Par souci de transparence, je dois débuter cet article avec deux confidences.

1) Depuis plus de 20 ans déjà, l’équipe sportive qui tire le plus sur les ficelles de mon cœur est celle de Mike Krzyzewski à Duke. Bon, peut-être à l’exception du CH... Mais cet attachement est plus compliqué et nécessiterait un article à part, à base de psychanalyse.

2) Je souhaitais secrètement que les Badgers de Wisconsin l’emportent en finale face à Duke hier soir.

Oui, ces deux affirmations sont tout à fait contradictoires et nécessitent des explications.

Ceux qui me connaissent un peu savent que je carbure souvent à la nostalgie. J’adore lorsque la nouvelle méthode de réussite dans un sport doit s’avouer vaincue, à l’occasion, par la formule efficace d’antan. C’est pour cette raison que le triomphe de Wisconsin samedi soir face aux indomptables Wildcats de Kentucky m’a apporté beaucoup de satisfaction. John Calipari attire les joueurs les plus talentueux au pays d’une saison à l’autre en leur promettant la gloire instantanée et les richesses de la NBA plus tôt que tard. Il va le plus loin qu’il le peut avec ses poulains et repart à zéro l’année suivante.

Difficile de le blâmer car le système actuel de la NCAA, avec ses lacunes et ses complexités, est ainsi fait. Calipari a simplement choisi une approche avant-gardiste et audacieuse pour arriver à ses fins. Et sa fiche de 38-1 cette saison donne largement raison à son approche. Ceci étant dit, il a dû s’avouer vaincu samedi devant une formation mise en place de façon on ne peut plus opposée à la sienne. Bo Ryan recrute des joueurs qu’il s’attend à pouvoir diriger pendant quatre ans. Il ne cherche pas nécessairement les meilleurs joueurs de 17 ou 18 ans disponibles, mais plutôt des athlètes avec un grand potentiel qu’il pourra développer à sa manière et insérer efficacement dans son système de jeu. L’exemple parfait de cette approche : Frank « The Tank » Kaminsky. Il est arrivé au Wisconsin en 2011, du haut de ses 7 pieds, complètement perdu dans l’univers du basket. Admirez ensuite la progression :

1re année : 8 minutes de jeu et 1,8 pt par match, 41% du périmètre et 29% de 3 points

2e année : 10 minutes, 4,2 pts, 44% du périmètre et 31% de 3 points

3e année : 27 minutes, 13,9 pts, 53% du périmètre et 38% de 3 points

4e et dernière année : 34 minutes, 18,8 pts, 55% du périmètre et 42% de 3 points (nommé joueur de l’année au pays)

Wow! Une métamorphose à l’ancienne qui a permis aux partisans des Badgers de développer un fort sentiment de fierté et d’appartenance avec son joueur vedette. On ne voit plus ça trop souvent de nos jours. J’ai beau chercher, je ne pourrais même pas vous nommer le dernier joueur à avoir évolué quatre ans dans un programme dirigé par John Calipari.

Bien sûr, j’aurais apprécié être témoin d’une saison parfaite et historique de 40-0. Mais en contre-partie, comment ne pas apprécier lorsque des vétérans développés dans l’obscurité d’un endroit comme le Wisconsin viennent à bout, le temps d’une soirée éphémère, des jeunes vedettes développés dans l’incubateur du succès à Kentucky?

Revenons donc à nos moutons avant que je divague trop. Après leur succès de samedi soir, la logique aurait voulu que Wisconsin termine sa saison de rêve avec son premier titre national depuis 1941 et seulement le troisième de l’histoire de l’état. Sans oublier l’homme qui tire les ficelles des Badgers, Bo Ryan, qui aurait sans doute mérité un premier titre en Division 1 après quatre en Division 3 dans les années 90. Mais c’était sans compter sur le magicien de Durham, un certain génie du nom de Coach K.

Un parcours rempli d'embûches

La petite histoire de la saison 2014-15 de Duke débute en fait en novembre 2013. Jahlil Okafor et Tyus Jones, tous les deux âgés de 17 ans à l’époque, malgré les 900 kilomètres qui les séparent, sont devenus de meilleurs amis et se sont promis d’aller à l’université ensemble. Suffisait de trouver le bon programme. Coach K recevra peu de temps après l’appel téléphonique rêvé.  Ils avaient arrêté leur choix sur Duke parmi les multiples offres reçues.

Un an plus tard, en novembre 2014, les premiers verdicts de l’édition actuelle sont très concluants. Ce sera une équipe talentueuse et balancée qui pourrait aller loin, nous disait-on. Les Blue Devils ont eu beau présenter une fiche parfaite de 12-0 à l’arrivée du Nouvel An, tout n’était pas tout à fait rose à Durham à l’aube du début des matchs de conférence. Les Dukies accordent 87 points à NC State le 11 janvier lors de leur première défaite de la saison et 90 deux jours plus tard, à domicile, face à une formation très moyenne de Miami. Deux revers de suite dans la ACC sous le règne de Coach K, c’est rare. Une première en près de six ans pour être précis. Et deux défaites de suite par plus de 10 points, c’est encore plus rare. Ca ne s’était pas produit depuis 1996.

