Si les Alouettes ont perdu jeudi soir contre les Blue Bombers de Winnipeg, c’est qu’ils ont été beaucoup trop polis avec la visite.

Les Bombers ont ouvert toute grande la porte pour se faire battre à plates coutures. C’était l’inauguration de la saison locale au Stade Percival-Molson. Il faisait chaud et humide et Winnipeg a amorcé le match en étant victime de trois revirements. Les Alouettes ont eu toutes les occasions de passer le message : « Écoutez les boys, la soirée va être très longue, alors aussi bien baisser les bras tout de suite et garder vos énergies pour la rue Crescent après le match ».

Mais nos Oiseaux n’ont pas eu l’instinct du tueur : malgré toutes les occasions que leur ont été données, ils ne menaient que 3-0 après un quart. Ils auraient pu assommer leurs proies, envoyer un signal puissant, mais ça n’a pas été fait. Au contraire, ils ont permis aux Bombers d’y croire.

C’est devenu le cas classique où les Bombers, après 15 minutes, ont réalisé qu’ils étaient atroces et complètement dominés, mais qu’ils ne perdaient néanmoins que par trois points. Ils ont donc laissé passer la tempête, se sont accrochés et plus le match progressait, plus la pression se retrouvait sur les Alouettes.

Il faut le faire! La défensive et les unités spéciales des Alouettes ont provoqué CINQ revirements, mais l’attaque, cette unité bourrée de talent, n’a produit que ONZE points. Combien de fois est-ce arrivé, dans l’histoire de la Ligue canadienne, qu’une équipe qui commet autant de revirements ressorte avec la victoire? Si Steve Daniels, le statisticien en chef de la LCF, lis cette chronique, peut-être pourrait-il nous éclairer sur le sujet!

Ce que je sais par contre, après être tombé sur cette statistique révélatrice, c’est que depuis 2010, l’équipe qui a perdu la bataille des revirements a gagné seulement 26 fois en 220 matchs. Déjà, ça donne un bon indice des probabilités de voir se produire une situation comme celle de jeudi.

Parlons-en donc, alors, de cette attaque qui tarde à se mettre en marche. Après tout, la grosse histoire de ce début de saison, elle est là et nulle part ailleurs.

En première demie jeudi, les Alouettes ont généré des gains nets de 65 verges. Ça, c’est généralement ce qu’ils vont chercher lors de leur première série offensive. À la fin du match, ils n’avaient que 122 verges de gains à montrer, une production qu’ils affichent souvent après un seul quart d’action.

Au football, une bonne préparation est primordiale, une condition au succès. Tu planifies, tu prévoies, tu étudies. C’est un gros jeu d’échecs. Tu pars avec ton plan de match en te disant que c’est le meilleur moyen de gagner ton match. Parfois ça se déroule bien, d’autres fois moins. Selon le cas échéant arrive le temps des ajustements, qui te permettent de modifier tes tactiques, de réparer tes erreurs et d’ultimement avoir le meilleur sur l’adversaire.

En partant de cette réalité, j’ai retenu deux séquences qui m’ont particulièrement agacé cette semaine. D’abord, la toute première possession des Alouettes : elle s’est soldée par un dégagement après deux jeux infructueux. Le problème, c'est que de tels ratés en début de match rendent les joueurs hésitants à croire au plan de match. Tu passes la semaine à identifier les actions qui te permettront de t’imposer, de faire le plein de confiance, de valider toute ta préparation, mais au lieu de donner le ton au match, tu te vides complètement de ton air et tu fais patate.

Mais un début de match au ralenti n’est pas la fin du monde. Au football, les entraîneurs ont toujours l’occasion de s’ajuster à la mi-temps. J’attendais donc impatiemment de voir comment les Alouettes répondraient à l’adversité à leur retour du vestiaire : deux jeux suivis d’un botté. Encore.

Là, je me suis dit que ça n’allait vraiment pas bien.

Avec Marc Trestman, les Alouettes étaient souvent très bien préparés et connaissaient régulièrement des débuts de matchs canons. Les ajustements à la mi-temps étaient moins glorieux, mais le coussin bâti en début de match était tellement confortable qu’il suffisait pour avoir le dernier mot. Pour d’autres entraîneurs, c’est l’inverse : les débuts sont toujours un peu chancelants, mais les choses s’améliorent à mesure que le match progresse.

Mais jeudi, chez les Alouettes, on n’a vu ni l’un, ni l’autre. Je sais que ce n’est qu’un match, mais j’ai trouvé ça décevant.

