Selon toute indication, le séjour d’Andrew Wiggins au sein de l’organisation des Cavaliers de Cleveland sera très bref. Le 23 août prochain, le jeune homme originaire de Toronto deviendra éligible à être échangé et on croit qu’il devra se procurer un billet d’avion pour le Minnesota. Les probabilités sont toutes aussi fortes qu’il ne soit pas le seul Canadien à embarquer dans l’avion puisque son bon ami Anthony Bennett, un autre Ontarien sélectionné au tout premier rang par les Cavs lors de l’encan précédent, se joindrait à lui. Le joueur tant convoité qui se dirigerait à Cleveland en retour ? Un certain Kevin Love. Peut-être le connaissez-vous? Il s’agirait ici d’une des transactions les plus fascinantes dans la NBA depuis quelques années. La question à se poser maintenant : feriez-vous cet échange si vous étiez à la barre de l’une ou l’autre des équipes impliquées?

Pour ceux qui ont suivi le circuit Silver d’un œil à moitié intéressé pendant la saison morte, récapitulons le contexte. Le 20 mai dernier se tenait la loterie en vue du prochain repêchage de la NBA. Les probabilités de voir les Cavaliers de Cleveland décrocher le tout premier choix pour une troisième fois en quatre ans se situaient à 1,7 %. Si je vous en parle, c’est évidemment parce que l’improbable s’est produit. Le 26 juin, le soir de l’encan amateur, Cleveland se fait donc plaisir en sélectionnant un atout à long terme de premier plan du nom d’Andrew Wiggins. Puis est survenu le réel coup de théâtre de l’été le 11 juillet. LeBron James en a surpris plusieurs en annonçant son retour aux sources avec les Cavs. Bémol important à noter : le contrat de James est d’une durée de deux ans seulement (et contient même l’option de redevenir joueur autonome après la saison 2014-2015). Instantanément, l’objectif de l’état-major des Cavs devient d’entourer le King le mieux possible, dès que possible. Même si on rapporte que LeBron est dévoué à long terme à la cause du club de sa ville natale (il pense obtenir plus de sous en signant à long terme dans deux saisons), on ne peut se permettre de prendre la chance qu’il nous brise le cœur une seconde fois à Cleveland. Un rapide coup d’œil à la fiche des Cavs nous permet de constater une évidence : ils ont beaucoup de jeune talent mais très peu d’expérience. En fait, seul Anderson Varejao, fidèle acolyte de LeBron, a déjà vécu dans les tranchées en participant aux séries d’après-saison.

Kevin LovePendant ce temps, au Minnesota, un athlète de grand talent trouve le temps long en regardant presque tous les clubs sauf le sien participer aux séries depuis six ans. Kevin Love (photo) vient de connaître sa meilleure saison sur le plan personnel, avec une récolte de plus de 26 points, 12 rebonds et 4 mentions d’aide par match. Et pourtant, les Timberwolves ont vu leur campagne se terminer hâtivement pour une 10e année consécutive. Mauvais repêchages, décisions de personnel déficientes et mentalité de perdants... tout simplement. Alors d’un geste que je qualifierais de respectueux, il a informé la direction du club il y a quelques mois de son désir de profiter de l’autonomie complète qui s’offre à lui à l’été 2015. « Si vous ne m’échangez pas avant ça, ce sera votre choix. Je vous aurai averti. »

Se dessine donc devant nous un contexte d’échange en apparence très clair. Équipe A possède un des 10 meilleurs joueurs de la ligue, âgé de 25 ans seulement, mais il est mécontent et ils doivent l’échanger avant qu’il ne leur appartienne plus. Équipe B recherche activement ce genre de joueur et possède les jeunes atouts pour inciter Équipe A à transiger. Marché conclu, n’est-ce pas? Les Timberwolves ont beau être gourmands et demander encore plus que Wiggins, Bennett et un futur choix de 1re ronde de la part des Cavs, je vous promets qu’ils ne recevront pas une offre plus alléchante pour Love. Mais si vous le permettez, j’ai envie de jouer à l’avocat du diable du point de vue des Cavaliers.

