Surfer, pagayer, camper !
En forme vendredi, 30 juil. 2021. 07:13 jeudi, 12 déc. 2024. 17:59Vous croyez que le stand-up paddle board (SUP) ne convient qu’aux sorties du dimanche ou au SUP-yoga ? Détrompez-vous. De plus en plus d’aventuriers repoussent les limites de cette embarcation en partant en expédition de SUP-camping.
Sur le web, le SUP-camping fait des vagues. Des mordus, surtout dans l’ouest du pays, où la météo s’avère favorable, partagent leurs trucs en vue de réussir une expédition de camping sur ce dérivé du surf. Mais au Québec, ce mode de voyage demeure méconnu. Quand j’ai voulu l’expérimenter il y a quelques années, j’ai contacté des guides d’aventure à la recherche d’un brave qui m’initierait à ce substitut au canot-camping. Au bout de la ligne, c’était ou bien le silence ou bien l’incompréhension.
Peu de gens, même les surfeurs qui pagaient, savaient que c’était possible. « Comment transporteras-tu tes bagages ? » me questionnait-on, anéantissant mon rêve à la Mylène Paquette. Je ne savais pas. C’est pourquoi je me cherchais un expert qui m’épaulerait.
Dénicher la perle rare m’a pris un an et l’aventurier en question était Antoine Caron Cabana. Cet ambassadeur de la compagnie québécoise Taiga Board, ce pagayeur émérite peut nous fournir les bonnes planches pour voguer sur l’eau, ainsi que tentes, sacs de couchage, nourriture et accessoires, en outre de son encadrement. Le lac du Poisson Blanc, immense étendue d’eau aux 80 îles vierges, sera le lieu de notre aventure.
De duo, nous devenons quatuor vu l’adjonction de Katherine et Marie-Claude, qui souhaitent tout apprendre des rudiments de la planche à pagaie avec nuitée en plein air.
Le défi, c’est la planification
Je suis un habitué de canot-camping, où on transporte une tonne de matériel sans chichi, mais que faire sur une mince planche ? Pour tout bagage, Antoine nous propose un « gros » sac de transport de 50 L. Où donc vais-je mettre mon oreiller extramoelleux, ma machine à espresso, mon hamac et ma chaise portative ? « La beauté du SUP-camping, c’est que ça nous ramène à l’essentiel », commente Antoine. Et il a bien raison : à l’ère du glamping, on oublie le plaisir du minimalisme en nature. « Et nous avons autant de place qu’en kayak », ajoute notre mentor.
Mon amie Katherine pousse le concept de la simplicité volontaire à son paroxysme, laissant délibérément son matelas de sol sur le continent. Je la préviens : « Tu dormiras sur de la rocaille douce comme un lit de fakir. » La sagesse d’Antoine intervient encore : une planche gonflable dépanne, comme matelas. Le hic : notre seule gonflable mesure 3,5 m de long. Impossible de la faire entrer dans une tente. « Tant pis, je coucherai à la belle étoile », répond Katherine, nullement démontée. J’apprécie son détachement.
Aux quatre coins de la planète bleue, pagayer debout a le vent en poupe. Aux États-Unis, c’est le sport de plein air en plus forte croissance depuis trois ans : hausse de 18 % des adeptes, selon les données de l’Outdoor Foundation, regroupement états-unien de l’industrie du plein air.
Cette vague de fond n’épargne pas le Québec. Des écoles de paddle – comme disent les Français – émergent partout, aussi loin qu’à Havre-Saint-Pierre et aux îles de la Madeleine. La raison de cette popularité : les planches s’utilisent à toutes les sauces, que ce soit dans les vagues à la manière du surf traditionnel, sur les plans d’eau calmes ou agités, en descente d’eaux vives, ou encore comme studio flottant de yoga. Seule sa variante expédition demeure dans les limbes nautiques.
Il y a quelques années à peine, pratiquer le SUP-camping s’avérait une mission presque irréalisable faute d’équipement approprié. « Les planches possédant la forme désirée et dotées d’attaches élastiques à l’avant et à l’arrière permettant l’ajout de bagages étaient rarissimes. J’ai galéré jusqu’en 2012, avant de trouver la première planche correspondant à mes besoins », raconte Antoine Caron Cabana.
La donne change. Les attaches se généralisent et une tendance marquée favorise le SUP-camping : la montée en puissance des planches de type touring. Eric Marchand, propriétaire des écoles et boutiques de plein air Aerosport situées à Oka et aux Îles-de-la-Madeleine, remarque qu’un nombre croissant de pagayeurs confirmés remplacent leurs planches de type all around, polyvalentes mais moins performantes, par des touring. « Celles-ci, à la forme plus élancée, glissent plus vite et tiennent mieux le cap, facilitant la longue distance », précise ce connaisseur.
Lors de notre mini-expé d’une seule nuit, nous mettons deux planches touring à l’épreuve. Ce sont des Kazuzu de 3,81 m de long. Leur proue est plus épaisse, ce qui consolide leur capacité de chargement, tandis que leur nez pointu et convexe casse les vagues en eaux agitées. Elles sont moins stables – les jambes travaillent fort à préserver l’équilibre –, mais plus rapides. Nos deux autres planches en service, une gonflable et une rigide all around, font néanmoins le travail, sacrifiant la rapidité au confort. Cela dit, qu’importe le design de votre planche, il est possible de partir à la Windigo.