La défensive d’équipe, éternellement une certaine lacune des Blue Devils, allait devoir être resserrée. Puis, 15 jours plus tard à Notre Dame, une troisième défaite allait mettre en valeur un autre élément inquiétant dans la cour de Coach K. Une pomme en apparence pourrie du nom de Rasheed Sulaimon. Malgré son talent individuel indéniable, il n’avait jamais réussi à trouver sa place dans le groupe depuis son arrivée en Caroline du Nord. Après avoir volé la vedette à plusieurs reprises à ses débuts en 2012, ses performances et son attitude se sont mises à vaciller, tout comme la confiance de Coach K à son égard.

Après quelques saisons de tumulte entre les deux, le tout a atteint son apogée à South Bend le 28 janvier. Sulaimon joue 12 minutes, marque trois points, se fait battre à quelques reprises défensivement et ne démontre pas l’étoffe du leader que Krzyzewski souhaite qu’il devienne. Après une discussion franche suivant la rencontre, l’entraîneur de Duke décide de faire quelque chose qu’il n’avait jamais fait en 35 ans à la barre du programme : il expulse Sulaimon de l’équipe. C’était excessivement audacieux de sa part (il ne lui restait alors que huit joueurs sur des bourses d’étude, dont quatre à leur première année) mais avec du recul, on peut maintenant dire qu’il venait de prendre l'une des meilleures décisions de sa carrière.

La suite est assez facile à observer sur papier et sur le terrain. Soudainement, les rôles de chacun sont devenus plus clairs et mieux définis. Justise Winslow s’est mis à marquer plus de points et à prendre de la confiance dans toutes les facettes du jeu. Quinn Cook est devenu plus efficace offensivement. Et surtout, les contributions générales de Matt Jones et Grayson Allen ont pris leur envol. Allen en particulier, joueur de première année natif de la Floride, est devenu en quelques mois le joueur agressif et fonceur que Sulaimon n’aura jamais pu mettre de l’avant en deux ans et demie. Et que dire de leur défensive d’équipe? Soudainement, une unité en-dessous de la moyenne pour des grandes portions de la saison n’accordera que 56 points par rencontre en six matchs durant le tournoi. Une performance historique et un revirement tout à fait inattendu.

La touche unique de Coach K

Lorsque je repenserai au match d’hier dans quelques années, un des souvenirs les plus vifs qui me viendra à l’esprit sera la réaction de Duke, menée spécialement par Grayson Allen, alors qu’il restait 13:17 à la deuxième demie. Les Badgers menaient soudainement 48-39, les partisans en rouge étaient en liesse dans le Lucas Oil Stadium, Okafor était sur le banc avec trois fautes et les autres jeunes loups de Duke semblaient avoir perdu leur chemin.

L’expérience de Wisconsin, facteur qui me permettait de départager les deux équipes avant la rencontre, semblait vouloir prendre le dessus. Coach K signale alors un temps d’arrêt, calme ses troupes comme seul il peut le faire et signale un jeu en revenant de la pause à l’intention d’un jeune homme présentant une moyenne de 4,4 points par rencontre durant la saison. Allen obtient le ballon quelques secondes plus tard et réussit un énorme tir de trois points tout en affichant un calme de glace. Il venait de changer l’allure du match.

Quarante-trois secondes plus tard. Allen attaque Sam Dekker et obtient la faute en plus du panier. Jeu de trois points pour ramener l’écart à trois. Ce fut 29-15 en faveur des Blue Devils à compter de ce moment critique de la soirée. Devant cette scène inspirante, ne voulant pas être en reste, Tyus Jones a ensuite décidé de prendre le flambeau des mains de Allen pour le reste de la rencontre. Il a marqué 13 des 21 derniers points des siens, dont quelques tirs contestés dignes des ligues majeures. Qui a dit que l’expérience des grandes occasions doit être acquise à la dure sur plusieurs années? La consécration fut ultime et plutôt sidérante.

Ce qui nous amène à parler de celui qui a été couronné des grands honneurs pour la cinquième fois de sa carrière (et la 3e fois à Indianapolis) : Coach K. Le leader et motivateur ultime. Il est doté de la capacité inouïe de déceler et d’apporter à son équipe l’élément manquant pour avoir du succès année après année. Quelqu’il soit. Il met en place des rôles taillés sur mesure pour chaque joueur, leur permettant d’être à l’aise et d’éclore plus la saison progresse. Il ne mesure pas l’ampleur du rôle qu’il te confie selon ton niveau d’expérience, mais bien selon ton niveau de force de caractère.

Comment d’autre expliquer que 60 des 68 points de son équipe face aux Badgers ont été marqués par des joueurs qui évoluaient à l’école secondaire à pareille date l’an dernier ? Et il a été en mesure de s’adapter aux tendances et aux époques mieux que quiconque. Un vrai caméléon du succès, qui aura accédé à un Final Four lors de quatre décennies consécutives et qui aura créé un environnement hybride entre la méthode Calipari et la méthode Bo Ryan.

La devise à l’interne de Duke, après l’expulsion de Sulaimon, aura été toute simple : « Eight is enough ». Huit joueurs suffiront pour nous amener à la terre promise. Et à partir du moment où les huit joueurs en question, ainsi que leur entraîneur-chef aux talents dignes d’un magicien, y croyaient. Tout devenait possible.

J’espère vous retrouver l’an prochain pour une autre édition du meilleur événement sportif qui soit : le March Madness!

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