Comme ce fut le cas lors de la première semaine, l’attaque n’a démontré aucune constance, aucune explosion. Quinze de ses vingt possessions se sont limitées à deux jeux suivis d’un botté. C’est spectaculaire, mais pas dans le bon sens. Les Alouettes n’ont réussi aucune course de plus de 15 verges (la plus longue fut de onze verges) et une seule passe de plus de 20 verges. Parfois, une attaque connaît un match où tout semble laborieux, mais un jeu de 40 ou 50 verges ici et là permet de compenser un peu et d’éviter le désastre. Mais quand tes prières ne sont pas entendues, la soirée est longue et j’ai l’impression que c’est ce constat qui pesait sur les joueurs dans le caucus.

Efficacité et équilibre

Pour le plaisir, je me suis amusé à décortiquer les 20 possessions des Alouettes.

En situation de 1er et 10, on a exécuté six jeux de course et 14 jeux de passes. On parle presque d’un ratio 25%-75%. Ce n’est pas ce que j’appelle une vision équilibrée.

J’ai ensuite gratté un peu plus loin et je suis allé voir la production qu’on avait obtenue en pareilles circonstances. C’est la clé de la constance, selon moi, puisque si tu peines en premier essai, il y a de fortes chances que tu en arraches tout autant en deuxième. Et la vérité, c’est que les Alouettes ont été mauvais. Ils se sont retrouvés six fois en situation de « 2e et 10 », trois fois en « 2e et neuf », une fois en « 2e et 19 », une fois en « 2e et 17 », une fois en « 2e et 7 », une fois en « 2e et 6 » et, finalement, une passe a été interceptée au premier essai.

En résumé, on obtient 14 situations de « deuxième et long ». Pas besoin d’aller chercher bien loin ensuite pour trouver une cause à leurs malheurs.

Aussi, je sais que le jeu au sol ne fonctionnait pas à plein régime, mais dans un match dont l’écart n’était toujours que d’une seule possession tard au quatrième quart, je m’explique mal le fait qu’on ait terminé la rencontre avec seulement douze courses. Ça me chicote un peu, surtout quand je revois toutes ces séquences où Anthony Calvillo se retrouve sur le derrière en raison d’une protection déficiente.  

Il faudrait peut-être se pencher sur la question. Les Blue Bombers ont démontré un engagement beaucoup plus sérieux envers le jeu au sol et ils ont été récompensés. Ils voulaient contrôler l’horloge et garder Calvillo sur le banc et c’est en plein ce qu’ils ont fait. Ils ont gardé le ballon pendant 34 minutes, un avantage de huit minutes sur les Als. Ce n’est pas négligeable! Et autre fait intéressant : ils ont exécuté 28 courses contre 31 passes.

Ça, c’est un équilibre primordial dans un match aussi serré.   

Surveiller sa ligne

Attardons-nous un peu plus en profondeur sur les inquiétantes failles dans la muraille, jadis impénétrable, qui doit protéger Anthony Calvillo, le cœur et le cerveau de cette attaque si prometteuse.

Jeudi, AC a été victime de sept sacs. Il en a encaissé onze dans les deux premiers matchs de la saison. En comparaison, sachez que les Alouettes en ont accordé un total de 30 en 18 matchs l’année dernière.  

Ce qui m’agace le plus dans tout ça, c’est que pendant toute la semaine précédant le match, les Bombers ont clamé qu’ils s’en venaient à Montréal et pourchasser et brasser Calvillo... et ils l’ont fait. Si je portais encore l’uniforme bleu et rouge, je le prendrais personnel!

Et ce qui est encore plus frustrant, c’est que les Bombers sont passés de la parole aux actes sans nécessairement prendre de dispositions particulières pour y arriver. Ils n’ont pas blitzé, parvenant à semer le chaos avec une anodine pression à quatre. Leur ligne défensive a été intense, a travaillé de façon acharnée. Le quatuor de tête a faut preuve de beaucoup de créativité et d’une belle complicité.

Quant à ce qu’on a vu de l’autre côté des tranchées, il y a lieu de s’inquiéter, ou du moins de se poser de sérieuses questions. Ce groupe qui s’est fait traverser toute la soirée, c’est le même qui est solide comme le roc depuis trois ans. Ce sont cinq gars qui sont habitués de travailler ensemble, habitués de communiquer, habitués de voir les mêmes choses, d’être au diapason. Mais jeudi, on a vu de la confusion, du doute. Il semblait y avoir des zones grises.

