Lucian Bute croit en ses chances de redevenir champion du monde, samedi. Des gens du milieu comme Yvon Michel, Eric Lucas, Jean Bédard et très certainement son entraîneur Howard Grant pensent comme lui. J'aurais sondé l'opinion de quelques autres connaisseurs en boxe et j'aurais probablement été étonné de la réponse positive que j'aurais obtenue.

C'est comme si, en perdant par décision unanime contre James DeGale en novembre dernier, Bute avait rallié beaucoup de monde derrière de lui. Ce soir là, on ne donnait pas cher de sa peau. Bute était un athlète fragilisé par d'amères défaites contre Carl Froch et Jean Pascal. Ça sentait la fin de carrière. On disait qu'il avait peur. Peur de finir au plancher, humilié, probablement. Peur que sa carrière se termine sur une très mauvaise note.

Il a déjoué les calculs contre DeGale. Il s'est battu avec une énergie étonnante. Il était en forme. Après le 12e round, il y avait encore de l'essence dans le réservoir. Ce soir-là, il avait probablement été l'un des rares à croire qu'il pouvait gagner. Il a perdu mais aux yeux de plusieurs, il s'agissait d'une défaite «morale». Une défaite à saveur de belle performance.

Cela explique peut-être pourquoi on le prend davantage au sérieux quand il prétend qu'il reviendra à Montréal avec la ceinture des super-moyens du WBC. Cette confiance en ses moyens, il l'affiche avec le sourire et la détermination du gars qui sait exactement où il s'en va. Quand il affirme qu'il va gagner, ce n'est pas du chiqué, selon Jean Bédard qui le connaît fort bien.

«Dans son cas, je suis en mesure de faire une différence entre le gars sûr de lui et celui qui ne l'est pas, dit-il. Avant son combat contre Pascal, il a lancé le mot 'destruction'. Il avait surpris tout le monde en provoquant effrontément Pascal. Je n'en savais rien à ce moment-là, mais on m'a appris plus tard qu'il n'y avait pas trop de conviction dans cette provocation. Lucian n'était pas aussi confiant qu'il le prétendait. Il avait plutôt été pompé artificiellement, je dirais. On l'avait surtout convaincu qu'il allait gagner. Cette fois, Lucian ne parle pas pour la galerie; il croit vraiment en ses chances.»

Andrade a causé les premiers dommages

Bédard va plus loin encore en affirmant, preuves à l'appui, pourquoi Bute n'est plus le boxeur ébranlé et craintif qu'on a tendance à voir en lui. Après sa défaite contre Pascal, il l'a accompagné à divers égards. Il s'est servi de ses contacts personnels pour lui permettre de rencontrer plusieurs spécialistes. On ne savait plus ce qui se passait chez lui. Était-il malade? Souffrait-il de commotions cérébrales? Il avait des problèmes de vision qui l'empêchaient de bien voir venir les coups. C'était inquiétant. Or, les résultats de tous ces tests ont été catégoriques. Ses problèmes n'étaient pas physiques. Ils étaient d'ordre mental.

On a finalement découvert que ses ennuis de santé remontaient aussi loin qu'au premier combat contre Librado Andrade quand il avait été gelé sur place dans les dernières secondes du combat. On se rappelle qu'il avait été sauvé par la cloche et par l'extrême clémence de l'arbitre. Sa destruction personnelle s'était amorcée à ce moment.

« Ce soir-là, les lumières se sont éteintes pour lui, rappelle Bédard. Néanmoins, Lucian étaient tellement bon qu'il a réussi à gagner six combats consécutifs par K.-O. ou par K.-O. technique par la suite. C'est contre Carl Froch que les émotions de ce dur combat contre Andrade sont remontées à la surface. Comme s'il avait subi un «flash back» des coups qu'il avait reçus. Il fallait trouver les bonnes personnes pour analyser en profondeur ce qui n'allait plus avec lui. Il lui fallait soigner sa tête. Contre DeGale, quand j'ai vu ses mains sortir avec toute la rapidité qu'on lui connaissait, j'étais heureux comme un enfant. Pour moi, c'était déjà une victoire. »

Autre détail important. Bédard avait également appris que les choses ne s'étaient pas bien passées durant le camp d'entraînement qui avait précédé le combat contre Pascal. Son entourage semblait déprimé. Des hypothèses concernant la fin de sa carrière flottaient dans l'air. Lucian était loin d'être prêt mentalement pour ce combat. On comprend mieux pourquoi il n'a jamais été dans le coup contre Pascal.

Face à DeGale, épaulé par un nouvel entraîneur qui avait des méthodes et un message différents, il a démontré des choses qu'il aurait été incapable de réussir s'il n'avait pas retrouvé des repères perdus à la suite de gênantes défaites.

« Ce combat contre DeGale a eu des effets positifs sur lui, ajoute Bédard. Il sera meilleur samedi qu'il l'a été contre DeGale. Il ne donne pas un spectacle en ce moment. Il croit vraiment ce qu'il dit.» Bute n'affrontera pas un pied de céleri en Badou Jack. C'est un boxeur plus solide et plus dangereux que DeGale. Il possède une bonne main droite qu'il utilise généreusement. Il a un bon jeu de pieds. Il boxe en ligne droite. Défensivement, c'est moins compliqué à gérer pour un pugiliste technique comme Bute.

