Une culture toxique et de peur chez Boxe Canada; une omerta et une culture du silence depuis plus de 10 ans pour décourager ceux qui voudraient dénoncer publiquement la structure en place; abus physiques et psychologiques ressentis par certains boxeurs au sein de l'équipe nationale. Un groupe de 121 personnes, qui comprend des anciens athlètes, des entraîneurs, des officiels et des membres des organisations provinciales, publie une lettre pour dénoncer les pratiques des dirigeants de Boxe Canada qui restent en poste depuis des années, malgré l'absence de succès sur la scène internationale et l'absence de médaille olympique depuis 25 ans.

Ils demandent le départ immédiat du directeur haute performance, Daniel Trépanier, sans le nommer directement dans la lettre envoyée mercredi matin à des médias et à des ministres. Ils souhaitent également que Sport Canada mène une enquête approfondie sur Boxe Canada et ses pratiques. Selon les 121 signataires, ces mesures s'avèrent nécessaires pour « éliminer la culture toxique de Boxe Canada, pour permettre à la fédération de devenir un organisme sécuritaire, juste, transparent, qui a pour but de créer des champions olympiques ».

La lettre mentionne que même si les problèmes ont été signalés à de nombreuses occasions, ils ont été ignorés. Selon la lettre, le bureau de direction de Boxe Canada a reçu l'an dernier des témoignages confidentiels, qui n'ont toutefois mené à aucune enquête. « Malgré des changements superficiels récents dans la structure de l'organisme », peut-on lire, « rien ne laisse croire que les préoccupations des athlètes et de leurs entraîneurs ont été étudiés. »

Pratiques dangereuses et irrespectueuses

Selon les signataires, Boxe Canada manque de transparence et d'impartialité, ce qui amène une remise en question selon eux « des sommes versées arbitrairement pour les compétitions et les entraînements » et blâment directement le directeur haute performance. Ils estiment que les processus de sélection pour les équipes nationales étaient basés sur le favoritisme et non pas sur les résultats des combats. Pour cette raison, certains boxeurs ont quitté la boxe amateur pour se tourner vers la boxe professionnelle.

Plus grave encore, ils mentionnent que le directeur haute performance les a forcés à s'entraîner ou disputer des combats dans des conditions non sécuritaires, malgré des symptômes de commotion cérébrale. Certains athlètes auraient aussi livré des combats d'entraînement contre d'autres athlètes de catégories nettement différentes.

La Fédération aurait de plus ignoré des plaintes répétées au sujet de propos homophobes, misogynes et sexistes, émis par les dirigeants du programme de Boxe Canada.

Une Olympienne témoigne

Les signataires sont anonymes « par peur de représailles ». Mais une des athlètes qui ont représenté le Canada lors du dernier tournoi de boxe olympique a accepté de se confier à RDS dans l'espoir d'amener un vent de changement.

Myriam Da Silva était l'une des 5 boxeurs (4 femmes et 1 homme) qui ont représenté le Canada aux Jeux de Tokyo l'été dernier. Elle n'a livré qu'un seul combat dans la catégorie des moins de 69 kilos, où elle a été dominée par sa rivale Maria Moronta, de la République dominicaine. Elle explique qu'elle était physiquement et psychologiquement démolie par son camp pré-olympique à Montréal.

« Daniel s'est servi de la pandémie pour dire que l'on n'avait pas de partenaires d'entraînement. À multiples reprises, j'ai livré des "tests matchs" et des rounds d'entraînement avec Tammara Thibeault (médaillée de bronze aux championnats du monde dans la catégorie des moins de 75 kilos). On a 15 livres de différence! Elle a un pied de plus que moi! Mais sur papier, Daniel avait démontré que Tammara était la meilleure partenaire d'entraînement pour moi. Pourtant Thibault et Moronta n'ont pas le même profil! Je ne voulais pas faire de tests-matchs avec elle, je ne voulais pas faire des rounds d'entraînement et je l'ai dit à de nombreuses reprises. Et au dernier test-match, 6 semaines avant les Olympiques, j'ai brisé. Et tout ce qu'ils ont trouvé à faire la semaine suivante, c'est de m'isoler du groupe puisque clairement je n'allais pas bien. Il m'a retiré. On ne m'a pas aidé. »

«J'ai été brisée, ils ne m'ont pas aidée!»

La boxeuse québécoise, qui a maintenant quitté l'équipe nationale, explique qu'elle ne se souvient pratiquement pas de ses Jeux olympiques. « Je ne sais pas comment j'ai fait, Je ne m'en souviens pas, j'étais pas là. » Après les Jeux, elle a regardé son combat et l'entrevue qui s'en est suivie, et elle parvient à se souvenir de ses sentiments du moment. « Dans l'entrevue, on m'a demandé ce qui s'est passé. J'ai roulé des yeux et pour moi ça voulait dire : "AIDEZ-MOI, À L'AIDE". Je voulais juste m'en aller! »

Après son combat, l'athlète qui avait alors 37 ans, s'est isolée dans sa chambre pendant 24 heures, sans boire ni manger. Pendant ce temps, un des entraîneurs de l'équipe canadienne, John Mbumba, s'est moqué de la prestation de sa boxeuse sur les médias sociaux. Mbumba a par la suite été expulsé du village olympique avant la fin du tournoi de boxe. Mbumba avait succédé à  Joao Carlos Soares Gomes de Barros avant les Jeux de Tokyo. Boxe Canada est actuellement en processus de recherche d'un nouvel entraîneur national.

Lors de ces Jeux, seules Thibeault et Caroline Veyre ont gagné un combat pour le Canada, mais leur parcours s'est arrêté au pied du podium dans leurs catégories respectives. Thibeault est encore au sein de l'équipe nationale et se prépare à participer aux Championnats du monde. Comme Da Silva, Veyre a quitté l'équipe nationale, même si elle avait d'abord manifesté son souhait de se qualifier pour les Jeux de 2024. Mandy Bujold a pour sa part annoncé sa retraite il y a 2 semaines.