Je me pose donc, à voix haute, cette question : avec un groupe aussi solide, est-ce que les directives sont claires? Est-ce que les règles de blocage sont bien établies?

Je vais remonter de quelques années dans le passé pour vous rappeler un fait qui vous fera peut-être comprendre la source de mes inquiétudes. En 2007, la ligne à l’attaque des Alouettes avait accordé 67 sacs du quart. Quand Marc Trestman est arrivé en poste la saison suivante, on pensait tous qu’il allait démanteler l’unité et la rebâtir sur des bases plus solides, mais non! Il a laissé tout le monde en place, a plutôt apporté les bons ajustements et les résultats ont été probants. Cette année-là, les Alouettes n’ont concédé que 25 sacs du quart.

C’est pour ça que je suis un peu abasourdi depuis le début de la saison. Je me dis qu’il est impossible que les membres de la ligne offensive des Alouettes aient, du jour au lendemain, oublié comment bloquer. Quand tu laisses entrer des gars au beau milieu de la ligne, alors qu’il n’y a même pas de blitz (c’est arrivé au moins deux fois), quelque chose ne tourne pas rond.

Trop de vanille

Je suis prêt à rendre à César ce qui lui revient et à donner du crédit aux Bombers. Le meilleur scénario imaginable lorsque tu affrontes un quart-arrière de la trempe d’Anthony Calvillo, c’est d’être capable d’appliquer une pression soutenue avec seulement quatre hommes pour pouvoir en envoyer huit en couverture. Tu te retrouves alors avec le meilleur des deux mondes, tu es mort de rire et c’est en plein ce qui est arrivé.

Je veux souligner cette belle symbiose que nous avons observée entre la tertiaire et la ligne défensive des Bombers. Mais en même temps, je ne peux m’empêcher de penser que les Alouettes leur ont facilité la vie. Les locaux ne m’ont pas montré beaucoup de formations différentes. Je n’ai pas vu de mouvement, ni de créativité dans la distribution du ballon. On n’a pas utilisé toutes nos armes, on n’a pas donné la chance à tous nos receveurs de toucher au ballon et on n’a pas attaqué toutes les zones du terrain.

Bref, les demis défensifs des Bombers s’alignaient à leur position et on ne leur envoyait rien de compliqué. Ce n’est pas une attitude typique des bonnes attaques! Les Alouettes nous ont habitués à toutes sortes de tours de passe-passe dans le passé. Ils étaient maîtres dans l’art de compliquer le jeu avant qu’il ne débute de façon à se procurer un avantage énorme au moment de la mise en jeu. Mais on n’a rien vu de tout ça jeudi. Les Bombers semblaient savoir exactement ce qui s’en venait. Ça change tout, vraiment.

Il est vrai que Winnipeg a joué plus de défensive homme-à-homme que prévu. Et puis alors? Ça aurait été aux Alouettes de répondre en se créant des confrontations avantageuses. Utilise des tracés en croisé, varie tes formations, envoie des joueurs en mouvement avant que le ballon ne lève.

Pourquoi ne pas envoyer ton gros receveur de passes contre le plus petit demi défensif adverse? Ou cibler les gros secondeurs avec Brandon Whitaker ou Patrick Lavoie? En passant, avez-vous remarqué, tout comme moi, qu’on a très peu vu notre sympathique centre-arrière québécois à son premier match de la saison? Si j’ai bien compté, il a été utilisé dans cinq jeux offensifs. Je pensais qu’on lui redonnerait un rôle plus important et j’ai trouvé un peu particulier qu’on ne le fasse pas.

Bref, il existe des outils pour battre la couverture homme-à-homme. Pourquoi ne pas les avoir utilisés?

Sur cette même tribune, il y a deux semaines, je disais que peu importe les influences qui arrivaient de l’extérieur, il était crucial que le nouveau système offensif des Alouettes deviennent rapidement le système offensif d’Anthony Calvillo. L’éminence grise de l’attaque montréalaise doit être confortable sur le terrain. Mais on ne peut pas dire qu’on a vu beaucoup de confort l’autre jour et d’un côté à l’autre de l’attaque, le langage corporel des membres de l’attaque n’était pas rassurant.

