Symphonie inachevée
Course samedi, 4 oct. 2003. 18:37 jeudi, 12 déc. 2024. 06:43
Jerez, 26 octobre 1997. Après avoir survécu à un coup de volant déloyal de la part de Michael Schumacher, qu'il allait doubler de façon non équivoque, Jacques Villeneuve file tout droit vers la victoire et vers le titre mondial.
Avant de passer le fil d'arrivée, lui et son équipe se mettent d'accord pour laisser passer Mika Hakkinen et David Coulthard. Villeneuve n'a pas besoin des 10 points pour être champion du monde et il en fait cadeau volontiers au pilote finlandais qui remporte ainsi sa première victoire en carrière.
À 26 ans à peine, Villeneuve décroche l'un des titres les plus convoités au monde, tous sports confondus. Après le championnat de la série CART, fort prestigieux à l'époque, après avoir gagné Indianapolis, le jeune homme vient d'atteindre un sommet réservé exclusivement aux plus grands. Tous les observateurs et les fans du monde entier savent que ce n'est que le début d'une longue carrière remplie de succès et de gloire. Sur sa terre natale, entassés au Centre Bell, les québécois lui crient leur affection et leur admiration. L'histoire est tellement parfaite, jusque-là, que l'on sait que l'on en parlera, éventuellement, comme d'une grande oeuvre...
*******
Jacques Villeneuve ne remontera jamais sur la plus haute marche du podium par la suite. Pire, il n'ira sur le podium qu'à quatre autres occasions, sur la troisième marche en fait, et encore, de façon presque circonstancielle. Il n'y aura plus d'histoires parfaites, il n'y aura plus de succès universellement salués, il n'y aura plus de foule en liesse au Centre Bell, il n'y aura plus de photos à la une de Paris-Match. Il n'y aura plus d'oeuvre. Seulement une longue descente vers le vide. Seulement une longue agonie menant d'abord vers la critique, puis le dérision et ultimement, vers l'oubli. Seulement une symphonie inachevée...
Mais pourquoi donc? Comment en être arrivé là? Comment un tel joyau peut-il avoir été aussi négligé, au point de ne plus pouvoir reconnaître son éclat, de ne même plus savoir qu'il en fut un, il y a si peu de temps?
Pas plus tard que la semaine dernière, dans une entrevue, Jacques Villeneuve se posait les mêmes questions. Il faisait le même triste constat, en disant accepter que la vie soit ainsi faite, mais en avouant ne s'y être jamais préparé.
Bien sûr, le choix professionnel de l'aventure BAR en 1999 fut non seulement mauvais, il fut catastrophique. Tous s'entendent sur ce point, Jacques Villeneuve et Craig Pollock les premiers. Mais tous les deux auront laissé leur loyauté "familiale" perpétuer cette mauvaise décision jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Seul l'argent aura permis, un tant soit peu, de panser les plaies...
Quand Craig Pollock a été cavalièrement tassé de la direction de BAR, il y a près de deux ans, la vie de Villeneuve au sein de l'écurie qu'il a mise au monde avec passion et conviction venait de passer en mode de respiration artificielle. Ne suffisait qu'à attendre la première occasion légale pour débrancher. C'est ce que David Richard a fait en téléphonant à Pollock, vendredi matin.
******
Certains diront que Villeneuve et son entourage sont entièrement responsables du sort qui est le leur, aujourd'hui. Peut-être. Mais honnêtement, je crois qu'il est superflu de débattre sur cette question.
Car à la base, le projet British American Racing était emballant et excitant. Je peux en témoigner, ayant travaillé étroitement sur la conception du tout premier document audio-visuel présenté par Tom Moser à la haute direction de British American Tobacco, pour la convaincre de se lancer dans la grande aventure F1. Tout y était parfaitement expliqué, autant sur le plan sportif que marketing. Les ressources humaines et techniques étaient parfaitement crédibles. Il ne manquait qu'un très gros investissement de la part de BAT, investissement que la multinationale avait parfaitement les moyens de s'offrir.
