Pour chaque LeBron James, il y a eu un Steph Curry. Pour chaque Anthony Davis, il y a eu un Steve Nash. Certaines mégavedettes de la NBA ont laissé présager une grande carrière dès l’âge de 16, 17 ou 18 ans. On en parlait partout dans les médias avant même leur tout premier match pro.  Et malgré les attentes bien trop élevées, ils ont réussi à les surpasser. Alors que d’autres ont connu une éclosion tardive dans une université obscure, se développant à leur rythme, avant de se révéler à la planète basket avec une carrière digne du Temple de la renommée.

Russell Westbrook se retrouve quelque part entre ces deux univers. Sa poussée de croissance à sa dernière année d’école secondaire aura réussi à attirer tardivement l’attention de son programme NCAA de rêve : UCLA. On lui a alors offert la dernière place disponible sur l’équipe. Une place qui venait de se libérer à la suite de l’exode inattendu de Jordan Farmar pour la NBA. Westbrook s’est donc présenté sur le campus de Los Angeles en tant que plan de rechange de qui les Bruins n’attendaient franchement pas grand-chose au départ. En 36 matchs lors de la saison 2006-2007, âgé de 18 ans seulement, il mangera ses croûtes. Seulement trois fois jouera-t-il plus de 15 minutes dans une rencontre et trois fois atteindra-t-il le cap des 10 points. Son potentiel athlétique était inégalé et son énergie visiblement débordante. Mais une future star professionnelle en devenir? Pas vraiment.  Le seul qui y croyait à ce moment, c’était lui-même.

Durant la deuxième saison à UCLA toute fois, la perception des dépisteurs évaluant Westbrook évoluait rapidement. Clairement, son désir de raffiner les rudiments du jeu était omniprésent et il arrivait fréquemment à imposer sa loi sur le terrain. Il attaquait le panier avec férocité, courait plus vite et sautait plus haut que la majorité. Et surtout, il était infatigable. Après 3 ou 38 minutes de jeu, son moteur lui permettait encore d’aller à 110 km/h. Il amorça 34 des 39 matchs des siens, totalisant des moyennes de 13 points, 4 rebonds et 4 aides par rencontre. Une très belle progression, certes, mais rien digne d’un athlète prêt à faire le grand saut. Et pourtant, Westbrook se sentait plus prêt que quiconque. Confronté à un bassin de joueurs relativement faible pour cet encan NBA 2008, il dit au revoir hâtivement à UCLA et inscrit son nom dans le chapeau. Le pari fut payant pour « Russ » puisque le Thunder fut suffisamment charmé par son potentiel pour annoncer son nom au 4e rang! Sur le coup, ce fut une sélection assez critiquée par les supposés experts. Avec un peu de recul, on réalise aujourd’hui à quel point ce fut un éclat de génie.

Même si l’état-major d’Oklahoma City était publiquement enthousiaste à son arrivée en ville en 2008, ils admettraient aujourd’hui ne pas savoir réellement ce qu’ils avaient alors entre les mains. Westbrook avait beau être une boule d’énergie avec des ressorts dans les jambes, on était en droit de se demander s’il avait les atouts nécessaires pour exceller dans la NBA. Était-il un meneur de jeu ou un garde hybride? Était-il suffisamment bon passeur? Allait-il améliorer son tir de l’extérieur pour forcer l’adversaire à le respecter à plus de 12 pieds du panier? Pourrait-il contrôler ses émotions parfois volcaniques? Avait-il le profil d’un futur leader ou était-il trop excentrique et renfermé sur lui-même? Toutes ces questions étaient légitimes.

