MONTRÉAL - À l'extérieur, le soleil vient d'atteindre son zénith et ses chauds rayons printaniers percent les grandes fenêtres du Tristar Gym. L'endroit est pratiquement désert. Deux hommes dans la vingtaine s'apprêtent à sortir, sac de sport à l'épaule, tandis qu'une jeune femme s'essouffle discrètement sur un vélo stationnaire.

Il y a aussi ce bruit, au loin, sourd et répétitif. Il faut s'avancer un peu et longer, vers la droite, un mur tapissé de photos pour comprendre d'où proviennent ces détonations espacées qui viennent déranger la tranquillité des lieux.

"N'oublie pas de leur dire qu'ils doivent t'appeler l'Animal. Tu es un animal!", lance un petit homme trapu, les bras pointant vers le ciel et le regard fixé vers une foule imaginaire.

Alex Garcia n'aime pas ce surnom. Il n'en connaît pas l'origine, mais il insistera plus tard pour dire qu'il n'y est pour rien. Pour l'instant, pas le temps d'argumenter. Une sonnerie stridente signale que la pause est terminée.

Assis dans un coin du ring, Garcia se relève, baisse la tête et s'avance lentement vers Peter Sisomphou, son entraîneur de muay thaï, qui a déjà commencé à crier ses consignes. Il s'aperçoit rapidement qu'elles ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd.

"Arrête ça, tu vas me tuer!", ordonne-t-il à la blague dans un anglais très rudimentaire quand les coussins qu'il tient à la hauteur de sa tête reculent sous l'impact des violents coups de pieds de son élève.

Garcia s'entraîne tantôt avec la force brute et l'élégance d'un étalon, tantôt avec l'enthousiasme insouciant d'un jeune chiot. Après quelques minutes d'intense exécution, l'axe de ses yeux perçants dévie à l'extérieur des limites de l'arène et il commence à faire le pitre.

"Ne joue pas avec moi et termine le travail!", vocifère son professeur d'un ton autoritaire. "Souviens-toi : dans le ring, je veux que tu le mettes K.-O. Tu le mets K.-O.!".

L'homme auquel Sisomphou fait référence s'appelle Seth Baczynski, qui sera l'adversaire de son poulain samedi soir lors du gala Ringside 10 présenté au Centre Bell. Un jour, Baczynski sera peut-être connu comme le dernier adversaire à s'être dressé devant Alex Garcia avant que celui-ci n'entame une glorieuse carrière au sein du UFC.

Garcia sera le premier à vous dire que ce n'est pas ce qu'il souhaite. Les gens de son entourage vous préviendront qu'il est trop tôt pour envisager cette possibilité. Mais parfois, l'inévitable vient cogner à la porte et on n'a d'autre choix que d'aller ouvrir.

Le diamant des Antilles

Sa mère aurait voulu qu'il joue au baseball, comme ses frères et la plupart des enfants qui grandissent en République Dominicaine. Mais le petit Alex, malgré un certain talent, n'était pas attiré par le passe-temps national des Américains.

Né à Santiago, la deuxième plus grande ville du pays, Alex Garcia grandit à Cabarete, une station balnéaire située au nord de l'île. À l'âge de 18 ans, inspiré par les combats d'arts martiaux mixtes qu'il peut voir à la télévision, il s'initie au jiu-jitsu. Huit mois après sa première leçon, il dispute son premier combat professionnel, à Punta Cana.

"C'était contre un Américain de 29 ans, dit Garcia en fouillant dans ses vagues souvenirs. K.-O. au deuxième round."

Garcia est alors entraîné par un Canadien établi depuis une vingtaine d'années dans les Antilles. Devant le potentiel évident de son élève, "Joe" lui parle de Montréal et de toutes les possibilités que cette ville nordique pourrait lui offrir. Garcia, qui a justement, par le fruit du hasard, commencé à fréquenter une Québécoise, décide de faire le saut.

Nouvellement installé dans la métropole, le jeune immigrant se trouve un domicile au Montreal Wrestling Club. Ses habiletés naturelles attirent l'attention de ses nouveaux camarades, parmi lesquels se trouve Georges St-Pierre. Les deux se serrent la pince et deux semaines plus tard, St-Pierre invite sa nouvelle trouvaille au Tristar pour le présenter à Firas Zahabi, son entraîneur et complice de toujours.

