Notre homme était confortablement installé sur le bord de sa piscine à St-Jean-sur-Richelieu, un verre de bière d'épinette dans une main et le Sporting News, la bible du baseball, dans l'autre. Claude Raymond semblait indiscutablement dans un autre monde.

« La vie est belle mon Claude? »

« La vie après le baseball n'a jamais été aussi belle. Extraordinaire. J'ai appris à vivre une vie normale depuis le départ des Expos, il y a déjà cinq ans. Comme tout le monde, il était temps, après 50 ans dans le baseball professionnel.

« D'accord, Claude. La vie est belle, mais le gazon? »

« Rita s'en occupe. Comme d'habitude ». Un vieux refrain qui n'a pas changé, semble-t-il.

Même si la direction des anciens Expos lui a montré la porte en filant vers Washington. « Frenchie » s'intéresse encore au baseball, un sport pour lequel il a donné la moitié de sa vie. « Certaines journées, je regarde jusqu'à cinq ou six matches de baseball à la télévision, via le satellite. Mes clubs favoris sont naturellement les White Sox de Chicago, qui m'ont donné ma première chance dans les majeures, et les Braves avec lesquels j'ai joué le plus longtemps. Mes joueurs favoris? Le premier but des Cards Albert Pujols, que je considère le meilleur frappeur dans le baseball de nos jours, et le lanceur Livan Hernandez avec qui je m'étais lié d'amitié, lorsque l'équipe était encore à Montréal. »

Claude admet cependant qu'il n'a pas été facile de réaliser que le baseball, c'était bel et bien fini pour lui. « J'ai fait quelques visites au camp d'entraînement de mon ancien club en Floride, durant mon séjour de trois mois à Cocoa Beach, en vacances avec mon épouse Rita. Sauf quelques rares exceptions, on avait peine à me reconnaître. Mon fils, Claude-Marc n'en revenait pas. »

« Lorsqu'on a vu sur le terrain des joueurs portant les numéros 8, 10 et 30 appartenant à Gary Carter, Andre Dawson, Rusty Staub et Tim Raines, numéros qu'on avait pourtant retirés à Montréal, on était tout simplement indignés, insultés et choqués. C'est alors qu'on a réalisé que les dirigeants n'avaient aucun respect pour l'ancienne équipe montréalaise et qu'elle était belle et bien enterrée. Aujourd'hui, il n'y a plus un seul ancien joueur des Expos avec les Nationals. J'ai décidé de tourner la page depuis longtemps », dit-il

Un très mauvais souvenir

L'ancien lanceur a bien apprécié son expérience de trois saisons comme instructeur avec les Expos de 2002 à 2004. Il aurait cependant souhaité que cette opportunité survienne auparavant, mettons en 1972, quand Jim Fanning, alors directeur général des Expos, l'eut congédié sur la recommandation du gérant Gene Mauch, qui venait de confier le rôle de releveur numéro un de son club à Mike Marshall.

« John McHale, alors président de l'équipe, ne croyait pas aux chances des Canadiens de faire carrière dans le bureau administratif ou encore sur le terrain et me voyait plutôt à la radio ou à la télévision. J'ai travaillé 18 ans au micro des Expos, tant à la radio qu'à la télévision de Radio-Canada. Ce fut une excellente expérience qui m'a surtout permis de rester dans le baseball », relate-t-il.

Mais comment expliquer qu'un commentateur aussi chevronné et expérimenté, tant comme joueur, instructeur et analyste, ne soit justement pas au petit écran aujourd'hui, lorsque RDS présente du baseball majeur.

« Faudrait poser la question à la direction de RDS. Moi, personne ne m'a approché. Faut croire qu'ils avaient leurs hommes. C'est correct ainsi. », d'expliquer Claude.

