Il y a trois joueurs originaires du Québec qui s’illustrent depuis au moins deux ans dans la NBA : Chris Boucher, Luguentz Dort et Khem Birch. Mais soyons francs, Birch a été nettement moins médiatisé que les deux autres depuis son entrée dans la NBA. Pourquoi? En partie en raison de l’équipe peu attrayante pour laquelle il évoluait à Orlando. Et surtout, selon moi, en raison du fait qu’il est le seul des trois à ne pas parler français. Mais Khem Birch mérite définitivement qu’on parle de lui davantage.

Le 8 avril dernier, on apprenait que Birch et le Magic avaient mutuellement décidé de mettre fin à leur association environ six semaines avant que son contrat arrive à échéance. Et quelques heures plus tard, les médias sociaux nous informaient que le Montréalais d’origine et les Raptors s’étaient tombés dans l’œil. Le lien semblait naturel. La troupe de Nick Nurse avait un besoin criant de renfort à la position de centre (Baynes décevant et Boucher performant mais peu imposant). Quant à Birch, il était emballé à l’idée de rejoindre le seul club canadien du circuit tout en n’ayant qu’à se déplacer 90 minutes vers l’ouest (d’Orlando vers Tampa) pour y arriver. Un match en apparence parfait en surface.

Mais si on creuse plus loin, on comprend que l’intérêt du jeune homme avait des volets additionnels. De un, Birch était  « enterré » sur le banc des réservistes avec le Magic, une organisation loin d’être reconnue pour son développement de jeunes joueurs au fil des ans. Ceci représente le contraire des Raptors, ayant la réputation du paradis du joueur repêché tardivement ou ignoré qui cherche un jour frapper le gros lot (VanVleet, Siakam, Boucher, Watson, Watanabe).

De deux, Birch adore représenter son pays natal sur la scène internationale. L’entraîneur actuel du Canada : Nick Nurse. L’opportunité était ainsi trop belle. Impressionner Nurse tout en bénéficiant de l’encadrement quotidien de son personnel d’adjoints. Comment dire non à ce scénario?

Après environ deux semaines au sein de son nouveau club, le constat à l’endroit de Birch est exactement celui souhaité par l’organisation : belles capacités athlétiques, potentiel offensif limité, mais pas encore maximisé, un moteur qui n’arrête jamais, enthousiasme contagieux. Et j’en passe.

Mon collègue Peter Yannopoulos me disait récemment que Khem ne l’avait pas eu facile durant ses années formatrices. Même si son talent avait toujours été frappant, il a dû naviguer dans une mer de gens qui l’ont conseillé sans toujours avoir son intérêt personnel et son bien-être à cœur. Il était très haut coté en partant pour les États-Unis à la fin de l’adolescence, mais les choses se sont compliquées par la suite. Une seule saison à l’Université Pittsburgh, suivi de deux années plus solides au Nevada avec UNLV. En 2014, il renonce à sa dernière année universitaire et se rend admissible au repêchage NBA, mais son nom ne sortira pas. Les trois saisons qui suivirent (ligue de développement NBA, contrats pros en Turquie et en Grèce) serviront de leçon d’humilité indéniable pour le jeune homme. Et ça nous donnera éventuellement l’athlète fort différent qui se présente devant nous aujourd’hui à l’âge de 28 ans.

Ne méprenez pas le but premier de cet article. Je ne tente pas de vous faire accroire que Birch représente la solution à long terme à la position de centre partant pour un club aspirant aux grands sommets, avec des moyennes potentielles de 20 points, 10 rebonds et 3 blocs par soir. Restons calmes. Mais son apport récent, combiné à l’ajout de Freddie Gillespie, a contribué au rétablissement d’un certain équilibre absent depuis le début de saison. Les Raptors bloquaient peu de tirs. Ils se faisaient dominer aux rebonds soir après soir. Et leurs adversaires n’étaient nullement inquiets d’attaquer l’anneau. À ce chapitre, ils semblent avoir retrouvé un seuil de respectabilité. Et Birch a prouvé qu’il pouvait faire partie de la solution pour la suite des choses.

Dans cette optique, j’étais heureux d’avoir la chance de m’entretenir avec le nouveau venu via Zoom il y a quelques jours. Voici ce qu’il avait à raconter au RDS.ca :

Khem, peux-tu résumer pour nous tes racines québécoises et tes débuts dans le monde du basket?

Je suis né à Montréal dans le quartier de Notre-Dame-de-Grâce. Durant mon primaire, ma famille a déménagé dans l’ouest de l’île. Je jouais surtout au football à l’époque. J’ai commencé à m’intéresser ici et là au basket quand on était installés à Ottawa pendant quelques années. Mais c’est en revenant à Montréal et en jouant pour le programme civil de Brookwood Elite à l’été de 2008 que c’est devenu une véritable passion pour moi. Je serai toujours reconnaissant envers Joey McKitterick et les autres entraîneurs dévoués de Brookwood. Ils ont cru en moi durant l’adolescence et ils allaient toujours au-delà de leur engagement envers les jeunes. Ils n’étaient pas obligés d’en faire autant. Je me rappelle de tournois au Connecticut, au Massachusetts et même en Floride où ils nous inscrivaient sachant qu’on allait devoir passer des heures et des heures en autobus pour nous y mener. Ils ont fait de gros sacrifices pour aider notre développement.

Ton attachement émotif envers les Raptors remonte loin apparemment?

