« Tu sais que ce soir, tu es en présence de Dieu » – Muhammad Ali 

 

« Si tu te prends pour Dieu ce soir, Dieu est à la mauvaise place » – Joe Frazier 

 

Ce sont là, selon l’arbitre Arthur Mercante, les dernières paroles des deux adversaires avant que la cloche ne sonne pour annoncer le début des hostilités de leur première rencontre au Madison Square Garden, le 8 mars 1971. 

 

Les deux présentaient des fiches parfaites : 31-0-0, 26 K.-O. pour Ali et 26-0, 23 K.-O. pour Frazier. Le match était tellement important qu’il fut présenté en 12 langues différentes dans 50 pays. Pas moins de 300 millions d’amateurs de boxe l’ont vu ou entendu à la radio ou à la télé. 

 

Chacun des deux boxeurs avait une garantie de 2,5 millions $ pour l’affrontement. Un montant énorme pour le temps. C’était la plus forte somme jamais offerte non seulement à deux boxeurs, mais aussi à des artistes. 

 

Le prix des billets variait entre 20 $ pour une place dans les balcons et 150 $ pour un siège près du ring.  Au Canada, le match fut présenté en circuit fermé dans les théâtres et cinémas. 

 

Ce 8 mars 1971, le Madison Square Garden fut envahi par une horde de célébrités. Par exemple : Frank Sinatra fut accrédité comme photographe pour la revue Life Magazine. L’acteur Burt Lancaster fut choisi comme le commentateur de l’atmosphère entourant le combat même s’il n’avait  jamais fait ce travail auparavant. C’est Don Dunphy qui était l’annonceur et l’ex-champion mi-lourd Archie Moore agissait comme analyste. Parmi les autres invités de marque, il y avait le peintre LeRoy Neiman et l’acteur Woody Allen. 

 

Frazier victorieux 

 

Joe Frazier a gagné cette première confrontation par décision unanime. Il s’est payé le luxe de terrasser Ali au 15e engagement. C’était la troisième fois en carrière que Cassius Clay tombait au sol. 

 

En 1971, les matchs étaient de 15 rounds. On jugeait les combats par round et non pas par points.  

 

« Smoking Joe » en était à la deuxième défense de ses titres WBC et WBA. Ali était l’aspirant. 

 

Frazier l’a emporté par décision unanime. L’arbitre Arthur Mercante a remis une carte de pointage de 8-6-1 en faveur de Frazier. Les juges Artie Aidala et Bill Recht accordèrent des 9-6 et 11-4 en faveur du champion. 

 

Ali domine au début 

 

Comme prévu, Ali a dominé les trois premiers rounds. Soudainement, au quatrième engagement, c’est Frazier qui a pris l’initiative, poivrant Ali de ses fameux crochets de gauche et l’amenant dans les câbles où il pouvait le frapper au corps solidement. 

 

Rendu à la 11e reprise, le match était pratiquement nul. Soudainement « Smoking Joe » a coincé Ali dans un coin puis l’a atteint d’un solide crochet de la gauche qui l’a fait reculer jusque dans les câbles. 

 

Ali au tapis 

 

L’aspirant a repris ses sens et a pu continuer, mais au 15e round, un autre foudroyant crochet de la gauche de Frazier a terrassé Ali. Montrant une mâchoire enflée, Ali a pu se relever et terminer le combat. 

 

Ce jour-là, la fiche parfaite d’Ali fut souillée pour la première de son histoire. Frazier demeurait champion et les deux hommes devaient s’affronter deux autres fois par la suite, Ali remportant les deux autres rencontres dont le fameux « Thrilla in Manila », en 1975. 

 

Déjà 50 ans 

 

Ce 8 mars, cela fera exactement 50 ans qu’Ali et Frazier ont fait connaissance sur le ring. Malheureusement, aujourd’hui, les deux hommes ont rendu leur dernier soupir. 

 

Frazier a été le premier à quitter cette basse terre le 7 novembre 2011. Ali l’a suivi dans la tombe le 3 juin 2016, soit cinq ans plus tard. 
 

Une haine a toujours existé entre ces deux hommes. Oui, oui, une haine... 