Bien sûr que les deux premières saisons furent extrêmement difficiles, avec en toile de fond, plusieurs erreurs de parcours, tant sur le plan technique que sur le plan "politique". Mais dès l'an 3, BAR ne faisait plus rire autant, il me semble. Ni en l'an 4. L'équipe n'a-t-elle pas amassé 20 points en 2000 et 17 en 2001?
Non, la carrière de Villeneuve a vraiment basculé au moment où la performance des voitures BAR en piste s'est mise à reculer sérieusement, c'est-à-dire en 2002. Et aussi au moment où David Richards est entré en poste à la tête de l'écurie. Idéalement, c'est à ce moment-là, précisément, qu'il aurait fallu que Jacques sorte de ce guêpier. Mais que pouvait-il faire? Craig Pollock s'était fait virer la veille du lancement de la nouvelle voiture, en décembre 2001! Il n'y avait plus d'option, aucune.
La saison 2002 fut si pourrie, en terme sportif et en terme de relations de travail, que les mauvaises retombées devinrent irréparables. La hache de guerre a eu beau être enterrée cette saison, elle ne le fut que très superficiellement. Une bonne partie du reste du paddock s'est par ailleurs lassé de cette mauvaise histoire et a fini par cataloguer Villeneuve comme un indésirable.
******
Les rumeurs de remue-ménage chez Williams et McLaren, celles voulant que Craig Pollock s'associe à Jordan ou que Ford s'intéresse à Villeneuve (pour Jaguar) ont-elles un certain fondement et portent-elles un ultime espoir de voir la carrière de Jacques Villeneuve se poursuivre et s'ennoblir de nouveau? J'en doute.
Mais même si elles se matérialisaient, elles ne changeraient pas le moindre petit passage de la vie professionnelle du seul pilote qui, de l'avis de tous, aurait pu vraiment rivaliser avec Michael Schumacher sur TOUS les fronts, au cours des dernières années.
Villeneuve a choisi consciemment l'environnement humain plutôt que l'environnement sportif. Ce choix lui a aussi donné une très grande richesse matérielle. Il est d'ailleurs le premier à reconnaître qu'il ne saurait y a avoir de regrets, même avec le recul.
Mais une symphonie inachevée restera toujours tristement inachevée...pour toujours.
Avant de passer le fil d'arrivée, lui et son équipe se mettent d'accord pour laisser passer Mika Hakkinen et David Coulthard. Villeneuve n'a pas besoin des 10 points pour être champion du monde et il en fait cadeau volontiers au pilote finlandais qui remporte ainsi sa première victoire en carrière.
À 26 ans à peine, Villeneuve décroche l'un des titres les plus convoités au monde, tous sports confondus. Après le championnat de la série CART, fort prestigieux à l'époque, après avoir gagné Indianapolis, le jeune homme vient d'atteindre un sommet réservé exclusivement aux plus grands. Tous les observateurs et les fans du monde entier savent que ce n'est que le début d'une longue carrière remplie de succès et de gloire. Sur sa terre natale, entassés au Centre Bell, les québécois lui crient leur affection et leur admiration. L'histoire est tellement parfaite, jusque-là, que l'on sait que l'on en parlera, éventuellement, comme d'une grande oeuvre...
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Jacques Villeneuve ne remontera jamais sur la plus haute marche du podium par la suite. Pire, il n'ira sur le podium qu'à quatre autres occasions, sur la troisième marche en fait, et encore, de façon presque circonstancielle. Il n'y aura plus d'histoires parfaites, il n'y aura plus de succès universellement salués, il n'y aura plus de foule en liesse au Centre Bell, il n'y aura plus de photos à la une de Paris-Match. Il n'y aura plus d'oeuvre. Seulement une longue descente vers le vide. Seulement une longue agonie menant d'abord vers la critique, puis le dérision et ultimement, vers l'oubli. Seulement une symphonie inachevée...
Mais pourquoi donc? Comment en être arrivé là? Comment un tel joyau peut-il avoir été aussi négligé, au point de ne plus pouvoir reconnaître son éclat, de ne même plus savoir qu'il en fut un, il y a si peu de temps?
