Le village camerounais de Ngannou vénère son « roc »
UFC jeudi, 20 janv. 2022. 08:12 dimanche, 15 déc. 2024. 05:31
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BATIÉ, Cameroun - Rodrigue Ngannou et Robert Meupeuh enlèvent leurs chaussures, chassent les quelques feuilles mortes à leurs pieds et s'approchent avec déférence d'un rocher qui s’avance, immense, au bord d’une petite route de l’ouest du Cameroun, à Batié.
Leurs pensées s'envolent à des milliers de kilomètres, vers Francis Ngannou, le champion du monde des poids lourds de l'UFC, l’enfant du village qui remettra en jeu contre le Français Ciryl Gane, samedi à Anaheim, son titre conquis en mars 2021.
« Ici, c’est notre lieu sacré. Le rocher qui parle », explique à l'AFP Rodrigue, son oncle paternel, dans la petite ville de Batié où il a grandi. « Francis est un enfant béni. Il est comme le caillou, c'est un roc. Personne ne peut le renverser », abonde Robert, lui aussi de sa famille.
Ils remettent leurs chaussures, descendent un petit chemin et passent quelques maisons de terre. La route principale s'éloigne. Puis s'élève le murmure d'une source d'eau.
« Chaque fois qu'il a un combat, on demande aux dieux de l'accompagner. Ce n'est pas seulement pour nous, la famille. Ce n'est pas que pour la région de l'Ouest, mais c'est pour le Cameroun tout entier », reprend Robert.
« C'est dans cette source qu'il puisait l'eau. C'est elle qu'il a bue pour être plus fort, pour faire 6 pi 4 po et près de 250 livres », assure-t-il.
Solitaire, pas bagarreur
Batié est située au coeur des terres bamilékées, l'un des principaux groupes ethniques du Cameroun, très fier de ses coutumes et de ses traditions.
La maison où a vécu Francis Ngannou, 35 ans, n'a pas changé. Dehors, une femme a étendu une grande toile blanche sur laquelle elle fait sécher des haricots. À l'intérieur, des vêtements pour enfants sont suspendus. Des livres d'école reposent sur une petite table en bois et une marmite de légumes est posé sur le sol en terre battue.
Mais tout en haut de la concession familiale, il a fait construire une très grande maison dominant les collines environnantes.
Quel chemin parcouru par l'enfant de Batié. Né dans la pauvreté, il passe une enfance solitaire. « Jeune, il pouvait rester des heures sans dire un mot. Il était calme, ne se bagarrait jamais », confie M. Meupeuh.
À l'adolescence, comme de nombreux jeunes du pays, il est contraint de travailler après les cours et les week-ends pour gagner un peu d'argent et payer sa scolarité. Il descend dans les carrières et ramasse du sable qu'il charge dans des camions.
Puis il part pour Douala, la capitale économique, vit de petits boulots, commence la boxe. Il croit en son étoile, s'imagine un destin. En 2012, il prend la route de l'exil et arrive à Paris. Sans argent ni logement, il se met très vite en quête d'un gymnase de boxe. Il frappe à la bonne porte. « La MMA Factory », une usine à champions où s'entraîne également Ciryl Gane.
Fernand Lopez, le directeur sportif du club, lui donne sa chance, lui ouvre les portes de sa salle gratuitement. Francis Ngannou fait des ravages. En 2015, il fait ses débuts dans l'UFC, avant de ravir la ceinture des lourds en 2021.
Fierté de l'Afrique
À Batié, il est adulé. Des affiches du champion sont disséminées un peu partout. Les soirs de combat, les habitants s'agglutinent devant les écrans des buvettes. En mai, ils étaient plus de 2000 à l'accueillir au village pour célébrer son titre.
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Samedi, tous s'attendent à une nouvelle démonstration du « Predator », son surnom. « Personne au monde ne peut rester debout devant lui », pronostique Roger Kamgang, un sableur de 56 ans.
« Il fait la fierté des Batiés, du Cameroun et de l'Afrique », s'enthousiasme Tchouainkam Dada Théodore, roi du peuple batié. « Il ne manque pas de revenir dans son village natal avant et après chaque combat, pour se ressourcer et pour prendre la bénédiction auprès de ses ancêtres. Tous ses exploits sont fondés sur le respect de la coutume et des institutions traditionnelles de son territoire », explique le souverain à l'AFP.
« Quand il rentre au village, il vit comme tout le monde. Il suce sa canne à sucre, mange son maïs. On ne peut imaginer le champion qu'il est », témoigne son oncle Rodrigue.
Sur les hauteurs, Ngannou a aussi fait construire une salle de sports en 2019. Tous les soirs, une vingtaine de jeunes s'y retrouvent pour des cours de ju-jitsu brésilien ou de kick-boxing.
« Je travaille dans les carrières de sable et je viens m'entraîner ici le soir. Il nous a donné la force de nous battre et de croire en nous », raconte Happy Franch, 28 ans, qui rêve de suivre son chemin.