 

Selon le Dictionnaire Larousse, la haine est un sentiment qui porte une personne à souhaiter ou à faire du mal à une autre, ou à se réjouir de tout ce qui lui arrive de fâcheux. 

 

Par soir d’orage 

 

Ali détestait tellement Frazier que des mauvaises langues prétendent que par les soirs d’orages, même s’ils sont séparés par une distance de près de 1000 kilomètres entre les deux cimetières et enterrés six pieds sous terre, où ils gisent, on peut entendre Ali crier des injures à l’endroit de son rival. 

 

Dès la première confrontation entre les deux hommes, dans la Mecque de la boxe, le Madison Square Garden de New York, Ali a commencé à jouer dans la tête de « Smoking Joe » avec les pires injures que l’on peut faire subir à un adversaire, surtout un homme à la peau noire. 
 

Ali l’a traité de gorille, d’Oncle Tom, de champion des blancs, de stupide et quoi encore... Il s’est même entraîné en vue de leur combat avec un costume de gorille sur le dos. Frazier ne lui a jamais pardonné ces injures et avec raison.  
 

Je suppose que par vengeance, Frazier l’a presque toujours appelé par son vrai nom, Cassius Clay et non Muhammad Ali, en riposte à ses injures. 

 

« Je rêve qu’il tombe dans le feu »
 

Los des Jeux olympiques d’Atlanta, en 1984, Frazier a même déclaré aux journalistes, après avoir vu son grand rival allumé la flamme olympique : « Je rêve qu’il tombe dans le feu ». Et il a ajouté sarcastiquement : « Si j’en avais moi-même la chance, je le pousserais dans la flamme ». 

 

Pourtant, lorsque Frazier est décédé, Ali s’est fait un devoir d’assister à ses funérailles, où environ 4000 personnes sont venues se recueillir sur sa tombe. Tout comme les autres invités, Ali a applaudi la dépouille à la sortie du salon. Parmi les invités, on retrouvait Larry Holmes, Don King, Denis Rodman et c’est le pasteur Jesse Jackson qui a lu l’eulogie. 

 

Parmi les absents, il y avait Mike Tyson, Donald Trump,  alors promoteur de combats, et le champion Bernard Hopkins. Tous les trois ont fait parvenir des messages de condoléances.  

 

Foreman absent 

 

George Foreman, le tombeur de Frazier à deux occasions, n’a pas assisté aux funérailles prétextant que l’émotion était trop forte pour lui. Il a toutefois fait parvenir une lettre de sympathies. 

 

Frazier a connu des funérailles beaucoup plus modestes que celles d’Ali, alors que pas moins de 100 000 de ses admirateurs étaient venus le saluer une dernière fois. Parmi eux, on pouvait voir Arnold Schwarzenegger, Bryant Gumbell, David Beckman, Whoopy Goldberg, Kareem Abdul Jabbar, Ray Lewis, Matt Lauer, Don King et Jim Brown. 

 

Selon Ali, il n’a jamais voulu vraiment insulter ni dénigrer Frazier. « C’était pour vendre des billets »,  a-t-il admis avant de mourir. En somme, pour lui, ce n’était qu’une farce. Mais une farce plate que « Smoking Joe » n’a jamais digérée tant et aussi longtemps qu’il a vécu sur cette basse terre. 

 

La télé tente un rapprochement 

 

La télévision a tenté un rapprochement dans les années 90, lors de l’émission « One night in Vegas » mettant en vedettes Foreman, Holmes, Frazier et Ali. 

 

Il était évident que Foreman et Holmes marchaient sur des œufs quand venait le temps de parler des confrontations entre Ali et Frazier. D’ailleurs, ces deux-là ne se sont pratiquement pas adressé la parole pendant toute l’émission. Il était évident qu’une tension énorme existait, surtout chez Frazier. 

 

Le plus beau souvenir 

 

« Smoking Joe » a toujours soutenu jusqu’à la fin de ses jours que son plus beau souvenir était celui du 15e round du premier combat entre les deux alors qu’Ali gisait au tapis. Pour lui, son cerveau avait effacé ses deux autres défaites aux mains d’Ali. Il ne restait que ce souvenir de son rival étendu sur le dos devant lui. 