Pas plus tard que la semaine dernière, dans une entrevue, Jacques Villeneuve se posait les mêmes questions. Il faisait le même triste constat, en disant accepter que la vie soit ainsi faite, mais en avouant ne s'y être jamais préparé.
Bien sûr, le choix professionnel de l'aventure BAR en 1999 fut non seulement mauvais, il fut catastrophique. Tous s'entendent sur ce point, Jacques Villeneuve et Craig Pollock les premiers. Mais tous les deux auront laissé leur loyauté "familiale" perpétuer cette mauvaise décision jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Seul l'argent aura permis, un tant soit peu, de panser les plaies...
Quand Craig Pollock a été cavalièrement tassé de la direction de BAR, il y a près de deux ans, la vie de Villeneuve au sein de l'écurie qu'il a mise au monde avec passion et conviction venait de passer en mode de respiration artificielle. Ne suffisait qu'à attendre la première occasion légale pour débrancher. C'est ce que David Richard a fait en téléphonant à Pollock, vendredi matin.
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Certains diront que Villeneuve et son entourage sont entièrement responsables du sort qui est le leur, aujourd'hui. Peut-être. Mais honnêtement, je crois qu'il est superflu de débattre sur cette question.
Car à la base, le projet British American Racing était emballant et excitant. Je peux en témoigner, ayant travaillé étroitement sur la conception du tout premier document audio-visuel présenté par Tom Moser à la haute direction de British American Tobacco, pour la convaincre de se lancer dans la grande aventure F1. Tout y était parfaitement expliqué, autant sur le plan sportif que marketing. Les ressources humaines et techniques étaient parfaitement crédibles. Il ne manquait qu'un très gros investissement de la part de BAT, investissement que la multinationale avait parfaitement les moyens de s'offrir.
Bien sûr que les deux premières saisons furent extrêmement difficiles, avec en toile de fond, plusieurs erreurs de parcours, tant sur le plan technique que sur le plan "politique". Mais dès l'an 3, BAR ne faisait plus rire autant, il me semble. Ni en l'an 4. L'équipe n'a-t-elle pas amassé 20 points en 2000 et 17 en 2001?
Non, la carrière de Villeneuve a vraiment basculé au moment où la performance des voitures BAR en piste s'est mise à reculer sérieusement, c'est-à-dire en 2002. Et aussi au moment où David Richards est entré en poste à la tête de l'écurie. Idéalement, c'est à ce moment-là, précisément, qu'il aurait fallu que Jacques sorte de ce guêpier. Mais que pouvait-il faire? Craig Pollock s'était fait virer la veille du lancement de la nouvelle voiture, en décembre 2001! Il n'y avait plus d'option, aucune.
La saison 2002 fut si pourrie, en terme sportif et en terme de relations de travail, que les mauvaises retombées devinrent irréparables. La hache de guerre a eu beau être enterrée cette saison, elle ne le fut que très superficiellement. Une bonne partie du reste du paddock s'est par ailleurs lassé de cette mauvaise histoire et a fini par cataloguer Villeneuve comme un indésirable.
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Les rumeurs de remue-ménage chez Williams et McLaren, celles voulant que Craig Pollock s'associe à Jordan ou que Ford s'intéresse à Villeneuve (pour Jaguar) ont-elles un certain fondement et portent-elles un ultime espoir de voir la carrière de Jacques Villeneuve se poursuivre et s'ennoblir de nouveau? J'en doute.
Mais même si elles se matérialisaient, elles ne changeraient pas le moindre petit passage de la vie professionnelle du seul pilote qui, de l'avis de tous, aurait pu vraiment rivaliser avec Michael Schumacher sur TOUS les fronts, au cours des dernières années.
Villeneuve a choisi consciemment l'environnement humain plutôt que l'environnement sportif. Ce choix lui a aussi donné une très grande richesse matérielle. Il est d'ailleurs le premier à reconnaître qu'il ne saurait y a avoir de regrets, même avec le recul.
Mais une symphonie inachevée restera toujours tristement inachevée...pour toujours.