Je me rappelle clairement de mon cousin qui avait une affiche de Vince Carter dans sa chambre. C’était une légende vivante pour moi, une icône. Il a réussi à faire connaître et apprécier le Canada plus que quiconque. Il était Américain de naissance, mais Canadien adoptif à nos yeux et dans nos cœurs. Dans mon cœur d’enfant du moins. Ensuite, mon père et moi on regardait les matchs à la télévision. On criait après la télé, surtout lui en fait (rires). On a vu la progression au fil des ans, jusqu’au moment où ils ont atteint les séries pour la première fois. J’admirais aussi beaucoup Chris Bosh.

Quand le Magic t’a permis de quitter il y a quelques semaines, sentais-tu que les Raptors représentaient pour toi la meilleure chance de passer à la prochaine étape de ta carrière et de ton développement?

À 100 %. Je n’ai rien de mal à dire sur le Magic. Ils ont été les premiers à m’ouvrir les grandes portes de la NBA en 2017. Sans eux, je ne serais pas en train de vous parler présentement. Mais le temps était venu de passer à autre chose. J’ai beaucoup de respect pour coach Nurse depuis mon séjour avec lui et l’équipe nationale en 2019. Son système cadre très bien avec mon style de jeu. Le fait que les Raptors soient parmi les premiers à m’appeler m’a fait chaud au cœur.

Tu remarques des différences entre les façons de faire du Magic et des Raptors?

Assurément. Tout était pas mal plus rigide et strict à Orlando. Les entraîneurs nous demandaient d’exécuter des jeux planifiés à chaque possession offensive. Ici, l’approche est plus flexible. On nous apprend des principes de base, mais coach Nurse nous encourage ensuite à être plus libre et créatif à l’intérieur de certaines philosophies. Et la défense est doublement importante ici. Si tu es intense et discipliné en défense, tu te mériteras assurément du temps de jeu.

Ça ne doit pas être évident d’arriver avec une nouvelle équipe et d’être plongé instantanément dans une course aux séries à laquelle il ne reste qu’une vingtaine de matchs?

Je le vois comme un cadeau pour être franc. Ce n’est pas tout le monde qui peut vivre ça durant sa carrière. J’adore les défis et c’est très motivant de sentir que notre contribution est très importante aux succès du club. J’ai vécu quelque chose de similaire il y a deux ans avec le Magic, avant qu’on ne s’incline ensuite ironiquement face aux Raptors en première ronde des séries. Je ne m’en plaindrai sûrement pas. On va tout faire pour aller chercher la 10e place dans l’Est.

Le 18 avril, lors d’un duel Thunder c. Raptors, trois Québécois faisaient partie des dix joueurs partants d’un match de la NBA. Toi, Luguentz et Chris. Une soirée historique à plusieurs niveaux. Avec un peu de recul, tu en retiens quoi?

C’était un privilège d’en faire partie. Je suis très fier. Je vais assurément en parler à mes enfants quand je serai vieux. Il y a quelques années à peine, une telle soirée semblait totalement irréaliste. Maintenant, on vise de plus en plus haut. Pourquoi pas un 5 partant complet de Québécois un jour? On espère que ça aidera à inspirer de plus en plus de jeunes québécois. Et en plus, on a tous bien joué lors de ce match. Chris et Lu ont tous les deux été extraordinaires.

Parlant de Chris, tu le connais mieux que bien des gens. Es-tu surpris du niveau de jeu aussi élevé qu’il a atteint cette saison?

La réponse courte : non. Je comprends qu’il surprend bien des gens de par son niveau de jeu. Mais je me doutais bien honnêtement que ça allait éventuellement arriver. Quand on a joué ensemble il y a deux ans avec l’équipe nationale, je m’étais fait le commentaire : « Wow, ce gars-là est vraiment bon! ». Chris est une des personnes les plus confiantes que j’ai rencontrées dans ma vie. Et en plus, son talent naturel est indéniable. C’est tout un combo. Il avait juste besoin qu’on lui donne les clés de la voiture et il allait pouvoir montrer à quel point il pourrait la conduire. Il est encore très sous-estimé dans cette ligue. Son émergence ne me surprend pas.

Même si la fin de saison des Raptors doit capter la majorité de ton attention, commences-tu à penser un peu à la possibilité de jouer pour le Canada cet été et possiblement qualifier l’équipe pour les Jeux olympiques pour la première fois depuis 2000?

J’y pense tous les jours, sans exagération. Je ne veux rien promettre, mais aider mon pays à se qualifier pour les Jeux (et m’y rendre ensuite) fait partie des objectifs que j’ai fixés pour ma carrière. Ce serait non seulement un honneur de m’y rendre avec coach Nurse, mais aussi (possiblement) de partager l’expérience avec deux autres Québécois en Luguentz et Chris. Ce serait magique. On va pousser fort pour y arriver.

Et pour revenir aux Raptors, j’imagine que le seul côté un peu amer de ton expérience actuelle c’est de ne pas pouvoir jouer à Toronto devant famille, amis et la foule partisane?

C’est certain. Mais d’une autre façon, le fait que l’équipe soit installée à Tampa cette saison m’a un peu simplifié la vie. C’était moins déstabilisant de changer d’équipe tout en restant en Floride, que de déménager à l’autre bout du continent en cours de saison. Ceci étant dit, toute la famille du côté de mon père est établie à Toronto et j’aimerais beaucoup jouer devant eux. Si je suis encore avec le club la saison prochaine (il devra signer un nouveau contrat), ça rendrait l’expérience encore plus complète de retrouver le ‘vrai’ domicile au Canada.

Merci d’avoir pris le temps de nous parler Khem et bonne chance pour la fin de saison! On souhaite que vous accédiez aux séries.

Merci, j’apprécie!