Le Kenya a fait basculer les visions de Perry Mackinnon !
En forme jeudi, 16 mai 2019. 15:29 mercredi, 11 déc. 2024. 21:44Visiblement secoué par son passage au Kenya, Perry Mackinnon ne fait pas ses 21 ans. Né à Coaticook en Estrie, des expériences traumatisantes traversent encore son esprit quelques semaines après son retour au Québec. Son attitude diffère. On dirait un homme dans la cinquantaine qui répond à mes questions !
Nous nous retrouvons dans un petit café bilingue de Sherbrooke. Il retire son chapeau de style dès qu’il m’aperçoit. Pondéré, on sent un calme rarissime pour un gars de son âge. D’origine écossaise, il nage en pleine année sabbatique, entre le cégep et l’université où à l’automne prochain, il entreprendra des études en science de la nature dans le but d’approfondir ses connaissances en agroéconomie, particulièrement les finances de l’agriculture.
Car cette fusée sur deux pattes a grandi sur la ferme laitière de ses parents, loin de tout, entouré des prés, où huit générations familiales se sont succédé. « Mes parents et mon oncle possèdent deux fermes. J’y ai travaillé, apporter mon aide et grâce à cette contribution, je suis la personne qui se présente devant toi aujourd’hui. J’y ai appris à trimer dur et j’en ai retiré plusieurs leçons. Jeune, je prenais des décisions et j’ai rapidement gagné en maturité et en responsabilités.» Effectivement, on le sent fier de ce vécu.
Une famille dont les liens sont tissés serrés. Il se souvient des beaux moments passés avec ses sœurs Rose-Marie, 23 ans et Julia, 25 ans ainsi que ses quatre cousines durant sa jeunesse avec des promenades à chevaux, en 4 roues, la liberté d’entreprendre des projets à risque, à découvrir sa zone de confort et ainsi à prévenir les dangers. « En ville, les jeunes sont protégés de tout. »
Omniprésente durant son adolescence, la course à pied s’installe tranquillement dans sa vie. Il gagne continuellement au primaire et au secondaire. « Ces résultats me fournissaient un sens de l’accomplissement.» Il décide de joindre les rangs du club d’athlétisme de Sherbrooke et fait la connaissance de son coach, Jean-Pierre Lemelin qui le dirige toujours aujourd’hui. « On parle d’une personne qui considère l’âge de ses athlètes, réaliste dans ses entraînements et qui conjugue habilement avec les contretemps de la vie. Je possède une belle complicité avec lui ».
Toutefois, il doit faire un choix déchirant. Il délaisse son club de hockey au moment où on décide de le nommer capitaine. « J’avoue que cette étape fut très pénible. » La même année, il réalise qu’il a fait le bon choix puisqu’il signe deux championnats provinciaux et termine 2e au canadien en 2017 avec 24 minutes sur un 8km !
L’an dernier fut une saison tranquille avec un 2e rang derrière François Jarry au parc Lafontaine.
Le ralentissement des travaux à la ferme durant l’hiver combiné à un plongeon dans la classe sénior en course à pied l’incite à prendre une décision qui changera radicalement sa vie sur plusieurs facettes. Le 6 janvier dernier, il part pour la ville d’Iten au Kenya, la forteresse des élites de ce pays, la terre des coureurs de fond. Il tient à préciser que cette décision venait de son propre chef.
Un lien d’amitié avec le Rwandais Yves Sikubwabo lui facilite la tâche et il part le rejoindre. « J’ai grandi beaucoup lors de ce périple de trois mois, tant au niveau personnel qu’athlétique. La pauvreté incroyable, un niveau social différent, une vie simpliste ont fait basculer mes visions. Obtenir de l’eau par gravité, un manque d’électricité régulier, aucun frigo, se laver les mains dans un seau, faire la cuisine sur du propane, laver mon linge manuellement, voir les moutons qui accouchent sur le bord de la route, les batailles de chiens qui errent un peu partout dans la ville, les vaches qui se promènent ici et là, tu dois bénéficier d’un solide système humanitaire », raconte-t-il.
Là-bas, la loi de la survie prévaut, tant chez les animaux que les humains. Que dire maintenant de l’entraînement. Épouvantable.
« Je peux t’affirmer qu’au Québec, on s’entraîne comme des touristes comparativement à eux. Ils ne font que ça. J’ai perdu 10lb et j’étais déjà très en forme à mon arrivée. Je te le dis, si on s’entraînait comme eux, nous deviendrions aussi bons.»
Extrêmement religieux, les Kenyans transposent leur croyance sur la course à pied et il en est ainsi avec la nourriture et d’autres facettes de la vie, ce qui aux dires de Perry, entraîne un effet placebo. « Ils ressentent le besoin de croire à quelque chose. La course à pied, c’est mental et eux, ils sont dédiés à ce sport. Avec 5,000$, je peux facilement vivre durant un an là-bas. Alors, on y retrouve plusieurs agents qui proviennent d’un peu partout dans le monde et qui cherchent la perle rare.»
À chaque jour, vers 4h30 le matin, Perry prenait une gorgée d’eau et partait pour un entraînement d’une dizaine de kilomètres sur des chemins cahoteux, accidentés, sous la chaleur et à des vitesses vertigineuses qui se situaient autour des trois minutes du kilomètre. Et la journée ne faisait que débuter ! « J’étais littéralement vidé au terme de chacune d’elle ! » Mais quelle progression il a fait ! À son retour, il l’a réalisé en entraînement en affichant des temps de 3m10, 3m15 du kilomètre ! « Je me sentais à l’aise et capable de pousser davantage ».
« Au Québec, on possède tous les outils pour être heureux et au Kenya, ils sont heureux avec rien. Ici, nous pensons à ce que l’on ne possède pas tandis qu’eux, ils pensent à ce qu’ils ont. J’ai quitté le Kenya avec une grande réflexion en tête à savoir ce que je ferai dans ma vie. La vie simpliste que me procure la ferme m’invite à la rejoindre. Je veux transmettre ces valeurs à mes enfants. Cette expérience au Kenya fut plus profitable que je l’imaginais à l’origine. »
Pourrait-il y retourner éventuellement ? Perry ne ferme pas la porte. L’idée de devenir coureur professionnel a traversé son esprit mais ses valeurs humaines risquent fortement d’influencer ses prochaines décisions. Assurément, il améliorera ses temps au cours des prochains mois ce qui devrait faire écarquiller les yeux à plusieurs.
Éventuellement, il veut se diriger vers les longues distances, délaisser la piste et se retrouver sur la route pour finalement contrôler le marathon. À 21 ans, avec le bagage et le sérieux dont il dispose, les différentes avenues s’offrent captivantes. Il devra faire des choix. Assurément, il tranchera pour y retrouver le vrai bonheur.
D’ailleurs, il m’a semblé en réflexions durant toute notre conversation. J’ai senti qu’il disposait déjà de certaines idées derrière la tête !