Depuis sa virulente défaite contre Carl Froch, Lucian Bute cherche à solutionner l’énigme qui l’empêche de redevenir le boxeur qu’il a déjà été. S’il ne parvient pas à élucider ce qui est devenu une redoutable énigme, le protégé d’InterBox n’écarte plus l’option de la retraite ou celle de modifier son entourage.

Lundi matin, Bute était de passage dans les studios de RDS pour revenir sur sa déconfiture de samedi soir contre Jean Pascal. Toujours aussi généreux, le gaucher a pris le temps de disséquer son revers, mais on sent qu’il s’est créé une séparation entre Lucian, la personne, et Lucian, le boxeur.

Près de deux jours après sa défaite par décision unanime, Bute est incapable d’identifier le petit élément qui cloche dans sa tête justement à partir du moment que la cloche se fait entendre.

« C’était probablement le meilleur camp d’entraînement de ma carrière professionnelle. Mais à partir de la cloche, quelque chose s’est installé dans ma tête et ça devient une sorte de paralysie. On va probablement consulter des spécialistes du cerveau et de la psychologie pour essayer d’obtenir des réponses claires », a raconté Bute qui meurt d’envie de trouver l’explication.

Si les ingrédients étaient réunis pour que l’athlète d’origine roumaine retrouve son éclat dans l’arène dans un Centre Bell bondé et que la recette a foiré, on peut croire qu’une aide psychologique serait précieuse pour renverser la vapeur.

« C’est clair que quelque chose s’est passé dans ma tête. Il y a un blocage qui se fait dans ma tête et ça m’empêche de bien m’exprimer avec mes poings », a convenu Bute qui a consulté un psychologue sportif, mais d’une façon tardive et limitée si on compare le tout à d’autres athlètes professionnels ou amateurs de haut niveau.

« On a travaillé avec un psychologue sportif depuis un peu moins de deux mois en vue de ce combat. On a fait des progrès et on pensait que tout était réglé depuis la défaite contre Froch, mais c’est encore là parce que c’est évident que je ne suis pas le même boxeur depuis ce jour. C’est comme si une petite chose s’était cachée dans mon cerveau et on aura sûrement plus besoin d’aide à ce niveau », a confié Bute.

De son côté, Larouche n’hésite pas à employer le mot traumatisme pour décrire ce qui affecte son protégé.

« Je n'ai pas livré la marchandise »

« On voit une récurrence, quelque chose qui se répète depuis le premier round contre Froch. Un boxeur qui pense beaucoup, on dit que c’est un boxeur qui est mort même si ce n’est pas "le fun" comme expression. La boxe s’apprend avec des automatismes et quand les automatismes ne se produisent plus, il y a une raison derrière cela », a interprété Larouche.

Durant les jours qui ont précédé le récent gala, Bute a affiché une confiance prometteuse et il assure que ce n’était pas de la frime. C’est donc au niveau des sentiments que la défaite fait le plus mal.

« Je ressens un mal d’orgueil, c’est là où j’ai été le plus touché. Je suis déçu d’avoir offert une contre-performance, de ne pas avoir livré la marchandise comme je peux le faire et je suis aussi déçu pour les amateurs qui étaient venus assister à un bon spectacle et qui voulaient retrouver le bon vieux Lucian Bute d’avant quand il était champion du monde », a-t-il avoué.

La pilule n’est pas plus facile à avaler pour son entraîneur surtout que le plan de match élaboré n’a jamais été mis en application.

« Je ne digère pas cette défaite facilement. Ça prendra quelques jours, quelques semaines, quelques mois ou même quelques années pour y arriver », a tranché Larouche.

Stéphan Larouche et Lucian ButeUn nouvel entraîneur ou l’ajout d’un conseiller ou même la retraite?

Même les partisans qui se rangent dans le camp de Pascal, ou ceux qui ont transféré dans celui-ci depuis le duel, ne peuvent guère détester Bute car il n’est habité d’aucune méchanceté. D’ailleurs, voilà un trait de caractère duquel il ne semble plus pouvoir se débarrasser quand il monte dans le ring.