"Quand il est arrivé, on voyait qu'il n'était pas vraiment bien éduqué au niveau technique, se remémore Zahabi, qui sera dans le coin de Garcia samedi soir. Il avait un talent brut exceptionnel et j'étais impressionné par son potentiel, mais pas par ses ressources."

"Il ne savait même pas comment donner un coup de pied", affirme plus brusquement Sisomphou, que ses protégés surnomment ‘Crazy Peter'.

"Il avait de bonnes qualités athlétiques, mais il ne savait pas quoi faire avec, relance Zahabi. Il était inefficace quand il luttait et quand il lançait ses coups de poings. Il a fallu le discipliner. Au lieu de suivre son instinct, on lui demandait de suivre le livre et de poser les bons gestes dans différentes situations."

"C'est épouvantable à quel point il s'est amélioré rapidement. Il est rendu à un autre niveau, poursuit Zahabi, qui en a pourtant vu d'autres. Il est la preuve que lorsqu'on combine le talent brut avec la bonne technique, ça donne l'athlète ultime."

Besoin d'expérience

Au Québec et au Canada, Garcia fait beaucoup jaser. Même s'il n'a que 23 ans et seulement six combats à son palmarès, la plupart des médias dédiés aux arts martiaux mixtes le classent dans le top 10 des mi-moyens au pays. Le site internet spécialisé Bloodyelbow.com en faisait même récemment son deuxième plus bel espoir au monde dans la catégorie des 170 livres.

"Je ne porte pas attention à ce que les autres disent à mon sujet, ça n'a pas d'importance pour moi, assure modestement Garcia. Il y a plein de choses qu'ils ne savent pas."

S'il refuse de se laisser déranger par toutes les fleurs qui lui sont lancées, le jeune flamboyant dégage néanmoins une confiance certaine en ses moyens. Lorsqu'on lui demande s'il croit un jour arriver au niveau de son coéquipier GSP, il répond sans hésiter par l'affirmative. "Vers l'âge 28 ou 29 ans", l'âge actuel de St-Pierre.

Les comparaisons entre les deux font surface tout naturellement. Garcia se bat dans la même division de poids que le champion du UFC et apprend son métier des mêmes entraîneurs qui ont fait de GSP l'un des combattants les plus complets et les plus craints de la planète.

"Mais Georges est arrivé à une époque différente, précise Zahabi. Dans le temps, le sport était moins développé, les combattants étaient davantage spécialisés dans une discipline. Georges a vraiment été le premier à être aussi complet, à être bon partout. Il a pavé la voie à une toute nouvelle génération de combattants."

"Et il ne faut pas oublier qu'Alex n'a aucune expérience en sports de combat autre que celle démontrée par sa fiche en MMA. Alors au même âge, pas le choix de dire que Georges était plus avancé", ajoute le pilier du Tristar.

St-Pierre avait 22 ans quand il a vécu son baptême du UFC contre Karo Parisyan. C'est une question de temps avant que Garcia ne reçoive le même genre d'appel, mais autour de lui, personne ne passe de nuits blanches à côté du téléphone.

"Je ne veux pas aller au UFC simplement pour pouvoir dire que j'y suis, explique Garcia. Beaucoup de jeunes combattants sautent sur la première occasion, ne sont pas prêts, perdent, quittent et n'y retournent jamais. Je veux prendre mon temps."

"Alex est déjà un combattant de calibre mondial, ça c'est sûr, affirme Zahabi. Mais je veux quand même y aller une étape à la fois avec lui parce que l'expérience, ça ne s'achète pas. J'aimerais qu'il ait quatre ou cinq autres combats avant de monter. Quand tu te bats, tu ne veux pas que ton adversaire ait un avantage sur toi. Tu peux être meilleur en lutte, en boxe, en jiu-jitsu, mais si ton adversaire est plus expérimenté que toi, c'est un avantage en sa faveur."

"J'ai toujours cru que si on aime ce qu'on fait, on peut devenir le meilleur", dit calmement Garcia.

Puis, quelqu'un lui demande, pour la forme, s'il aime se battre. Dehors, le soleil est maintenant caché derrière les nuages, mais le large sourire de Garcia illumine la pièce en entier.

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