Même si on écoute les multiples dépisteurs qui tentent de déceler des failles dans le jeu de Wiggins depuis un an… que ce soit l’absence de l’instinct « mâle alpha » que démontrent les intouchables du panthéon comme MJ, Kobe et LeBron ou des lacunes comme une feinte bien à lui pour marquer à coup sûr, un dribble plus bas en route vers le panier ou un tir de l’extérieur plus fiable, il y a certains faits qu’on ne peut ignorer :

- Il est un athlète hors norme, doté de capacités athlétiques qu’aucun joueur actuel ne peut accoter. Ses instincts et son explosivité en transition offensive lui permettront de se démarquer dès le départ;

- Défensivement, il pourrait déjà être un des meilleurs sur l’aile dans la NBA dès sa saison recrue. Il est rapide, agile et doté de longs bras. Certains de ses traits ne s’enseignent tout simplement pas;

- C’est un jeune homme bien entouré, prêt à écouter et à apprendre, avec une bonne tête sur ses épaules. Chacune des lacunes mentionnées ci-haut (mis à part peut-être celle du mâle alpha) sont 100 % réglables. Il faut se rappeler qu’il a joué une seule saison dans la NCAA, au sein d’un système offensif relativement restrictif à Kansas. Son vrai potentiel nous est encore inconnu.

À bien y penser, il pourrait devenir le « Pippen au Jordan » de LeBron si on lui en donne la chance. Un acteur de soutien à l’importance primordiale. Un bonhomme de grand talent mais dont la personnalité lui permet d’accepter le rôle de second violon sans pleurnicher. Qui trouvera une façon de compléter à merveille l’acteur principal à ses côtés. Le réputé Bill Simmons, de Grantland.com, proposait justement un scénario il y a deux semaines qui m’apparaissait on ne peut plus logique : garder Wiggins à Cleveland pour débuter la saison. Voyez à quel point il peut se mêler à LeBron et à quel point il est prêt à contribuer à la cause collective. Peut-être que l’expérience sera plus concluante que prévue. Et même si elle ne l’est pas, la valeur à long terme de Wiggins n’en souffrira pas. Les Timberwolves ont beau être gourmands, ils ne sont pas imbéciles. Ils ne transigeront pas ailleurs tant qu’ils croient que l’échange avec Cleveland est encore possible et qu’il s’agit de la meilleure offre sur la table. Peut-être sentiront-ils en plus la soupe chaude, au point de réduire leurs demandes ? Bref, je ne crois pas que Cleveland ait beaucoup à perdre dans ce scénario.

Nous avons devant nous l’éternel débat dans le sport professionnel. Prendre des risques pour gagner maintenant, quitte à sacrifier le futur à moyen ou long terme, ou jouer de prudence à court terme, quitte à se positionner un peu moins avantageusement dans l’immédiat? Parlez-en aux partisans des Oilers d’Edmonton et ils vous diront qu’ils ont été patients depuis des années sans que ça ne mène à quoi que ce soit de positif. Que d’accumuler des premiers choix au repêchage n’est pas gage de succès assuré et qu’ils échangeraient volontiers un Taylor Hall ou un Ryan Nugent-Hopkins si ça leur assurait de participer aux séries dès l’an prochain.

Et appelez ensuite un partisan des Cowboys de Dallas. L’organisation dirigée par Jerry Jones ne veut rien savoir des termes « reconstruction » et « patience ». Sauf qu’à force d’y aller avec une philosophie visant à gagner à court terme, on ne fait que creuser le gouffre depuis maintenant près de 15 ans à Dallas.

Alors, qui dit vrai?

Pour trouver la réponse au dilemme des Cavaliers en 2014, selon moi, je crois que 4 chiffres vous en diront très long : 1964. Il s’agit de la dernière année qu’une formation professionnelle basée à Cleveland, quelle qu’elle soit, ait remporté un trophée. Une attente de 50 ans. Le complexe d’infériorité collectif est majeur. Tout le monde qui aime et supporte cette ville le sait pertinemment. Les Cavs ressentent cette pression. LeBron aussi. Il leur a fait un cadeau inespéré en revenant au bercail et en retour, ils se doivent de l’entourer dès maintenant (à 29 ans mais avec beaucoup de km dans le corps) du meilleur réseau de soutien possible. Ils doivent jouer gros. Ils n’ont pas vraiment le choix. Même si ça signifie peut-être de voir Wiggins devenir une future vedette sous d’autres cieux.