Stéphane Ouellet a récemment offert ses services au Club de boxe Hilton afin d'offir ses services comme d'entraîneur. Deux jours après sa visite, le Jonquiérois a été embauché à raison de trois soirs par semaine. Voici le récit, raconté de brillante façon par Jacques Pothier, de cette autre "rencontre" entre Stéphane Ouellet et le clan Hilton.

(Collaboration spéciale Jacques Pothier) - Un secteur commercial, dans le quartier Saint-Henri à Montréal. La rue Notre-Dame, coin Bourget. Il s'est un peu cherché, mais l'affiche du Club de boxe Hilton, au-dessus de l'entrée principale, lui indique qu'il est maintenant au bon endroit.

Au bon endroit? À vrai dire, il n'en est pas très sûr : il est certes devant le local qu'il souhaitait trouver en quittant le travail, mais il se demande si, à un club de boxe identifié aux Hilton, on peut vraiment être « au bon endroit » si on porte le nom de Stéphane Ouellet et que l'on a combattu cinq fois la célèbre famille…

L'emplacement est nouveau, le club ne l'est pas, même pour lui : sur la rue Monk, dans Ville-Émard, le Club de boxe Hilton existait déjà depuis longtemps, et il y avait abouti une première fois, en 2001, pour une courte collaboration avec Dave Hilton senior. Mais le nom mis à part, les deux endroits lui semblent avoir peu de choses en commun, à commencer par leur devanture : celle du 3645 Notre-Dame est large, totalement vitrée, elle offre à voir tout ce qui se passe au premier des deux étages, c'est comme si quelqu'un l'avait choisie exprès pour passer ce message-là : oui, apercevoir aujourd'hui le nom « Hilton » sur une affiche commerciale peut faire peur, mais sachez qu'ici les affaires seront toujours transparentes, et cela même quand l'intérieur du club ne sera plus autant dépouillé et livré avec aussi peu d'obstacles aux regards. En attendant, peut-être que ça aussi c'est délibéré, le dénuement des lieux a également l'avantage d'offrir encore plus d'espace, encore plus de liberté à ceux qui, ces dernières années, en ont été beaucoup privés…

C'est par la porte secondaire, rue Bourget, qu'il entre à l'intérieur du club. Cela est sûr, le type sur qui il tombe au bureau d'accueil ne le reconnaît pas. Cela est sûr, le type sur qui il tombe croit qu'il vient proposer ses services pour effectuer les travaux de peinture qu'il reste à faire, pour démolir ou élever des murs, pour tirer des joints, bref pour n'importe quoi qui justifie d'avoir l'allure qui est alors la sienne : barbe broussailleuse de plusieurs semaines - dont il dit lui-même qu'elle lui sert de masque -; casquette bien calée sur la tête; vêtements et bottes de travail souillés de gravats par une autre dure journée sur les chantiers; et cigarette au bec! Pourtant non : il vient proposer ses services comme…entraîneur de boxe! Il est nerveux : si le type ne l'a pas reconnu, s'il est justement heureux de l'effet de son allure en ce sens qu'elle rappelle plus son présent d'ouvrier que son passé de boxeur, il sait quand même se trouver dans un lieu où sa présence n'est pas naturelle, où son nom ne devrait s'apparier à celui de la place que sur des vieux posters de promotion. « Au fait, je ne sais pas si M. Hilton a besoin d'un autre entraîneur, mais si c'est le cas, je lui dis quel nom? », lui demande le type. « Ouellet », répond-il comme il le fait souvent en toutes circonstances, en taisant son prénom. C'est le premier test : il se dit que si quelqu'un travaillant au Club de boxe Hilton est capable d'entendre le mot « Ouellet » sans tressauter, c'est peut-être qu'il y a de l'espoir, que ces deux noms-là, Hilton et Ouellet, jusqu'à aujourd'hui toujours ennemis et séparés sur les affiches ou dans les journaux, peuvent cohabiter.

Il voit le type se pencher à son bureau, inscrire « Ouellet » sur un bout de papier, il l'imagine en train de penser à un prénom, il a raison : « Connais-tu David? », demande-t-il cette fois au Jonquiérois. Dans un gymnase qui foisonne de Hilton, le moment est alors extraordinaire de naïveté entre un gars qui ignore parler à Stéphane Ouellet et qui lui demande s'il connaît « David » en ne pensant même pas ajouter « Hilton » parce qu'on est quand même dans son gymnase et que c'est évident, et un autre qui ne sait pas que le « David » fait référence à David Hilton et qui pense qu'il s'agit de…David Loiseau, le gars des combats extrêmes! Vous avez dit problème d'identité? « Oui, oui, David Loiseau, bien sûr que je le connais », dit Ouellet, tout à sa fierté de marquer des points par autre chose que sa renommée, toujours secrète à ce moment. « Non, pas ce David-là, attends, tu vas voir de qui je parle… » L'hôte de Ouellet lui fait alors signe de le suivre dans la pièce d'à côté, en même temps qu'il crie « David », comme pour avertir ce dernier qu'ils passent le rejoindre.

