Arrivé à Vancouver en septembre 1997, Michel Matifat s'est lentement mais sûrement impliqué dans la communauté francophone de Vancouver au point de devenir l'une de ses personnalités les plus influentes: de la Société de développement économique de la Colombie-Britannique, à la Fondation pour le dialogue des cultures, en passant par la Place de la Francophonie, qui aura pignon sur rue sur l'Ile Granville pendant les Jeux olympiques. De plus, au cours de la dernière année, Michel Matifat a siégé sur le comité consultatif sur les langues officielles du Comité d'organisation des Jeux olympiques. Rencontre avec un homme qui a vu Vancouver évoluer dans sa francissitude au cours de la dernière décennie.

Pourquoi avoir décidé de vous impliquer à ce point dans la communauté francophone?

Par rapport aux autres provinces canadiennes, la Colombie-Britannique est la province qui compte la plus petite proportion de francophones (vs anglophones). Environ 63 000 francophones et 300 000 francophiles vivent dans la province. C'est la plus petite proportion au Canada. Pour un Francophone, c'est plus difficile de faire sa place, notamment en raison de la très grande présence des populations asiatiques. Pour moi, faire fleurir le français ici est un défi. Pour maintenir la culture. Je suis marié avec une Anglophone, nous avons une fille, et c'est important pour moi que ma fille puisse aussi grandir en français.

Votre rôle au sein du comité consultatif sur les langues officielles, quel est-il?

Le comité consultatif a été créé par Jacques Gauthier, qui siège sur le conseil d'administration du COVAN, il y a quelques mois. Notre but est de guider le COVAN et de donner notre avis sur bon nombre de dossiers où la présence du français doit être respectée: bénévoles, signalisation, traduction, annonceurs et services aux spectateurs.

Nous travaillerons jusqu'au début des Jeux olympiques pour nous minimiser les écarts ou les manquements qui sont survenus au cours des derniers mois. On pense notamment à l'affichage bilingue à l'Anneau olympique de Richmond. Nous avons travaillé pour que la Ville de Vancouver rajoute le français sur les panneaux à l'entrée des limites de la ville. Ces indications en français vont rester. Ça fera partie de l'héritage olympique. Nous avons travaillé à l'amélioration des services et de l'affichage à l'aéroport international de Vancouver et sur la Canada Line.

C'est difficile parce que l'organisation de Jeux olympiques est une machine immense et complexe. Mais le respect du français n'est ici pas seulement une exigence canadienne, mais aussi une exigence du CIO, dont le français est la première langue officielle.

Les avancées notées en matière de bilinguisme au cours des derniers mois auraient-elles été les mêmes sans l'instauration du comité consultatif sur les langues officielles?

Non. Nous avons épluché le rapport que le Grand Témoin de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) des Jeux de Beijing, M. Jean-Pierre Raffarin, avait rédigé. Nous avons décortiqué ce rapport point par point. Nous avons souligné les dossiers où les Chinois avaient réussi et avons insisté pour répéter la recette. Et nous avons pointé du doigt les dossiers où les Chinois avaient raté pour faire en sorte d'éviter que ces situations se reproduisent.

Faire du dossier de la francophonie repose sur bon nombre de détails. Des détails qui, pris individuellement, peuvent sembler insignifiants, mais qui font toute une différence une fois mis ensemble.

Quel est le rôle de l'OIF dans la défense du français à Vancouver 2010?

L'OIF joue un peu le rôle d'une police, d'un chien de garde de la protection du français. L'OIF donne aussi beaucoup de crédibilité à l'opération.

L'OIF a aussi offert des ressources, notamment financières, humaines, logistiques, dont le COVAN ne disposait pas. Des contacts qui ont permis de faire avancer certains dossiers. Quand nous n'avons pas accès à certaines ressources, l'OIF va nous donner accès à ces ressources. C'est un gros plus pour le COVAN. C'est un très bon coup.

