Lorsque Russ Anber a demandé à l’arbitre Marlon B. Wright d’arrêter le combat entre David Lemieux et Marco Antonio Rubio, l’entraîneur a-t-il sauvé la carrière du boxeur québécois?

Quatre ans et demi après les faits, il n’y a toujours pas de réponse claire à cette question. Mais force est d’admettre que le geste posé par Anber a bouleversé à jamais le cours de la carrière de Lemieux, qui s’apprête à affronter Gennady Golovkin dans un mégacombat d’unification des poids moyens samedi soir prochain au mythique Madison Square Garden de New York.

« Sauver sa carrière, c’est peut-être exagéré, mais je n’ai pas laissé Rubio finir ce qu’il avait commencé et ça, ç’a donné une opportunité à Lemieux de revenir, de poursuivre sa carrière et d’être là où il est aujourd’hui , a analysé Anber dans une entrevue exclusive accordée au RDS.ca.

« Souvent, si tu laisses l’adversaire finir le job comme il veut le faire, il peut y avoir des séquelles dont tu ne te remets jamais et qui peuvent mettre fin à ta carrière. Je connaissais Lemieux, je l’entraînais depuis l’âge de neuf ans, donc je savais exactement dans quelle condition il était.

« Je savais qu’il n’était pas sérieux à l’entraînement en embarquant dans le ring avec Rubio. Il pensait qu’il avait assez de jus pour le knockouter en cinq rounds, et dans le fond, il l’a bombardé pendant cinq rounds, mais n’a pas été capable de le finir. Quand il a commencé à manquer de gaz et que j’ai vu qu’il ne répliquait pas, c’est là que j’ai arrêté le combat. »

Avec le recul, Anber soutient toujours que c’était la seule décision à prendre. Quelque chose s’est cependant brisé à jamais ce soir-là et le coloré entraîneur n’a ensuite eu d’autre choix que de rompre définitivement les liens avec celui qu’il considérait pourtant comme son propre fils.

« Lorsque David est passé chez les professionnels à 18 ans, c’était un gars qui était très sérieux à l’entraînement, se rappelle Anber. Il avait une clé du gymnase et c’est lui qui l’ouvrait. C’était un maniaque de l’entraînement, il s’entraînait comme un malade. Mais au fur et à mesure que sa carrière progressait, il a commencé à knockouter des gars et à trouver ça beaucoup trop facile.

« J’avais dit (au promoteur) Yvon (Michel) à cette époque-là que je ne voulais pas que David soit impliqué dans un combat de championnat avant d’avoir 35 ou 40 combats professionnels. Il fallait que David ait une chance de se développer, parce qu’il n’était pas encore assez mature. »

Sauf que les circonstances ont fait en sorte que Lemieux s’est retrouvé devant Rubio dans la foulée de ses victoires expéditives sur Elvin Ayala, Hector Camacho fils et Purnell Gates. Avec la possibilité de signer un lucratif contrat avec HBO, il semble que la tentation était trop forte.

« Si nous avions décidé de passer professionnel de bonne heure, c’était pour acquérir de l’expérience et de la maturité afin d’être prêt lorsque ce moment-là se présenterait, justifie Anber. Dans les faits, Lemieux est devenu prêt au moment où j’avais prédit qu’il serait prêt.

« Il est prêt mentalement, mais physiquement également. Il est devenu plus vieux, plus mature et plus sage. Il a vécu différentes expériences et c’est toujours ce que j’avais voulu pour lui. Il a appris de ses erreurs et fait maintenant ce qu’il refusait pourtant de faire à l’époque de Rubio. »

C’est avec une certaine nostalgie qu’Anber a ainsi vu Lemieux reprendre sa vie en main avant de s’emparer de la ceinture des poids moyens de l’IBF à la suite de sa spectaculaire victoire sur Hassan N’Dam en mai dernier au Centre Bell. Le rêve qu’il avait imaginé était devenu réalité.

« Il va swigner pour les clôtures »

Même si les chemins d’Anber et Lemieux se sont séparés depuis longtemps, l’entraîneur croit toujours fermement au talent de son ancien élève. Contrairement à la plupart des analystes et des preneurs aux livres, il ne pense pas que Lemieux représente une cible facile pour Golovkin.

« La comparaison que je fais, c’est le combat entre Chad Dawson et Adonis Stevenson, explique Anber. En raison de son arrogance, il ne pouvait pas croire qu’Adonis était un vrai cogneur. Il pensait qu’il avait cette fiche parce qu’il l’avait monté contre de petits boxeurs locaux.

« Dawson se disait : “Je suis champion du monde et je vais te montrer c’est quoi la boxe.” Il a ensuite décidé de foncer sur Adonis, mais qui dans le monde fonce sur Adonis!?!? Personne! Soixante-seize secondes plus tard, il n’avait déjà plus son titre de champion du monde.

« Si Golovkin pense que Lemieux est un petit cul de Montréal qui a perdu contre Rubio et (Joachim) Alcine et qu’il fonce sur lui comme il a foncé sur (Matthew) Macklin et plusieurs autres, il va commettre une grande erreur. Ça pourrait devenir très dangereux pour lui. »

Cela dit, Anber sait pertinemment qu’il n’y a pas 56 solutions qui s’offrent à Lemieux pour devenir le nouveau monarque chez les moyens. Le cogneur québécois n’est pas un styliste et ne le deviendra pas du jour au lendemain, mais possède néanmoins un atout de taille dans son jeu.

« Le plan de match est assez facile : tu ne peux pas demander à Lemieux de bouger et danser pendant quatre ou cinq rounds, opine Anber. Ça va dépendre de quel genre de comédien Lemieux peut être. Dès qu’il va se faire toucher, son instinct de vouloir se battre va sortir.

« Si Lemieux peut donner l’impression qu’il a peur, il pourrait tendre un piège à Golovkin afin de le laisser entrer à l’intérieur et de lui faire baisser les mains. Si Golovkin a une faiblesse, c’est sa défense. Personne ne lui a encore fait mal. C’est l’avantage que Lemieux pourrait avoir... »

Peu importe l’issue du combat, Anber sait dans son for intérieur que Lemieux ne s’avouera pas vaincu avant d’avoir vendu chèrement sa peau. « Si le combat ne devait durer qu’un round, il va swigner pour les clôtures. Je te le promets », conclut-il avec la verve qui l’a rendu célèbre.