David Hilton, plus souvent nommé Dave ou Davey Hilton dans les médias, peut-être 175-180 livres à ce jour, est bien là, sur le grand ring neuf et impeccable du gymnase, en train de boxer une ombre qu'il doit avoir bien trop vue en prison, mais qui peut au moins, ici, se noyer dans tout ce soleil que la façade vitrée laisse entrer.

Quand les deux hommes se voient, la surprise est conjointe, dès lors que l'anonymat de Stéphane Ouellet à l'intérieur du Club de boxe Hilton vient instantanément de prendre fin. On ne se bat effectivement pas trois fois contre un homme sans en retenir à jamais le portrait, et ce ne sont ni une barbe fournie, ni une casquette cachant presque les yeux, ni une dégaine de maçon qui peuvent suffire à tromper : « Stéphane? Ici? Mais bon sang, qu'est-ce qui t'amène dans le coin? » La question ne devrait pas se poser, Dave Hilton sait bien que c'est encore ce que Stéphane Ouellet aura réussi de mieux dans sa vie : déstabiliser. Se déstabiliser lui-même, déstabiliser son public, ses entraîneurs, sa famille, ses proches. N'être jamais là où on l'attend, ne jamais se résoudre à agir comme on tiendrait pour acquis qu'il agisse. Mais en même temps, c'est aussi, peut-être, ce que Stéphane Ouellet avait jusqu'à lors réussi le plus difficilement dans sa vie, en tout cas le moins souvent : déstabiliser Dave Hilton. Le prendre par surprise, se montrer sous un jour différent de ce à quoi il s'attend, surtout être là où il ne s'attend vraiment pas qu'il soit, c'est-à-dire presque chez lui! « Ah, je suis juste passé voir, comme ça, si vous n'aviez pas besoin d'un entraîneur pour compléter votre personnel… » Plus tard, avec Dave Hilton père, sa manière de se vendre sera parfaitement caractéristique : « Je ne suis plus un bon boxeur, M. Hilton, mais je peux être un très bon entraîneur… »

Pour l'instant, Dave fils lui fait signe de ne pas rester entre les deux pièces, de venir le rejoindre sur le ring pour qu'ils se serrent la main. Alors voilà, ce qu'ils étaient nombreux dans le milieu de la boxe à redouter et/ou prédire, est sur le point de se concrétiser sans que Régis Lévesque y soit pour quelque chose : une nouvelle rencontre entre Stéphane Ouellet et Davey Hilton, pas longtemps après la sortie de prison de ce dernier! Pas de foule pour s'exciter de l'événement comme au temps de leur splendeur, pas de journalistes pour tenter de décrypter les attitudes, pas de photographes pour saisir la scène, pas de caméramans pour livrer le tout en direct : il était dit que si jamais ces deux hommes-là venaient une nouvelle fois à se rencontrer, ils le feraient sans témoins, et cela s'apprête à se confirmer. Mais il était aussi et surtout dit qu'ils le feraient dans la disgrâce, et pour cela les journalistes auront eu tout faux.

Stéphane Ouellet s'avance vers Davey Hilton pour aller l'étreindre, certainement conscient que son geste n'a rien de banal. D'abord à cause du passé, que sa tête est bien résolue à balayer pour offrir le maximum de possibilités de rachat à Hilton, mais que la mémoire de son corps, elle, n'a pas oublié : marcher vers Dave Hilton, chercher le rapprochement avec lui n'a en effet rien de naturel pour Stéphane Ouellet, ce serait même le contraire, au temps où il était « obligé » de se battre contre lui, il disait exécrer ces moments le contraignant à se rapprocher, ne serait-ce que physiquement, de son adversaire. Mais c'est encore le présent qui pourrait le plus poser un cas de conscience : dans une période où la norme, pour tout le monde, est de tout faire pour éviter de s'approcher moralement ou physiquement de Dave Hilton, où la norme n'est certainement pas de se mettre en situation de le coudoyer, Stéphane Ouellet se prépare à exactement le contraire! Et tout à fait volontairement.

