et l'explosion des coûts.

Autre exemple de dérive : la construction d'une route et d'une voie de chemin de fer de 48 km reliant Sotchi (pôle côtier) à Krasnaïa Poliana (pôle montagne) a coûté 260 milliards de roubles (8,6 milliards CAD), a calculé Vladimir Milov, leader d'un mouvement d'opposition. Soit trois fois plus que la mission du robot Curiosity de la Nasa qui a parcouru 570 millions de km avant d'explorer la planète Mars.

À Sotchi, il est clair que les investisseurs privés ne pourront pas rentabiliser leurs projets, estiment d'ores et déjà deux chefs d'entreprises cités par Vedomosti.

Entreprises en danger

Des constructions tous azimuts de bâtiments, d'hôtels, de nouvelles routes et voies de chemin de fer sont en cours dans cette station balnéaire quasi vierge d'installations sportives et où les infrastructures étaient jusqu'ici peu développées.

L'État russe, avec la participation du secteur privé, y investit massivement pour développer le tourisme et promet que les nouvelles installations seront utilisées après les JO du 7 au 23 février 2014, mais des experts émettent de sérieux doutes.

« Il est possible que de petites et moyennes entreprises soient vouées à la faillite », indique M. Amirov, ajoutant que c'est « l'État qui va subir les plus lourdes pertes ». 

Des difficultés sont aussi à prévoir pour les banques qui ont accordé des crédits pour des projets liés aux JO, comme la VTB, deuxième banque de Russie, ou la VEB (Banque pour le développement et l'activité économique).

Cette dernière s'attend déjà à être en faillite après 2014, une situation qui se répercuterait sur les dépenses publiques, dans la mesure où les crédits de VEB ont été garantis par l'État, qui finance les deux tiers des projets liés aux JO, selon Vedomosti.

La holding Basic Element de l'oligarque Oleg Deripaska, chargée de grands projets comme la construction du principal village olympique, pourrait elle aussi être contrainte de mettre la clé sous la porte, relève le quotidien russe des affaires.