 

Presque pauvre 

 

À sa mort, la fortune de « Smoking Joe » était évaluée à 100 000 $. Ces chiffres sont contestables, car Frazier était loin de vivre dans l’aisance. D’ailleurs, c’est Floyd Mayweather fils qui a défrayé le coût des funérailles. 

 

Chez Ali, ce fut tout le contraire. Le président Barack Obama, incapable d’assister à la cérémonie, a fait parvenir une longue lettre de sympathies tandis que l’ex-président Bill Clinton a lu l’eulogie en compagnie du comédien et imitateur d’Ali, Billy Crystal. 

 

Aujourd’hui, on peut constater que Frazier et Ali avaient beaucoup de choses en commun sauf la fortune. Alors que Frazier était pratiquement sans le sou, la fortune d’Ali était évaluée à 80 millions $ à sa mort. 

 

Médaillés d’or 

 

Tous les deux étaient des médaillés d’or aux Jeux olympiques. Ali a gagné la médaille chez les mi-lourds, à Rome en 1960, tandis que Frazier a réussi le même exploit chez les lourds à Tokyo en 1964.  

 

Fait à souligner, Frazier ne devait même pas participer aux Jeux olympiques de 1964. Il avait été écarté de l’équipe quand le représentant américain Buster Mathis s’est blessé à un pouce. C’est Frazier qui a pris la relève et qui a tout raflé sur son passage. 

 

Bonté et naïveté 

 

Alors qu’Ali, Foreman, Holmes et qui encore jouissaient d’importantes fortunes monétaires, Frazier devait dormir dans une petite chambre, au deuxième étage, derrière son gymnase à Philadelphie. 

 

Pourtant, il avait bel et bien fait fortune à boxer. Selon ses proches, c’est sa bonté et sa naïveté qui l’ont perdu. 

 

En 1973, il s’était porté acquéreur d’un terrain de 140 acres dans le comté de Bucks, en Pennsylvanie, en compagnie d’autres actionnaires. Ils avaient alors déboursé 843 000 $ pour ce lot. Pendant quelques années, Frazier a reçu un montant mensuel de cet investissement. Soudainement, la compagnie a fait faillite et Frazier a perdu sa mise de fonds. Selon lui, ses amis actionnaires ont imité sa signature sur certains documents qui ont finalement causé la faillite de l’entreprise. Ce fut le commencement de ses troubles financiers. 

 

Quelques années plus tard, ces 140 acres de terrain ont été vendus 1,8 millions $ par un promoteur immobilier. Aujourd’hui, ce lot ne vaut pas moins de 100 millions $. 

 

De boxeur à chanteur 

 

En 2009, Joe Frazier le boxeur est devenu chanteur. Il a même endisqué la chanson « Mustang Sally », qui a connu un certain succès, mais là s’arrête sa carrière de chanteur. 

 

En 2001, dans le film Ali, on revoit ce premier combat entre lui et Ali. C’est le boxeur James Toney, lui-même un ex-champion, qui a personnifié Frazier dans ce film. 

 

On a baptisé le premier affrontement entre les deux hommes en 1971 de « Match du centenaire », puis le second en 1974 de « Super combat II » et finalement le troisième, en1975 de « Thrilla in Manila ». 

 

Ali a mis un terme à sa carrière en 1981 avec une fiche de 56-5-0, 37 K.-O. et Frazier l’a imité la même année montrant un dossier de 32-4-1, 27 K.-O.. 

 

Tous les deux ont eu des enfants qui ont suivi leurs traces. Ali a vu sa fille Laila (24-0-0, 21 K.-O.) couronnée championne mondiale chez les super moyennes, tandis que « Smoking Joe » a eu un fils, Marvis (19-2-0, 8 K.-O.) qui a brillé chez les lourds et qui a terminé avec deux défaites a sa fiche. La première aux mains de Larry Holmes et l’autre contre Mike Tyson. 

 

Aujourd’hui, les noms d’Ali et Frazier trônent aux plus hauts sommets du Temple de la renommée de la boxe. 

 

Merci pour leurs exploits au cours des ans. 

 

Comme les vieux soldats, les boxeurs ne meurent pas, ils ne font que disparaître. 

 

Bonne boxe. 

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