Pourquoi? Ça, c'est notre question à nous. Ça n'a pas été la sienne : lui s'est plutôt demandé - de la même façon, d'ailleurs, que se l'était demandé plus tôt le journaliste de La Presse Réjean Tremblay - lui s'est plutôt demandé comment il était possible de sauver l'autre pan de vie de Dave Hilton, de faire en sorte que ce qu'il lui reste d'existence se passe sous le signe du Bien plutôt que du Mal. Et pour cela il n'allait pas perdre de temps, déjà tantôt, quand il verrait Dave être sur le point de retomber dans le travers qui le guette le plus, la rumination de ses haines et frustrations passées, il le prendrait par les épaules, le tournerait face à l'avenir, et lui dirait : « Non, cesse ça tout de suite Dave, à partir de maintenant, c'est par là qu'il faut regarder. En avant, juste en avant… » Une directive à laquelle, le temps d'un instant, ils ne tarderaient pas tous les deux à contrevenir…en revenant sur leur trilogie des rings :

- Sais-tu que tu m'as vraiment fait mal au cours de notre 3ème combat?
- Et toi, penses-tu que tu m'as pas fait souffrir pendant le 1er? Crisse, tu m'as fait dépenser 4000$ pour mon opération au nez…

En avant, juste en avant… Pour Dave Hilton, l'avenir, c'est probablement toujours ce métier de boxeur avec lequel, sur le ring, il tentait encore de renouer il y a un instant : « Dis Stéphane, si je veux retrouver mon jab, tu me conseilles quoi pour mon jeu de jambes..? » Pour Stéphane Ouellet, l'avenir, c'est entre autres ce métier d'entraîneur qu'il se sait capable de pratiquer : « Ton jab, Dave, ne sera jamais plus efficace que lors de notre 1er combat. Alors, fais ce qui m'a si souvent surpris ce soir-là : un step vers l'avant avec ton pied gauche au moment de lancer ton coup… » Bref, autant pour l'un comme pour l'autre, l'avenir a de bonnes chances de passer par quelques combats puisque deux jours après sa rencontre avec Dave Hilton, Stéphane Ouellet recevait la confirmation de son embauche au Club de boxe Hilton, à raison de trois soirs par semaine.

En étant prêt, si bien sûr le besoin le justifiait, à seconder Dave Hilton père dans le coin de son fils au cours de ce dernier comeback. En étant prêt, puisque le besoin va sans doute le justifier, à défendre face aux médias et au public sa décision d'incorporer le gym des Hilton et de soutenir Dave dans ce retour en société et en boxe.

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« Toi, Stéphane, tu vois ça de quelle manière la présence de Dave dans notre gymnase? » Au sous-sol encore en chantier où, au travers des équipements de boxe et des échafaudages il voit ses deux vies se fondre, il est assis dans le bureau de Craig Baldeschi. Le gars qui vient de le confirmer comme entraîneur est un ami d'enfance de Matthew Hilton, il est l'homme-orchestre du déménagement du club et surtout de l'ambitieux et onéreux projet qui sous-tend toutes ces actions, celui de recréer une sorte d'InterBox, mais avec la formule de départ, celle du centre d'entraînement, des boxeurs salariés, de la licence de promoteur…et des champions du monde! « Le cas de Dave? Écoute Craig, moi je ne juge personne. J'ai fait table rase du passé dans ma vie et j'accorde aux autres le même droit. Dave a payé sa peine, non? Alors regardons vers l'avant plutôt que vers l'arrière. Et de toute façon, je ne veux pas choquer personne, mais il faut quand même se rendre à l'évidence : sur cette terre, nous sommes tous des meurtriers. Je ne compare pas, je ne dis pas que certains crimes ne sont pas graves, je dis que nous sommes tous des meurtriers pour laisser chaque jour mourir autant d'enfants, autant d'êtres humains sur cette terre-là. Alors Dave… »

« Beaucoup d'expérience », dira plus tard le patron à propos de son nouvel employé, en se félicitant de son embauche. Stéphane Ouellet n'en ayant à peu près aucune comme entraîneur de boxe, le patron devait probablement vouloir parler de l'expérience de la vie.

La vie? Vraiment curieuse, des fois, la vie. Ainsi, après s'être beaucoup scandalisés de la seule possibilité d'une nouvelle rencontre entre Stéphane Ouellet et Davey Hilton, peut-être bien qu'on devra un jour admettre que, des quatre, c'est la toute dernière qui aura accouché des meilleurs résultats et des plus belles promesses, nous voulons dire pas pour le bénéfice des promoteurs, juste pour celui des hommes.

Sombres ou non.