MONTRÉAL - C'est un endroit magnifique, un endroit où on se sent infatigable, intouchable, invincible. On peut en ignorer l'existence toute notre vie, mais on ne veut jamais le quitter une fois qu'on l'a découvert.

Mike Ricci appelle cet endroit "la zone". C'est un petit paradis où ses sens se retrouvent décuplés, où ses pieds sont légers et sa tête vide de tout souci. C'est un endroit où tout est facile et rien n'est impossible. C'est un recoin de son esprit qu'il cultive, chérit et cherche constamment à agrandir.

Vous feriez la même chose si vous aviez, comme lui, traversé l'enfer pour y parvenir.

***

Il s'appelle Pat Curran. Mike Ricci ne l'a pas oublié, mais il ne prononce jamais son nom. Il est celui qui lui a infligé la première défaite de sa carrière. La seule. Celle qui a tout changé.

Les deux hommes se sont affrontés en avril 2010, au premier tour du tournoi des 155 livres de l'organisation américaine Bellator. Ricci, un jeune athlète surdoué issu du quartier montréalais de Notre-Dame-de-Grâce, était invaincu en cinq combats et l'idée d'aller affronter un rival plus expérimenté, dans sa ville natale de Chicago, ne l'inquiétait pas du tout.

"Je croyais que mon chemin était tracé d'avance parce que j'écoutais tout le monde parler comme si c'était le cas, se rappelle-t-il. On m'appelait ‘le prochain ci' ou ‘le prochain ça' et je me suis mis à croire que c'était vrai simplement parce que les gens le disaient. Dans ma tête, si personne ne parlait de toi, tu ne pouvais pas me battre. À bien y repenser, j'accordais beaucoup d'importance à tout ce qui n'en avait pas."

Ricci a été ramené sur terre en trois minutes. Insouciant, nonchalant, il avançait sans se méfier vers le côté fort de Curran quand il s'est écroulé sous une solide droite qu'il n'a jamais vu venir. Il s'est relevé après quelques minutes, mais ne s'est réellement réveillé qu'un an plus tard.

***

À son retour à Montréal, Ricci n'a pas remis les pieds au gymnase. Trop de démons à affronter dans sa tête pour trouver le courage de confronter ceux qui se trouvaient à l'extérieur.

Son absence a duré une année complète et s'est déroulée sous la forme d'un lent retour à la vie. Dépressif, il a passé de longues journées à réfléchir à son sort et à son avenir. Il est retourné à l'école tout en travaillant à temps partiel au centre de conditionnement physique de son ami Jonathan Chaimberg.

"Ça a été un passage très difficile pour moi, mais j'en avais vraiment besoin. J'ai fait beaucoup de choses avant ce combat (contre Curran) qui ont rendu cette période de ma vie très difficile. Et plus je m'absentais, plus je sentais que le retour serait ardu. J'étais incapable de faire face aux gens, de regarder mes entraîneurs dans les yeux. Je cherchais quelqu'un sur qui diriger le blâme, j'avais l'impression d'avoir laissé tomber tout le monde."

"On était tous malheureux de le voir comme ça, se souvient Firas Zahabi, l'entraîneur en chef du Tristar Gym, la deuxième maison de Ricci. Mais le fait qu'il soit revenu comme il l'a fait prouve qu'à l'intérieur de lui, il a ce qu'il faut pour être un jour un champion. C'est comme ça, la vie. Ce n'est pas toujours parfait, ça ne va pas toujours bien. Des fois, on prend un pas de recul, mais il faut tenir son bout. Ce n'est pas le temps de lâcher après seulement une mauvaise expérience et je suis content qu'il se soit donné une deuxième chance."

***

Ricci n'était de retour à l'entraînement que depuis deux mois quand il a renoué avec l'action. On l'aurait accueilli à bras ouverts aux États-Unis, mais il tenait à rester parmi les siens le temps, au moins, de dépoussiérer correctement sa carcasse.

À Ringside 10, un an après sa défaite contre Curran, il a complètement démoli l'Ontario Jesse Ronson. Ce soir-là, son corps était au Centre Bell, mais sa tête l'a transporté à un autre niveau.

"C'est à ce moment que je me suis retrouvé dans ‘la zone'. C'était la première fois que ça m'arrivait. Tout se passait sans que j'aie à y penser, je ne m'essoufflais même pas. J'étais dans ‘la zone', c'est la seule explication que je puisse trouver. Et après coup, j'ai dit à mes entraîneurs qu'il était primordial que je reconnaisse bien ce qui était arrivé et que je sois capable de le reproduire dans le futur."

"Je crois que ma défaite et mon année sabbatique m'ont aidé à trouver cette zone de confort. J'ai réalisé ce qu'étaient réellement les MMA, je suis devenu conscient des dangers que le sport comportait. Avant d'y avoir été exposé, je n'avais aucune raison d'être dans ‘la zone'. Je me souciais de tout ce qui n'avait aucune pertinence. Mais maintenant, je me fous de tout ça. Je sais reconnaître ce qui est important et ce qui ne l'est pas."

***

Pour la première fois depuis le début de sa carrière, Mike Ricci sera présenté à la foule avec un sobriquet avant son prochain combat. Vendredi, au Centre Bell, "The Martian" affrontera Daron Cruickshank pour la ceinture vacante de la division des poids légers de Ringside.

"J'en avais parlé avec mes entraîneurs et je trouvais que c'était le temps de me trouver un surnom, raconte Ricci, détendu et souriant. J'ai pensé au fait que je ne me sentais pas comme un humain à mon dernier combat et comme la thématique des animaux avait déjà été usée à profusion, vous savez… j'ai décidé d'y aller avec un extra-terrestre."

Peu importe sous quelle forme il se présentera dans l'octogone, Ricci promet que son adversaire ne croira pas ce qu'il verra lorsqu'il se mettra sur son cas. Si vous avez été impressionné par sa dernière performance, le Martien préfère vous prévenir : vous n'avez encore rien vu.

"À l'entraînement, j'ai pris tous les moyens pour m'assurer de ne pas m'éloigner de ‘la zone'. Je me suis concentré à garder mes sens aiguisés et à laisser mon corps faire le travail. Je suis convaincu que cette fois, le résultat sera encore plus exceptionnel."

Amateurs d'arts martiaux mixtes, vous pouvez consulter mon blogue et me suivre sur Twitter.