Yvon Michel, qui en a vu bien d'autres durant sa longue carrière, n'hésite pas à dire que Bute revient de loin. Il aime le bagage qu'il apportera dans le ring samedi soir: Une plus vaste expérience (13 combats de championnat du monde contre trois seulement pour son rival), de la vitesse et de la puissance. Il aime donc ses chances de le voir retourner au sommet.

Tomber en mode panique

Eric Lucas, qui est souvent précis dans ses prédictions d'avant combat, parle sur le même ton. Il ne miserait pas son café bistro de Magog sur une victoire de Bute, mais il aime ce qu'il voit.

«Je ne suis pas prêt à dire qu'on  reverra le Lucian Bute des beaux jours, mais il faudra presque que ce soit le cas face à Jack parce qu'il aura besoin de tous ses outils pour gagner, souligne-t-il. Néanmoins, on n'a pas le choix d'y croire parce qu'il est revenu de loin lors de son dernier combat.» Quand on évalue la force mentale de Bute, on revient inévitablement sur la raclée qu'il a encaissée contre Carl Froch et qui a beaucoup hypothéqué sa carrière. On a parfois l'impression qu'il reste des séquelles de cette douloureuse soirée. Pourtant, il y aura bientôt quatre ans que c'est survenu. Cela devrait suffire à effacer les mauvais souvenirs.

« C'est probablement effacé dans son esprit, mais il existe toujours un danger, affirme Lucas qui est bien placé pour évaluer ce qui peut se passer dans la tête d'un boxeur. Cela peut revenir assez vite s'il se fait pincer solidement. Durant sa carrière, il a démontré qu'il ne savait pas comment réagir quand il se faisait malmener. Ça, c'est dans tes gènes, tu l'as ou tu ne l'as pas. S'il se faisait frapper dès le départ, il pourrait tomber en mode panique. En reculant, il deviendrait vulnérable. À son dernier combat, on savait qu'il n'affrontait pas un solide cogneur. Personnellement, je ne lui accordais pas beaucoup de chances de revenir dans l'élite de sa catégorie, mais avec sa dernière performance, il a démontré qu'il est sur la bonne voie. » Lucas apporte un autre élément intéressant. Badou Jack s'est déjà fait passer le K.O. dès le premier round par un adversaire, Derek Edwards, qui a été battu en trois rounds par Adonis Stevenson. Et ce n'était même pas avec un solide coup de poing, selon lui.

« Tu regardes ça et tu te demandes pourquoi Lucian ne pourrait pas en faire autant. Il est un spécialiste de la contre-attaque. S'ils ont travaillé cela avec lui, il n'y a pas de raison pour que Jack n'encaisse pas une autre défaite. Ce sont tous des petits détails qui nous permettent d'y croire. La confiance de Lucian est au maximum depuis son dernier combat. Tout peut se produire et il le sait », précise Lucas.

Par ailleurs, ce K.-O. surprise contre Edwards n'a visiblement pas eu d'effets négatifs sur la carrière de Jack puisqu'il a remporté les quatre combats qui sont suivi.

Un changement d'air profitable

Jean Bédard n'analyse pas en profondeur les progrès de Bute le boxeur. Ce n'est pas son rayon. Mais Bute l'homme, il peut en parler parce que dans ses relations personnelles avec lui, il a souvent l'occasion de juger de son état d'esprit. Sans vouloir dénigrer qui que ce soit, il affirme que Bute avait besoin de vivre autre chose au sein de sa propre équipe. L'entraîneur Stéphan Larouche et lui étaient d'ailleurs d'accord pour prendre leurs distances. Leur séparation s'est faite en douceur.

« On ne peut pas juste parler de Stéphan Larouche, précise Bédard. Stéphan et son entourage n'étaient pas des psychologues. Les problèmes dont souffrait Lucian étaient très difficiles à diagnostiquer. Dans son processus pour remonter la pente, un changement d'air était nécessaire pour Lucian. Les frères Howard et Otis Grant lui ont présenté une nouvelle dimension de son métier qu'il avait besoin de connaître. Lucian voulait aborder ses combats d'une façon différente. De surcroît, en s'associant à Al Haymon, il n'a plus à se préoccuper de l'aspect business de la boxe. Il peut ainsi mieux se concentrer sur son boulot. On m'a demandé si cette association avec Haymon m'avait déçu. À cela, j'ai répondu que pour Lucian, c'est une très bonne chose. Je suis sincère quand je le dis. » On ne pourra pas reprocher à Bute de ne pas faire tous les efforts pour reprendre sa place dans l'élite mondiale. Certains jours, il doit se dire qu'il est le seul à y croire, mais il avance sans se soucier des doutes qu'il continue de créer autour de lui.

En Badou Jack, il fera face à un adversaire qui ne sera pas de tout repos. Jack a la même soif de victoires que Bute, mais sa motivation n'est pas la même. À 32 ans, il sait qu'il y a encore beaucoup d'argent à sa portée dans la boxe. Il n'a sûrement pas l'intention de se faire stopper dans sa course aux millions par un champion déchu.