À plusieurs reprises au cours des derniers mois, le commissaire aux langues officielles du Canada, Graham Fraser, a exprimé ses inquiétudes par rapport au niveau de bilinguisme. Il a notamment indiqué qu'il avait peur que les Jeux ne répondent pas aux exigences de la loi canadienne et du CIO…

En plus d'avoir épluché le rapport de M. Raffarin, nous avons fait de même avec les rapports de M. Fraser. À chaque fois que M. Fraser soulignait une lacune, nous l'avons corrigée. Lors de la publication de son dernier rapport, M. Fraser quelques points encore à corriger, deux je pense. Mais son rapport comportait beaucoup moins de problèmes que dans son rapport précédent. Il y a eu une progression positive, une progression dans le bon sens. Nous avons essayé de prévoir tous les coups. Mais on savait que le défi serait de taille parce qu'il y a toujours des imprévus de dernière minute.

Faut toujours se rappeler que le COVAN vit une réalité budgétaire très stricte. Le COVAN ne peut pas commencer à dilapider son argent à coups de millions comme ça pour améliorer la qualité du français comme l'ont fait les Chinois. La réalité financière est très différente. La pression est très grande. Mais tout a été fait pour que le francophone moyen ait accès à de l'information en français.

Y a-t-il des dossiers qui ont été plus difficiles à faire progresser que d'autres? Des dossiers où parfois vous avez eu envie de jeter la serviette?

Ça a été plus difficile avec l'aéroport international de Vancouver et la Canada Line. Pour la Canada Line, il a fallu remonter et convaincre ces gens-là de le faire, même si l'argent n'était pas nécessairement disponible pour ces projets. Il y avait des lacunes importantes à l'aéroport. Tout a été mis en oeuvre pour corriger le tir. Il y a quelque même du bon vouloir. Mais sans notre apport et notre avis, ça aurait encore plus difficile. Le plus important est d'assurer un suivi et s'assurer que le dossier continue de progresser. Parfois, quand vous travaillez avec des Anglophones, ils ne comprennent pas toujours l'importance d'avoir tout dans les deux langues. Mais ils finissent par embarquer.

Qu'est-ce qui est le plus frustrant, le plus difficile quand vient le temps de défendre les intérêts du français? Est-ce qu'on se lasse de toujours passer pour le francophone qui critique toujours? De toujours devoir mettre son poing sur la table?

Je vois plus la situation comme une occasion de faire de l'éducation, de la sensibilisation auprès des Anglophones. Quand je rencontre un Anglophone pure laine qui ne semble pas trop comprendre la situation, il faut l'éduquer. Lui faire comprendre que le français doit être présent parce que c'est une exigence du CIO. Ce n'est pas parce que le Québec est là. Mais parce qu'on vit dans un pays où il existe une loi sur les langues officielles, les attentes sont encore plus élevées.

Malheureusement, les médias anglophones ne nous ont pas aidés. Quand le gouvernement a annoncé une enveloppe de 7,7 millions de dollars pour améliorer les services de traduction, certains journalistes ont écrit que le gouvernement avait agi pour gagner des votes au Québec. Personnellement, j'ai trouvé ça cheap.

Mais John Furlong est très conscientisé à la question francophone. Et ça, c'est très important pour moi. Il a d'ailleurs versé 25 000$ de sa poche pour la création de la bourse d'études portant son nom. La bourse vise l'engagement des jeunes francophones en Colombie-Britannique. Il est avec nous depuis le début, il a tenu ses promesses et il a reconnu notre implication... malgré les contraintes budgétaires.

Vous habitez Vancouver depuis plus d'une dizaine d'années. Comment la ville a-t-elle évolué dans sa francissitude au cours des dernières années?

Les citoyens de la ville réalisent de plus en plus que les gens qui parlent plus qu'une langue ont de plus grandes chances de succès dans la vie. De plus en plus les gens reconnaissent le français comme une langue importante, une langue appréciée. Les parents font la queue pour que leurs enfants aient une place dans une école d'immersion française. Ces écoles connaissent tellement de succès que les places manquent. Le français s'épanouit de plus en plus à Vancouver.

Si vous aviez à donner une note à l'ensemble de la gestion du dossier francophone par les différents intervenants de l'aventure olympique de Vancouver 2010, quelle serait-elle?

Pour l'effort, je n'ai rien à redire. La perfection n'étant pas de ce monde, je ne peux donner un 10 sur 10. Mais je serais prêt à donner un bon 9,5 sur 10 pour l'effort.

Est-ce que tous les résultats seront là? Aucune idée. Je l'espère. Je suis optimiste. Mais il y a tellement d'impondérables. Je crois qu'on se dirige vers un bon 8,5 sur 10 pour ce qui est des résultats.