Le courage d'Isabelle Bernier!
En forme lundi, 26 nov. 2018. 14:40 jeudi, 12 déc. 2024. 22:51« Je craignais de dépasser les gars, je craignais bien des aspects. En fait, j’avais peur d’avoir peur ».
Isabelle Bernier ne l’a pas eu facile. Née à Baie Comeau dans un milieu dysfonctionnel, elle en porte toujours les séquelles aujourd’hui. Bien que la découverte de la course à pied lui ait procuré un sens à sa vie, elle doit continuellement combattre ses démons.
Elle a souffert d’anorexie durant la vingtaine, suivit par une dépression. Sa sœur, son frère, son oncle et un neveu se sont suicidés. Elle a sauvé sa mère à maintes reprises d’une pareille tragédie. Même son père a tenté de mettre fin à ses jours! « Tu sais, demander de l’aide à cette époque, ça ne se faisait pas », raconte la mère monoparentale de deux jeunes filles, Arielle, 11 ans et Izna, 13 ans.
« J’ai grandi dans un milieu difficile sauf que j’ai réussi à demander de l’aide au fil des années. Je ne me considère aucunement comme une victime de la vie, je suis en mesure de faire la paix avec ces éléments, j’adore la vie. Je fus pris dans un tourbillon mais la trentaine m’aura permis l’évasion et une certaine révolution en moi s’est alors produite », exprime la coureuse de 40 ans, enseignante à temps partiel dans le coin d’Orford, qui a travaillé longtemps comme travailleuse autonome dans la création, une facette qu’elle espère pouvoir développer éventuellement.
Isabelle a dû mettre les bouchées doubles sur l’estime de soi et la confiance. Elle raconte qu’elle ne se voyait pas sur un fil de départ, trop intimidé! « Je dois me laisser aller et ne pas m’écouter. Juste sortir dehors, respirer, me soulage et je l’apprécie », souligne celle qui est coach pour le club de trail, Le Coureur dans la région sherbrookoise.
Attablée dans un café à Drummondville, elle me raconte le jour où une dame l’a interceptée durant une course en sentier. « Elle m’a dit que si ma mère me voyait, elle n’allait pas être fière de moi car mes souliers étaient recouverts de boue ! Je lui ai répondu qu’au contraire, je crois qu’elle l’aurait été », relate Isabelle dont la mère demeure dans une résidence à cause de sa maladie.
Puis, il y a ce cadeau du ciel qui lui est arrivé récemment. Elle en parle encore avec stupéfaction, tellement peu habituée à du positif. Tout commence en août l’an dernier par son intention de devenir la première femme à courir le tour du lac Memphrémagog en solitaire, un défi de 123 km. Elle prendra 13 h 45 minutes pour l’accomplir. Inévitablement, les médias ont relaté son exploit. « Je ne voulais pas ébruiter cette réalisation mais j’ai des amis qui l’ont fait à ma place. Je trouvais ça gênant d’en parler ».
Vers la mi-septembre cette année, elle a reçu une invitation d’Endurance Aventure afin de participer à une course de 109 km, à six heures de Shanghai en Chine, en pleine brousse. L’organisme défrayait toutes les dépenses. « J’hésitais car je ne voulais pas laisser mes deux filles pour la première fois de ma vie pour un périple de six jours. Les membres de mon entourage ont insisté en me faisant comprendre que je n’avais pas le droit de refuser une telle opportunité. »
Seule représentante du Canada, Isabelle a adoré l’expérience qui lui a permis de voir des sites exceptionnels. Parmi 1500 participants, il lui a fallu 19 h 40 pour franchir la distance, tout en reconnaissant qu’elle s’était perdue à quelques reprises. « Ce voyage fut réellement un bonus, un rêve que je n’aurais jamais cru pouvoir accomplir. »
À son retour, elle raconte à la blague que ses filles se demandaient quand elle allait repartir ! La voilà maintenant qu’elle se permet de rêver. Elle souhaiterait se rendre à Zion dans l’état de l’Utah aux États-Unis pour une épreuve de 160 km. « Tout va dépendre de mes moyens financiers. Sinon, je vais courir autour de chez moi! ».
Malgré cette situation précaire, pas question qu’elle s’apitoie sur son sort. « Un jour, j’ai travaillé dans un petit café. J’ai vu des athlètes paralympiques qui venaient me parler et j’ai compris que dans la vie, nous pouvions éprouver chacun des ennuis. Je dispose d’une routine un peu folle mais il y a encore des zones que je tiens à découvrir. Je médite lorsque je cours et il me reste un bout à faire avec moi-même ».
Elle préfère la trail à cause du décor et du rythme. « Tu te dois d’être à l’écoute de ton corps. Je suis une personne qui réfléchit et qui pense beaucoup dans la vie. »
Isabelle Bernier a grandi dans un état de survie et la course à pied fut une façon de découvrir le bonheur. Elle l’écrit et en parle régulièrement, comme une thérapie. La trail et son aspect humain lui permet de recevoir une certaine reconnaissance.
Un jour, elle se retrouve dans une course où à quelques mètres de l’arrivée, elle se situe derrière une autre coureuse. Sa cadence lui permet de réaliser qu’il lui est facile de la dépasser avant le fil d’arrivée. Elle entend même des connaissances qui l’encouragent à le faire. « Je me sentais vraiment inconfortable. J’en avais des nausées ! Je me disais que cette coureuse avait tellement travaillé fort pour compléter cette course que je n’avais pas le droit de passer devant elle. » Isabelle a conservé son rang.
Elle m’a envoyé une vidéo de sa course Maxi-Race à Jiangshan et c’est à ce moment que j’ai constaté qu’elle avait terminé la première femme à franchir l’arrivée. Elle ne m’en avait pas parlé durant l’entrevue.
Voilà une réflexion qui vient solidement nous chercher sur les bases essentielles de notre existence.