C’EST LE DÉPART !
Après une séance de Tetris sur le quai, c’est l’heure du départ. En outre du sac de 50 L, nous avons la possibilité d’ajouter, Dieu merci, quelques sacs étanches sous les élastiques. Le gros de nos bagages se ramasse à la proue tandis que la poupe sert d’entrepôt à glacière. Ladite glacière fait, au besoin, office de tabouret de bar donnant un accès direct aux boissons... pschitt ! Direction : île de la Plaque, à 3 km de distance.
Côté poids, pas de souci : la capacité de chacune de nos planches dépasse les 120 kg. À 70 kilos, je suis le plus adipeux du quatuor. Nous avions donc au-delà de 50 kg de jeu par embarcation. Bien que nous partions une seule nuit, nous trimballons suffisamment de repas lyophilisés pour survivre deux jours en cas de mauvais temps, minimisant le risque de cannibalisme sur notre île vierge.
À mon profond étonnement, quoique nos arches de Noé soient chargées comme des mules marines, la navigation s’effectue avec aisance. Ma cargaison ne nuit pas à ma stabilité, et je ressens peu la surcharge. La possibilité de tomber à l’eau subsiste, cependant les planches ne chavirent jamais, me rassure Antoine entre deux coups de pagaie. Légende urbaine? En journaliste chevronné, je teste son affirmation, me jetant à l’eau à de nombreuses reprises pour essayer de faire virer mon esquif à l’envers. Peine perdue. Les abysses n’engouffreront pas mon fourbi.
En me baignant à satiété, je découvre l’indéniable avantage de la planche à rame. Se hisser sur la planche n’exige pas une technique complexe comme l’esquimautage en kayak ou la récupération en T en canot. La planche se transforme en tremplin flottant sur lequel je remonte en deux temps, trois mouvements. Autre bénéfice : debout, on voit dans le fond de l’eau. Splendide.
Le désavantage de la planche à rame, c’est la position verticale du pagayeur, qui expose au vent. En traversant un passage à découvert, nous affrontons un vent soufflant de biais, pimentant notre expé jusque-là un brin pépère. Soudain, le vent se met à souffler. Nos planches se métamorphosent en chevaux fous. Les flots passent par-dessus ma planche, qui se mue par intermittence en U-boot. Je frôle le plongeon involontaire à plusieurs reprises. Dévié de ma trajectoire, je me réfugie derrière un îlot en vue de reprendre mes forces.
Astucieuse, Marie-Claude s’agenouille et continue à ramer pratiquement sans stress, me rejoignant rapidement. Quant à Katherine, nous lui disons adieu, car elle part à la dérive. « Ça brassait tellement que j’ai eu le mal de mer. J’ai arrêté de pagayer », expliquera-t-elle plus tard. Un bon samaritain nous la ramènera saine et sauve en bateau à moteur. Seul Antoine garde le cap. Pour qui aime les imprévus, c’est le climax de l’excursion !
Après notre accostage sur l’île de la Plaque et beaucoup d’allées et venues entre les îles, nous regardons déjà de haut les coureurs des bois en canot-camping, au sens propre comme au figuré. Ils l’ont trop facile, ces canoteurs ; ils sont toujours assis, font dans l’excès de bagages, apportent des croustilles en quantité industrielle et ne jouissent pas d’un panorama comme nous qui marchons sur l’eau. Tandis que nous, sur nos mini-arches de Noé, nous restons en alerte en vue de maintenir l’équilibre ; nous vivons dans l’instant présent, pratiquant la méditation pleine conscience à notre insu, nous débarrassant des pensées inutiles qui polluent notre cerveau. La planche à pagaie, c’est de la thérapie aquatique. Imaginez l’effet positif sur quelques jours ! Je comprends pourquoi Antoine est aussi coool…
Lors de ma prochaine virée sur l’eau, je ferai face à un choix déchirant : canot-camping ou SUP-camping ? La tradition ou la nouvelle mode ? Les chaises pliantes et la machine à espresso ou la simplicité volontaire et la méditation ? Cet été, le SUP sera-t-il ma planche de salut ?
NOTE IMPORTANTE
Jamais sans mon deuxième aileron, des vis supplémentaires et ma laisse
Les pagayeurs qui s’aventurent plusieurs jours en pays lacustre doivent emporter un aileron d’extra advenant un bris ou une perte, et des vis pour le remettre en place. « Sans cet équipement, les planches deviennent incontrôlables », avertit Antoine Caron Cabana, planchiste expérimenté et ambassadeur de Taiga Board. Ne jamais partir sans attacher la leash (laisse), qui nous retient à la planche en cas de chute.
Auteur : Simon Diotte, collaborateur au magazine Geo Plein Air, rédacteur en chef du magazine Géo Plein Air
Vous aimez ce contenu? Abonnez-vous au magazine québécois Geo Plein Air.