Aux dires de plusieurs gymnastes, une pause de deux semaines peut sembler une éternité. Imaginez le défi qui les attend quand viendra le temps de retrouver la main après un arrêt forcé de quelques mois.

« L’orientation spatiale, musculaire et physique; on perd tout ça en étant loin des appareils aussi longtemps. Le retour est assez stressant, parce que c’est du jamais vu », confie René Cournoyer, seul Canadien déjà qualifié au concours complet des Jeux olympiques de Tokyo.

Le Repentignois a pu se procurer de l’équipement au début de la pandémie dont des poids, des élastiques, des anneaux et des poignées pour reproduire le cheval d’arçons. Il tente depuis quelques semaines de conserver un horaire structuré d’entraînement pour assurer constance et stabilité.

« J’ai réaménagé le sous-sol du garage pour être en mesure de m’entraîner au minimum et de garder les bases en vie. C’est sûr que ça ne ressemble en rien à ce qu’on fait habituellement, mais on se débrouille comme on peut pour rester en forme. »

L’entraînement à la maison a forcé une nouvelle approche en matière de préparation et de conditionnement physique. Tout en restant actifs, ils ont tous profité du confinement pour soigner les blessures.

« Le repos m’a permis de bien guérir mon genou et il est redevenu comme neuf », se réjouit Zoé Allaire-Bourgie, qui se préparait pour un retour à la compétition en mars après avoir été mise à l’écart durant un an en raison d’une déchirure du ligament croisé antérieur au genou droit. Âgée de 15 ans, elle réserve présentement entre 4 et 6 heures de ses journées pour faire de l’activité physique. « J’ai pris de la force et de la masse musculaire et ça risque de faciliter mon retour, mais je m’attends à ce que ça ne soit pas parfait du premier coup. »

Pour sa part, Victoria Woo a pris le temps nécessaire pour soigner des douleurs au cou qui datent de 2017, lorsqu’elle a subi des commotions cérébrales. « On a complètement reboot mon système vestibulaire en le stimulant avec certains exercices. J’ai aussi égalisé la force de mes jambes et réglé un problème à la cheville gauche. Des trucs qui avaient été mis de côté et que je ne prenais pas le temps de faire », admet-elle.

Une remarque similaire est faite par Thierry Pellerin, qui a pu s’attaquer à un mal de poignet qu’il traînait depuis plus d’un an et à un mal de genou qui l’ennuyait depuis plus de cinq ans. « Beaucoup de physiothérapeutes me parlaient de la nécessité d’une pause d’un ou deux mois, ce qui est impossible pour un gymnaste », explique-t-il.

Une deuxième pause

Pour Audrey Rousseau, c’est la deuxième fois que sa carrière de gymnaste est mise sur pause. Elle avait annoncé sa retraite en 2018, mais son ennui de la compétition et sa soif de réussite l’ont finalement fait revenir sur sa décision quelques mois plus tard.

L’athlète de La Prairie assure toutefois que les deux épisodes sont différents. « Je ne m’entraînais pas du tout pendant la retraite, alors le retour a été long et difficile. Cette fois, j’ai un but et je suis motivée », souligne celle qui s’entraîne tous les jours et effectue un suivi rigoureux avec ses entraîneurs.

« Je m’attends à ce que ce soit moins difficile que ce que j’ai vécu parce que je me suis gardée en forme et je sais comment mon corps va réagir. Mes entraîneurs me connaissent bien et ça les aide dans la planification. »

L’athlète de 20 ans était sur une lancée depuis qu’elle était sortie de sa retraite. Après être montée sur quatre podiums internationaux en 2019, elle a gagné deux médailles de bronze à l’International Gymnix en mars et était troisième des qualifications au sol à la Coupe du monde de Bakou, en Azerbaïdjan, où la finale a toutefois été annulée vu la COVID-19.

« Je sais que je peux revenir au niveau que j’étais, mais je vais devoir être patiente dans le processus et me donner du temps pour reprendre ce que j’ai perdu. »

Une étape à la fois

Un retour progressif sera primordial afin d’éviter les blessures, chose que Thierry Pellerin a pu constater à ses dépens au cours des dernières semaines. Avec l’arrivée du beau temps, le Lévisien a sorti à l’extérieur le cheval d’arçons qu’il a emprunté à son club. Il a repris trop rapidement et s’est fait mal au coude et à l’épaule.

« Ça faisait longtemps, j’ai recommencé d’un coup et j’ai fait un faux mouvement. Je n’ai pas la même stabilisation qu’avant, alors le coude ne va pas au bon endroit et ça frotte. J’ai rapidement dû doser mon entraînement parce que j’étais peut-être un peu trop excité de revenir. »

Ce type d’incident pourrait survenir à plusieurs gymnastes s’ils ne font pas preuve de patience, selon la préparatrice physique Maryse Allard.

« C’est majeur comme pause et ç’a allumé une grosse lumière rouge dès le jour 1 du confinement pour que tous maintiennent une grosse dépense énergétique », explique celle qui aide plusieurs athlètes soutenus par le programme d’Excellence Sports Laval, dont le gymnaste Félix Dolci. « Plusieurs vont avoir fait des gains en flexibilité, vont avoir soigné des bobos ou vont même montrer un grand développement personnel. Le plus gros danger concerne surtout les impacts sur les articulations. »

Maryse Allard précise que des périostites sont souvent diagnostiquées dans ces moments, tout comme des douleurs aux poignets ou encore au dos, vu l’impact sur la colonne qui crée des tensions musculaires importantes.

Conscients que le retour à la normale ne se fera pas du jour au lendemain, les athlètes savent aussi qu’ils finiront par reprendre là où ils avaient laissé avant la pandémie. Ce qui les inquiète davantage, c’est le calendrier et l’inconnu. Quand aura lieu la prochaine compétition ? Quel sera le système de qualification et de combien de temps de préparation disposent-ils avant la tenue des Jeux olympiques de Tokyo ? Plusieurs questions demeurent sans réponse.

« Selon ce que j’ai vécu avec mes blessures, je ne revenais pas à zéro aux barres même si j’en n’avais pas faites durant trois mois. Ça va bien aller et je n’aurai pas tout perdu à mon avis », partage Victoria Woo.

« Il va falloir reconstruire et réhabituer certains muscles qui ont été moins sollicités. Ça serait plus motivant si on avait des dates, mais on reste relativement positif et optimiste. On passe à travers tout ça une semaine à la fois », conclut René Cournoyer.