Rapidement, il se lia d’amitié avec le choix de première ronde de l’année précédente : un certain Kevin Durant. Leur brûlant désir de s’améliorer et de pousser l’équipe vers le haut était partagé. En 2009, le troisième membre de leur trio infernal débarqua aussi en ville : James Harden. Le jeune noyau propulsant dorénavant le club était quasi-inégalé dans la NBA. Un noyau en l’occurrence très uni. Tissé serré. Ils passèrent trois saisons exceptionnelles ensemble dans le Midwest, s’inclinant même en grande finale contre le Heat de LeBron/Wade/Bosh en 2012. Pour bien des observateurs, ce n’était qu’une question de temps avant qu’OKC mérite sa consécration. Il s’agit toutefois d’une histoire qui n’aura jamais de conclusion. Quelques mois plus tard, incapables de s’entendre sur les termes d’un nouveau contrat avec James Harden, le Thunder l’échangea aux Rockets de Houston contre quelques bouchées de pain. Une décision qu’ils regrettent encore aujourd’hui. Et une décision que Harden lui-même ne digérera jamais.

Le noyau était dorénavant réduit à deux morceaux, mais le Thunder alla de l’avant et Westbrook prit encore plus son envol. En 2014, l’équipe retourna en finale de l’Ouest. La saison suivante, malgré des blessures à Durant et une absence des séries, Westbrook afficha des moyennes de 28 points, 8,6 aides et 7,3 rebonds. Et la saison dernière,  tous les morceaux du casse-tête semblaient enfin en place. Le Thunder prit même une avance de 3-1 dans la finale de l’Ouest les opposant aux Warriors. Ils étaient si près du but, et ultimement si loin. L’effondrement fut total quand, le 4 juillet, Kevin Durant annonça son intention de quitter le Thunder pour se joindre aux Warriors. Ma première réaction : « wow! ». Ma deuxième : « que va-t-il maintenant arriver au Thunder et Russell Westbrook? ».

Avec encore une seule saison à disputer avant de devenir lui-même joueur autonome sans compensation, il semblait évident que Westbrook allait également quitter le petit marché d’Oklahoma City pour des cieux plus excitants. Contre toutes attentes, une prolongation de contrat de trois ans fut annoncée. Westbrook allait dorénavant agir de pierre angulaire incontestée de l’organisation et voulait montrer que ses succès ne dépendaient en rien de la présence de Durant (avec qui la relation est devenue soudainement glaciale). Russ est en véritable mission pour commencer la saison actuelle. Après 20 matchs, il mène à lui seul son équipe à une fiche de 12-8. Un exploit en soi considérant un punch offensif limité autour de lui.

Sur le plan individuel, son brio est encore plus percutant. Ses moyennes par rencontre en date du 1er décembre : 31,2 points – 11,3 aides – 10,5 rebonds. Tous des sommets en carrière pour lui. Amasser de tels chiffres en un seul match relève de l’exploit. Les amasser en moyenne sur une période de 20 matchs relève presque du miracle. En fait, il est devenu le deuxième joueur de l’histoire du circuit à amorcer le mois de décembre avec des moyennes supérieures à 10 dans trois catégories statistiques de marque. Seul le légendaire Oscar Robertson, en 1961, s’était taillé une place dans ce club plus que sélect. Des moyennes de 30 points et 10 aides pour un garde, c’est exceptionnel… mais ce n’est pas inédit. Mais qu’un meneur de jeu se classe au 11e rang de toute la ligue au chapitre des rebonds, devant des mastodontes dont c’est l’unique responsabilité de dominer autour de l’anneau, c’est tout simplement hallucinant.

La question qu’on doit maintenant se poser : « Peut-il maintenir cette cadence historique pendant toute une saison? ».

Pour les points et les aides, c’est très possible. Il y est arrivé pour la première fois la saison passée. C’est au niveau des rebonds que ça devrait se corser. Son sommet en carrière étant de 7,8 par soir, ça devrait redescendre un peu tôt ou tard.

Les saisons sont longues et exténuantes. Les chutes de production deviennent inévitables. Mais s’il y a un joueur au sommet de son art présentement, un joueur à son apogée physique à 28 ans, un joueur au moteur en apparence éternel, un joueur plus motivé que jamais à y arriver, c’est bien Russell Westbrook.

Finir une saison complète avec 30 points, 10 rebonds et 10 aides par match, un exploit improbable, mais pas impossible. Du moins, je ne gagerais pas contre lui.