On n'aime jamais voir un athlète honnête, totalement dédié à son sport et à son public, se faire tabasser de la sorte. La dernière fois que j'ai ressenti un tel inconfort en voyant un boxeur se faire aussi cruellement malmener, c'était quand Stéphane Ouellet a croulé au tapis, le visage ravagé par la douleur, devant Joachim Alcine. C'était douloureux à regarder parce qu'on l'aimait bien, Stéphane. Et on l'aime bien, Lucian Bute.

Il n'y a pas athlète plus fier que lui. On imagine assez facilement l'ampleur de l'humiliation qu'il a subie face à Carl Froch. Un champion du monde est rarement battu d'une façon aussi nette. Un champion du monde peut se retrouver au tapis, se relever, poursuivre le combat et gagner. Il peut aussi perdre par K.-O. Ces choses-là arrivent. Mais un champion du monde qui se voit servir une telle correction, c'est inhabituel. On a l'impression que cela ne pourrait se produire que dans un mauvais scénario de film.

J'avais un pressentiment à la veille de ce combat. Bute est un athlète super motivé et super entraîné, mais la boxe est un sport dangereux. Un seul coup de poing peut briser de très beaux rêves. Il en était à la 10e défense de son titre. Il ne s'était jamais mesuré à un adversaire du calibre de Froch. Un boxeur ne peut pas espérer remporter tous les combats de sa carrière. Un jour ou l'autre, il finit par rencontrer son homme. Comme je l'ai exprimé dans une chronique précédente, je craignais que cet homme-là soit Froch, un boxeur hargneux, extrêmement confiant et jouissant d'une feuille de route qui valait sûrement qu'on le respecte.

Bute et son entourage se disent peut-être aujourd'hui qu'il n'y a pas de justice. Comment un athlète peut-il s'alimenter sainement tous les jours de l'année, ne pas commettre d'excès, s'entraîner comme un malade et vivre une telle humiliation? Mais personne n'a jamais prétendu que la boxe est un sport juste. Tu peux être au sommet du monde et te faire redescendre sur terre d'une seule claque. Et des claques, Bute en a mangé à répétition durant ce combat. Assez pour ne plus savoir dans quel pays il était quand on l'a ramené péniblement dans son coin. Assez pour être brisé à jamais, peut-être.

Il en faudra du temps pour rebâtir sa confiance, si jamais il y arrive. Il poursuivra sa carrière, mais dans quel état d'esprit sera-t-il le jour où il devra se mesurer à un autre adversaire de fort calibre dont les preuves auront été faites depuis longtemps?

On a beaucoup insisté sur le courage qu'il a démontré en acceptant d'aller se battre à Nottingham, là où Froch n'a jamais perdu. Nottingham n'a joué aucun rôle dans cette défaite. Bute aurait été corrigé de la même façon dans un Centre Bell rempli à pleine capacité. L'humiliation aurait été plus cruelle devant son public. Ça lui aurait fait plus mal encore. Ça risque malheureusement de se produire s'il court le risque d'exiger une revanche.

Comment Stéphan Larouche, dont la responsabilité est de le préparer mentalement et de lui répéter qu'il peut gagner soir après soir, pourra-t-il le convaincre de cela la prochaine fois?

Bute n'a pas été l'ombre de lui-même. Il a cherché des ouvertures qu'il n'a jamais trouvées. Sa gauche terrifiante n'a même pas fait réfléchir Froch. Quand elle atteignait la cible, Froch répliquait avec une droite si explosive que Bute avait à peine le temps de la voir venir.

L'analyste de boxe Russ Anber y est allé d'une intéressante observation. La meilleure défense de Bute a toujours été l'attaque. Il n'a jamais été frappé sévèrement durant sa carrière parce qu'il a toujours été celui qui portait les coups. Dans ce combat, il a été sans défense parce que Froch n'a jamais permis qu'il soit l'attaquant.

Dans son vestiaire, une heure avant le combat, il avait pourtant semblé si détendu, si confiant. Assis seul sur une banquette, son visage n'avait pas traduit la moindre inquiétude. Peut-être avait-il trop entendu qu'il ne pouvait pas perdre? Les parieurs, même ceux d'Angleterre, misaient leur argent sur lui. Les plus grands connaisseurs étaient d'avis qu'il avait tout ce qu'il fallait pour écarter Froch de sa route.

Larouche et son équipe avaient élaboré une stratégie qui allait lui permettre de se couvrir de gloire. Ils avaient visionné les films des combats de Froch. Ils avaient étudié son style dans les moindres détails. C'est ce qu'ils avaient fait pour chacun des 30 premiers combats de Bute. Les choses avaient toujours bien fonctionné. Dans sa tête, il n'y avait sans doute aucune raison de croire que ça se passerait différemment cette fois.

Ça va coûter très cher

Un beau rêve vient de prendre fin. Lucian Bute avait de très grandes aspirations pour lui-même. Il a toujours eu tête le titre unifié des 168 livres. Il anticipait de devenir le meilleur parmi les meilleurs. Une victoire contre Froch allait lui ouvrir toutes grandes les portes du marché américain qui allait faire de lui un homme riche. Plus riche qu'il n'avait jamais osé le souhaiter en quittant la Roumanie. Cependant, j'ai été étonné de l'entendre dire cette semaine qu'il voulait sa place au Panthéon de la boxe. Me semble qu'il allait trop vite, qu'il visait trop haut.

Cette défaite cuisante va lui coûter des millions de dollars. Un champion peut être détrôné; ça se produit régulièrement. Toutefois, quand il se fait culbuter cul par-dessus tête et quand il donne l'impression de ne pas faire le poids contre un adversaire qu'il doit vaincre pour poursuivre son ascension, il y a de fortes chances que les grands réseaux de télé se détournent de lui à l'heure des combats «payants».

On a dit de lui qu'il était une machine, un être d'exception qui met de l'application dans tout ce qu'il entreprend. Tout cela est vrai. Malgré cette amère défaite, on ne peut pas dire qu'il a lésiné sur l'effort à l'entraînement. On ne peut pas dire qu'il n'a pas tout tenté. Il s'est juste retrouvé face à un rival meilleur que lui. Nettement supérieur serait le terme juste.

On entend déjà des amateurs de boxe le dénigrer. Ça aussi, c'est propre à la boxe. Un champion a beaucoup moins de monde autour de lui quand il perd sa ceinture. En ce qui me concerne, Bute reste un grand athlète, un gars qui a de la classe et qui a poussé le respect pour sa terre d'adoption jusqu'à apprendre sa langue. Il ne peut pas perdre notre respect simplement parce qu'il a atteint la limite de ce qu'il pouvait donner dans son sport.

Quel sera la suite des choses pour lui? Que nous réserve-t-il dans une possible tentative de retour? Peut-être que l'option la plus logique serait un affrontement entre Jean Pascal et lui?

On a souvent prétendu que ces deux-là avaient tout avantage à tester d'abord le maximum de leurs capacités sur la scène internationale afin d'éviter de risquer un titre mondial dans un combat à saveur locale. Les deux ont été champions du monde. Les deux ont été détrônés. L'heure est peut-être venue de planifier un affrontement Pascal-Bute.

Qui sait si un combat comme celui-là ne permettra pas à l'un des deux boxeurs de se replacer sur la route d'un titre mondial.