« Avant, c’était "le fun" parce que Lucian était gentil hors du ring et méchant dans celui-ci. Maintenant, il est rendu gentil dans les deux situations. S’il y a un combat qu’il aurait dû être envahi par la rage, c’est celui de samedi soir et il l’avait jusqu’au son de la cloche. Avant le combat, je la sentais et j’ai même dit à mon équipe que c’était dommage qu’on ne soit pas monté entre les câbles comme ça contre Froch. Malheureusement, tout est disparu par la suite », a dévoilé son entraîneur qui croit encore à un retour en force de son élève.

Larouche a rapidement compris que la soirée de samedi serait longue et il utilise un exemple concret pour expliquer ce verdict.

« On avait préparé un petit truc bien agréable pour entrer dans cette bagarre dès le premier round. Ça servait à montrer aux juges, aux fans et surtout à Pascal que nous étions présents. On voulait lui dire : "Tu penses que j’ai peur de toi, voilà mon ami". Il savait ce qu’il avait à faire, mais ça n’a pas marché », a révélé l’entraîneur d’expérience.

Ce n’est donc pas pour rien que Larouche a voulu secouer Bute avec des propos incisifs quand il revenait dans son coin entre les assauts.

« Le regard de Lucian est très révélateur et après le premier round, il me regardait en voulant dire que ça n’a pas marché. Mais nous avions 12 rounds à compléter et j’ai un travail à accomplir pour l’aider. Malheureusement, samedi soir, je n’ai pas pu coacher », a dit Larouche avec déception.

Tout ce contexte soulève la question sur la collaboration entre les deux partenaires de longue date. Le débat est encore plus animé puisque Pascal a réussi à peaufiner des aspects de sa boxe en ajoutant des ressources comme Roy Jones. Chacun de leur côté, Bute et Larouche assurent qu’ils étudieront cette avenue.

« Si son avenir doit se passer avec un nouvel entraîneur ou une nouvelle équipe, je vais être le premier à me tasser. Une séparation entre un entraîneur et un athlète, c’est souvent comme un divorce quand une personne n’est pas contente et souhaite du malheur à l’autre. Ce ne serait pas mon cas. Lucian a fait beaucoup pour la boxe en faisant grandir ce sport et en lui donnant de la classe. Il mérite du succès pour lui. Pas pour moi ou InterBox, mais bien pour lui. Si je dois être loin du portrait, je n’ai pas de problème avec cela et ce sujet sera d’ailleurs dans l’analyse que nous ferons », a assuré Larouche.

Bute ne ferme pas la porte à cette possibilité, mais il semble pencher davantage vers l’ajout d’un ou plusieurs conseillers.

« Un boxeur qui pense beaucoup, c'est un boxeur mort »

« On me pose souvent cette question. Un peu après la défaite contre Froch, Stéphan m’avait dit qu’il allait m’appuyer si je croyais que je devais changer d’entraîneur. On veut trouver la meilleure approche, on veut faire tout ce que l’on peut pour améliorer la situation. »

Quelques minutes après avoir été dominé par Pascal, Bute s’était empressé d’écarter le sujet de la retraite du revers de la main. Lundi, ce scénario fait davantage partie de la réflexion qui se poursuivra durant ses vacances qui commenceront, sous le chaud soleil, dès mardi.

« On parle de la santé de Lucian avant tout. Si tu restes dans la boxe trop longtemps, elle va te voler ta vie. Lucian a eu une belle carrière. Il a été champion du monde et il a défendu son titre à neuf reprises. Si tu n’es plus en mesure de laisser parler ton talent, tu dois te retirer », a commenté Larouche qui ne voit pas Bute aider des jeunes à se bâtir une fiche sur son nom surtout que son avenir financier est assuré.

« C’est clair que si c’est pour continuer ainsi, en recevant des coups de cette façon, je vais arrêter. Je serais content et je pourrais partir. On prendra le temps qu’il faut, peut-être que ça prendra un ou deux combats plus faciles pour faire partir tous les doutes », a conclu Bute qui aimerait reprendre le contrôle de Lucian, le boxeur.

Chose certaine, la possibilité d’une revanche contre Pascal semble loin d’être imminente. Pour le reste, il faudra s’armer de patience tout comme Bute devra le faire.

* Avec la collaboration de Jean-Luc Legendre