Les ingénieurs sont-ils en voie de devenir les vraies vedettes du sport automobile? Sont-ils en train de reléguer au second rang l'impact du pilote sur le dénouement d'une épreuve? La course à la technologie devient-elle plus importante que la course sur la piste? Faut-il délibérément provoquer un recul technique afin de ramener le pilote à l'avant-scène?

Je sais fort bien que le débat dure déjà depuis un bon bout de temps, mais on a l'impression que depuis quelques années il est de plus en plus légitime. Et tout indique qu'il prendra encore de l'ampleur en 2005.

En revenant à la maison, après la première séance de qualifications du Grand Prix de Malaisie, je repassais dans ma tête la position des pilotes au classement. Au sommet de la hiérarchie, Alonso, Trulli, Fisichella,… Tout au bas (outre les Jordan et Minardi), Michael Schumacher, Barrichello, Villeneuve… Cette fois, pas de pluie ou de conditions changeantes, pas de facteurs extérieurs, pas d'incidents, pas de bris mécaniques et un environnement égal pour tout le monde, soit celui d'un minimum d'essence dans le réservoir. Le portrait était on ne peut plus clair. Il s'est même répété en course le lendemain, comme pour se confirmer davantage.

En quelques mois à peine, l'une des voitures les plus dominantes de l'histoire de la F1 est devenue plus qu'ordinaire. Le plus grand champion de l'histoire de la F1, malgré tout son brio, ne peut même pas dépasser les deux voitures Red Bull, sur un seul tour lancé. Voilà, en toute froideur, où en sont les choses en sport automobile, particulièrement en F1. Un travail acharné de la part des écuries rivales, des constructeurs de moteurs et des fabricants de pneumatiques, quelques nouvelles règles techniques et sportives, voilà que l'ordre des choses se retrouve complètement transformé.

Lorsque les grands constructeurs ont envahi massivement la F1, il était devenu indéniable que le championnat du monde allait être éventuellement le leur, beaucoup plus que celui des pilotes. Mais on a l'impression que la situation présente est encore plus poussée que ce que nous anticipions!

Bien sûr, un pilote franchement médiocre ne pourrait pas pour autant espérer remporter le titre mondial. Mais un pilote suffisamment talentueux et expérimenté peut certainement prétendre au trône, dans le contexte actuel, s'il a la meilleure voiture. Il fut un temps pas si lointain où, à part de rares exceptions, l'espoir d'être champion n'était réservé qu'aux " exceptionnels ", qu'à la crème de la crème!

Damon Hill m'avait dit en entrevue, il y a quelques années, qu'il redoutait terriblement le jour où les pilotes deviendraient des " employés " de Honda, Toyota ou Renault. " Il n'y aura plus vraiment de championnat conducteur. Pire encore, la F1 perdra une grande partie de son identité car les pilotes ne seront plus à l'avant-scène. Or, le public veut pouvoir s'identifier à Schumacher, Villeneuve et autres et non pas nécessairement à Renault ou Ferrari ", avait-il dit, en substance.

Or, voilà justement le côté ingrat, pour ne pas dire carrément injuste, du métier de pilote de F1, présentement. Les amateurs, pour la plupart, veulent que leurs favoris remportent des victoires, qu'ils aillent sur le podium, qu'ils marquent des points avec régularité, qu'ils se battent en piste avec fierté et conviction. Dans une certaine mesure, les écuries demandent la même chose, avec en plus, la pression de ne pas abîmer la voiture, de la ramener saine et sauve au drapeau à damier. Mais même avec la meilleure volonté au monde et malgré tout le talent voulu, les pilotes sont complètement tributaires de la voiture qu'ils conduisent et donc, à la merci des ingénieurs qui ont soit réussi leur travail, soit raté leur mandat.

Un retour à un plus juste équilibre entre la voiture et le pilote n'est certainement pas chose simple. On ne peut certainement pas effacer d'un trait les progrès techniques enregistrés au cours des dernières années. La connaissance, ça ne recule pas! La FIA peut, comme elle a tenté de le faire cette année, chercher à niveler un peu plus les choses par l'imposition de règles restrictives, mais elle ne pourra jamais empêcher un ingénieur d'être plus brillant qu'un autre dans l'application des ces mêmes règles.

Avec le recul, on en est presque à se demander si Max Mosley n'avait pas un tout petit peu raison quand il avait proposé, comme mesure extrême de relance de la F1, que tous les pilotes fassent le tour des 20 voitures au cours d'une seule et même saison! Je sais, je sais, l'idée peut paraître complètement saugrenue, autant dans la forme que dans le fond. Mais elle a au moins le mérite de reconnaître que le classement du pilote est beaucoup trop lié à la situation propre de son écurie, de nos jours.

Puisqu'il est utopique de croire que la F1 reviendra éventuellement à un niveau, disons, un peu plus " artisanal ", puisqu'il est très improbable qu'au moins quatre ou cinq équipes puissent faire jeu égal sur le plan technique et puisqu'il serait impensable que la F1 devienne un jour une série parfaitement monotype, peut-être serait-il temps de commencer à songer à un nouveau contexte sportif, où le pilote inscrit au championnat serait détaché d'une écurie en particulier, mais plutôt lié à la structure même du championnat, qui sait…

Au moins, en ce début de saison 2005, l'écurie qui domine (Renault) semble vouloir laisser ses deux pilotes faire jeu égal lors d'un Grand Prix. Il pourrait très bien se développer une très jolie rivalité entre Fisichella et Alonso d'ici les prochaines semaines. Mais ce serait bien de voir les autres participer aussi à la fête, non?