Je revois Calvillo se relever péniblement en replaçant son casque et je ne peux m’empêcher de penser à Marc Trestman, qui avait rapidement fait de la protection de son quart-arrière une priorité à son arrivée à Montréal. En fait, l’une des premières choses qui soient sorties de sa bouche lorsqu’il a été présenté au public, c’est ceci : « Nous devons protéger le quart-arrière et lui permettre de terminer son geste de passe. »

Trestman avait élaboré une attaque rythmée dans laquelle Calvillo pouvait dégainer rapidement. En quelques secondes, le vieux renard avait remis le ballon à un comparse et pouvait ensuite admirer le spectacle. La routine était belle à observer : première lecture, deuxième lecture, dépanneur. AC avait toujours une porte de sortie pour échapper au danger.

Il serait important de recréer un tel modèle d’efficacité.

C’est dangereux parce qu’avec la réalité qu’on connaît, les Alouettes traversent présentement une période charnière. Les nouveaux entraîneurs ont un solide travail de vente à faire et en ce moment, ils s’arrangent pour manquer cruellement d’arguments. C’est important de gagner rapidement la confiance de tes nouveaux joueurs, de leur prouver que tes jeux, tes concepts et tes systèmes fonctionnent et peuvent les mettre en valeur.

Les membres de l’attaque des Alouettes sont habitués de livrer la marchandise. Ça fait des années qu’ils connaissent du succès ensemble. Ils sont habitués d’être mis au défi, mais présentement on dirait qu’on les retient. C’est comme si on avait des étalons prêts pour courir le derby du Kentucky, mais qu’on les utilisait pour tirer des calèches dans le Vieux-Montréal!

Je sais qu’il n’y a que deux matchs de joués. Tiens, donnons-nous jusqu’au tiers de la saison avant de tirer des conclusions. Mais ça ne veut pas dire que certaines inquiétudes ne sont pas fondées.

Chaque minute devrait compter

Je vous laisse sur une petite anecdote. Vous la trouvez peut-être anodine, mais c’est que je trouve que le scénario dépeint un contraste avec l’importance, sur laquelle je veux mettre l’accent, de mettre les bouchées doubles.

D’ordinaire, l’horaire est assez léger la veille d’un match. Les gars prennent part à un petit entraînement de routine et on procède aux dernières rencontres d’équipe pour s’assurer que toutes les directives soient claires. Sous l’ère Trestman, on profitait de cette opportunité au maximum en tenant jusqu’à la dernière minute des rencontres supplémentaires axées, par exemple, uniquement sur les protections.

Mercredi, donc, je me pointe au Stade olympique pour la période ouverte aux médias. Il y a habituellement une conférence de presse et joueurs et entraîneurs sont disponibles pour piquer un brin de jasette. Les portes du vestiaire sont supposées ouvrir à midi et demi, mais j’arrive un peu d’avance, disons vers 11 h 50, et déjà, je vois un paquet de joueurs qui sont sur leur départ sur mon chemin.

Je demande ce qui se passe et on me répond qu’ils ont fini plus tôt et qu’ils ont la permission de partir. Mon premier réflexe a été de me réjouir pour eux. « Tant mieux pour les gars, ils s’en vont manger! », que je me suis dit. Mais plus sérieusement, je trouve que cet épisode soulève des questions.

Je ne veux pas faire un drame avec ça, mais je ne comprends pas que les personnes en place chez les Alouettes n’utilisent pas chaque seconde mise à leur disposition pour se préparer. On est seulement à la deuxième semaine d’activité et plusieurs personnes en charge découvrent carrément une nouvelle ligue. On a des nouveaux jeux à présenter, des systèmes à enseigner. Alors où s’en va tout ce beau monde?

Ça m’étonne, parce que je sais que plusieurs membres du personnel d’entraîneurs arrivent de la NFL. Là-bas, ils ont été habitués aux OTAs (Organized Team Activities), à des mini-camps, à un camp d’entraînement de six semaines et à quatre matchs préparatoires. Pendant la saison, les joueurs arrivent aux installations aux petites heures et quittent en début de soirée alors que dans la LCF, un règlement donne aux entraîneurs un accès limité de quatre heures et demie aux joueurs.

C’est pourquoi je trouve étrange qu’on n’accorde pas plus d’importance à chaque moment qui peut nous approcher de la perfection. Ce n’est pas comme si la saison tirait à sa fin et que la machine était bien huilée...

Peut-être que je suis dans le champ. Mon but n’est pas de chercher des poux et de critiquer gratuitement, mais bien de faire part de mes questionnements.

Je ne veux pas passer mon temps à faire des comparaisons avec Marc Trestman, mais c’est difficile de ne pas le faire.

*Propos recueillis par Nicolas Landry.