Si on veut faire bondir de leurs sièges Yvon Michel et Russ Anber, on n'a qu'à lancer dans la conversation que Jean Pascal s'en va se battre contre un p'tit vieux.

Pascal a derrière lui toute la puissance et l'énergie débordante de ses 28 ans. On peut facilement présumer qu'il n'a jamais atteint un tel degré de conditionnement physique dans sa vie. Quant à Bernard Hopkins, il fêtera ses 46 ans dans un mois, jour pour jour. La différence est quand même marquante.

Néanmoins, Hopkins n'est pas ce qu'on peut appeler un vieux ordinaire. En fait, il n'a de vieux que son certificat de naissance. C'est un athlète rusé qui utilisera son lourd bagage d'expérience pour obliger son jeune adversaire à puiser au fond de lui-même pour l'emporter. Si jamais Pascal gagne, évidemment. La boxe étant la boxe, rien n'est jamais sûr.

Russ Anber exprime d'une façon imagée tout le respect que son clan accorde à Hopkins. «Quand on a proposé à Pascal d'affronter Chad Dawson, que toute l'Amérique plaçait déjà gagnant contre lui, nous n'avons jamais hésité à accepter la proposition. Il n'y avait pas le moindre doute dans notre esprit que Jean allait le battre. Par contre, quand on nous a parlé de Hopkins, nous avons tous pris une grande respiration. Fallait y réfléchir», admet-il.

Ce que Anber veut dire, c'est que les choses auraient été nettement plus faciles si Hopkins avait été un boxeur usé, s'il avait subi deux ou trois K.-O. à ses cinq derniers combats et s'il avait perdu, disons, cinq de ses 10 dernières batailles. En somme, s'il avait été un boxeur fini.

Ce qui est loin d'être le cas même si, après avoir analysé attentivement ses derniers combats et avoir bien pesé le danger qu'il représente, on reconnaît que son coffre à outils est mieux garni que celui de Pascal. Il y a dans ce coffre des éléments précieux : de l'expérience, de la sagesse et des trucs du métier à n'en plus finir.

«Sur la planète, aucun autre être humain, sauf peut-être James Toney, ne possède un bagage de connaissances comme le sien, précise Anber. Par contre, il y a des éléments qui militent en faveur de Pascal : la jeunesse, une habileté athlétique remarquable, une fibre musculaire supérieure, une facilité d'apprendre et de s'adapter durant un combat. Il peut changer de vitesse, de stratégie ou de plan de match, selon les circonstances. Plus important encore, c'est un gars qui ressort quand le défi représente aussi une bonne dose de pression.»

Pas de doute, Pascal mérite d'être pris très au sérieux. Qui, sur la planète boxe, peut se vanter d'avoir affronté à l'intérieur d'une même année des boxeurs aussi dangereux que Adrian Diaconu (27-2), Dawson (29-1) et Hopkins (51-5-1)?


L'un des hommes de coin de Jean Pascal, Russ Anber.

Anber, qui en a vu passer des boxeurs dans sa vie, risque une prédiction. «Selon moi, c'est quasi impossible que Hopkins gagne sept rounds sur 12 pour l'emporter par décision», dit-il.

Et si on se plaçait dans la peau de Hopkins pour un moment? Si le premier boxeur à avoir unifié le titre des poids moyens dans les quatre principales organisations (WBA, WBC, IBF, WBO) a accepté ce combat, c'est sûrement parce qu'il est convaincu de pouvoir ajouter une victoire de plus à son impressionnant palmarès. Il serait très étonnant que l'idée d'affronter Pascal lui fasse peur.

En considérant tout ce qu'il a accompli durant sa carrière et compte tenu de la qualité des adversaires qu'il a affrontés, ce serait l'insulter que de laisser supposer qu'il ait peur de Pascal. Il sera sans doute un brin nerveux. Ils le sont tous. Mais apeuré, Hopkins? Personne n'oserait lui poser la question à six pouces de son nez.

Pascal : tout à perdre, tout à gagner

Anber, à qui on ne pourra jamais reprocher de manquer de couleur, affirme que Hopkins n'avait jamais entendu parler de Pascal jusqu'à ce qu'il le voit infliger une première défaite à Dawson. Il ne connaissant même pas son nom. Il ignorait tout de son existence.

«J'imagine qu'il a tout de suite appelé son entraîneur pour lui demander s'il avait vu ce qui venait de se passer. Il a dû lui dire : On devrait affronter ce gars-là. Il croyait sans doute pouvoir déstabiliser Jean parce qu'il est jeune», mentionne-t-il.

Celui qui a tout à perdre samedi soir est Pascal. Si Hopkins perd, on invoquera sans la doute la différence d'âge entre les deux pugilistes. On dira qu'il y a une limite pour Hopkins à vouloir se mesurer à de jeunes loups aux dents longues. Sans compter qu'une défaite ne changera rien à sa vie. Peu importe le résultat, Hopkins s'en va au Panthéon de la boxe.

De son côté, Pascal a tout à perdre et tout à gagner. Il a l'habitude de miser gros. Quand il a changé de catégorie pour pouvoir affronter Diaconu, il a couru un risque. Il avait aussi tout à perdre contre Dawson puisqu'une forte majorité d'experts ne lui accordaient pas la moindre chance de l'emporter.

S'il risque gros contre Hopkins, la victoire, en revanche, pourrait aussi lui valoir le trône qu'il recherche, celui d'être reconnu comme un boxeur de classe mondiale par ceux qui le regardent encore de haut. Sa mission : convaincre les derniers sceptiques à son sujet.

Contre Dawson, Pascal est devenu le premier Québecois à toucher une bourse supérieure à un million de dollars. Samedi, il sera une seconde fois millionnaire. Malgré tout, rien ne semble acquis au niveau de la notoriété dans son propre pays.

Quand Hopkins et lui se sont arrêtés à Toronto dans le cadre de leur tournée de promotion, la salle était pleine à craquer. Normalement, dans cette ville qui démontre peu d'intérêt pour la boxe, on pourrait tenir un point de presse dans une cabine téléphonique.

Ce jour-là, c'est Hopkins qu'on voulait voir. C'est à lui qu'on voulait parler. Toutes les questions ont été dirigées vers lui. Pascal, qui ne déteste pas les réflecteurs, a rongé son frein en silence. Samedi, c'est peut-être lui qui fermera les lumières sur son réputé rival.