De ses trois ans comme instructeur avec les Expos, Claude a conservé un triste souvenir, soit en 2003. « On se souviendra qu'à la fin d'août, les Expos avaient balayé les Phillies dans une série de quatre matchs au Stade olympique devant des foules délirantes. Sans s'en rendre compte, nous étions en tête dans la course aux meilleurs deuxièmes. C'était l'euphorie à Montréal même si ,en réalité, nous n'avions pas d'affaires là. Mais tout de même. »

« Puis, au 1er septembre, nous avions entrepris un voyage de 10 jours à Porto Rico. Tout le monde dans le baseball sait qu'au 1er septembre les clubs peuvent aligner 40 joueurs, au lieu de 25. Nous aurions pu en profiter et obtenir du renfort de nos filiales. Ces promotions auraient coûté environ 50 000$ aux Expos. Le « Baseball », à qui l'équipe appartenait, n'a jamais voulu qu'on rappelle des joueurs, prétextant que leur budget était déjà pété. J'ai tiré comme conclusion que le commissaire Bud Selig et les propriétaires des autres clubs ne voulaient pas que les Expos gagnent, d'autant plus qu'il était alors question de faire disparaître deux clubs, les Expos et les Twins du Minnesota. Quelle triste histoire. Impensablie. Invraisemblable. »

L'agonie des Expos a commencé avec le départ de Charles Bronfman

Pour Claude Raymond, l'agonie des Expos, suivie de leur mort à Montréal, est survenue en 1991, quand Charles Bronfman, le premier propriétaire du club, a décidé de se retirer. « Monsideur Bronfman était l'âme dirigeante des Expos, qu'il considérait comme une grande famille. C'était son jouet. Son train électrique. Sa fierté. Il s'était embarqué dans le baseball en 1968, contre le gré de son père, pour faire quelque chose pour le Canada, le Québec, Montréal et le maire Drapeau. Après son départ, ce fut le commencement de la fin. Dommage. Triste scénario, tès triste », de conclure Frenchie.

Il y a eu 40 ans, soit le 19 août dernier, que Claude Raymond faisait sa rentrée avec les Expos, obtenu des Braves. Il devenait ainsi le premier Québecois à porter les couleurs de notre équipe. « C'était la meilleure chose, qui pouvait m'arriver » de dire alors Claude en rencontrant les journalistes locaux au parc Jarry.

La meilleure chose dans le temps. Le refrain a possiblement changé en cours de route et surtout au départ des Expos.

Que reste-t-il de Nos Amours ? «Plus rien. Ils sont bel et bien enterrés », de conclure Claude.

En rafale

Q—Ton meilleur gérant?

R—Al Lopez, à mes débuts avec les White Sox de Chicago en 1959. J'étais jeune et j'ai beaucoup appris sous sa tutelle.

Q—Le pire?

R—Bobby Bragan avec les Braves de Milwaukee en 1963. Il m'avait laissé 27 jours sur le banc et Ron Piché, 23. Un peu plus et j'abandonnais le baseball.

Q—Ton meilleur duel a vec un frappeur?

R—Contre Willie Mays à Houston le 2 août 1965.Il avait frappé 13 balles fausses, avant finalement de frapper un circuit. Je n'étais pas le premier à donner un circuit à Willie ni le dernier.

Q—Le frappeur le plus difficile à retirer?

R—Je pense que Pete Rose a obtenu au moins 18 coups sûrs contre moi en carrière.

Q—Un incident cocasse?

R—J'étais célibataire et j'avais invité Rita, mon épouse aujourd'hui, à venir nous voir jouer contre les Phillies à Philadelphie. Je jouais alors pour Houston et on avait encaissé une raclée de 11-1. Rita ne trouvait pas juste que les Astros passent seulement 10 minutes au bâton et les Phillies une demi-heure.

Q—Le meilleur joueur de tous les temps?

R—Willie Mays, suivi de Hank Aaron, mon coéquipier à Atlanta.

Q—Le meilleur releveur?

R—Elroy Face. Je ne comprends pas que Elroy, n'ait jamais été élu au Temple de la renommée du baseball à Cooperstown. En 1959, il a conservé une fiche incroyable de 18-1 avec les pirates. Ce record ne sera jamais éclipsé, surtout de la façon dont les releveurs sont employés de nos jours.